Le choix de Pop9, dont le nom m’avait été opportunément soufflé par ArD, comme ultime destinataire, s’imposait. Intervenant ponctuel sur le blog, il n’avait guère participé au Mystère de l’Abeille et n’avait pas pris parti jusqu’ici aux récents rebondissements. Mais, lors du lancement du « jeu des petits colis », il s’était inscrit comme participant et, donc, destinataire volontaire. Tous les autres (ArD, George, Le Tenancier, Otto), ayant reçu le leur, il me paraissait judicieux d’adresser ma dernière offrande à celui qui ne pouvait leur être concrètement attaché que par ce lien du « jeu des petits colis ». Je soignais donc particulièrement cet envoi. Le livre d’André Hardellet, Le Seuil du Jardin, est un grand livre et cette seule qualité justifiait que j’en fisse cadeau. Un passage, toutefois, devait être retenu, participant du fil rouge et miroitant de cette narcissique affaire ; la Tour Saint-Jacques, servant de marque-page, servait d’indicateur. La carte se trouvait entre la fin du chapitre XII et le début du chapitre XIII, moment crucial où le peintre Masson expérimente la machine de Swaine (« Regardez le reflet des disques dans le miroir, le plus loin possible… ») et revit un souvenir d’enfance, éprouvant un dédoublement psychique et corporel :
« Le temps, ainsi que Swaine l’avait dit, subissait une mystérieuse réfraction qui faisait coïncider au même point deux époques distinctes, celle de l’enfant et celle de l’adulte. Le peintre éprouvait en lui une confuse dualité : un moi abandonné, quelque part sur les rives du sommeil et l’être qui regardait maintenant les choses de ses yeux émerveillés. »
Faut-il relever combien le texte d’Hardellet s’inscrit dans les préoccupations surréalistes ? Breton admirait le roman. La Tour Saint-Jacques, bien sûr, se dressait ici comme haut lieu du surréalisme et de la mythologie personnelle de son fondateur. Mais, le texte d’Hardellet valait aussi comme une mise en abyme de mon entreprise postale : chaque envoi composant un reflet mien dans le miroir, et dévoilant une part d’intime, une part d’enfance. Pop9, le seul peut-être, ne s’y trompa pas, écrivant : « une ultime découverte nous rend tout chose : cette photo de Champollion, elle comporte un petit trou en haut, au milieu. On parierait qu’elle fut un temps punaisée sur un des murs de l’antre du ME avant de nous être transmise. » Rimbaud, Prévert, la Tour Saint-Jacques m’avaient en effet suivi longtemps. A tant les regarder, les images ne s’imprègnent-elles pas de l’esprit du regardeur ?
J’en viens, à présent, à la carte Plonk & Replonk, qui me retint initialement pour sa légende : « Suisse mystérieuse », l’adjectif venant à point dans notre affaire. La phrase collée (« il s’appliquait sur les cuisses de grandes claques »), signalant un amusement passé, avait quelque chose d’ironique : on ne riait plus, ni le Tenancier, ni moi. Je dois avouer que les interventions un peu sèches et bougonnes du premier, qui ne cachait plus son agacement, m’avaient un peu refroidi : il avait depuis longtemps identifié un Mystérieux Expéditeur qui n’avait rien de Mystérieux – tous ou presque, d’ailleurs, l’avaient rejoint –, trouvait les envois trop rapprochés. La farce qu’il avait contribué à faire naître, et qu’il m’avait – involontairement – incité à poursuivre, n’avait, pour lui, que trop durer. Je sais qu’il traversait alors une période pas drôle et ne lui en veux pas. Je l’aime trop pour cela. Le petit « roman » composé de découpages empruntés à Non ! de Victor Margueritte et de Cavalier 6 [petit clin d’œil à Grégory qui, dans la carte précédente, est le n° 6, bien cavalièrement assis sur sa chaise], suivi de L’oublié de Pierre Benoît, devait servir de coup de théâtre, jouer la grande scène de révélation finale. Il s’agissait d’un « roman » en deux parties, la première rappelant le Mystère de l’Abeille :
« dans le pays d’Otto Le véritable château / Elle frappa sur un timbre Bizarre ! Bizarre ! / autour de leur chef « Une personnalité ! / – Ah, oui… Et un fichu caractère. – Dites un piqué ! » / entrée des Zaporogues / la Marseillaise / Wilhelm / Compagnons de la / mystérieuse équipée / Et tout le monde de rire à cette excellente / plaisanterie de prendre dans la bibliothèque, à gau- / che, sur le troisième rayon, ce petit volume / – Ils sont de mèche, vous voyez ! / Le rideau se leva »
Les références sont transparentes : Otto, première et longtemps seule victime d’ArD, experte ès-timbres, qui gratifia sa proie de « petits volumes » issus du « troisième rayon » de la petite édition, avec la complicité de notre chef à tous, le Tenancier ; les Zaporogues : la Marseillaise, ArD (le « petit colis » de Pop9 fut posté de Marseille par ArD), Wilhelm, George, et tous les commentateurs fidèles du Mystère de l’Abeille qui s’amusèrent de cette « excellente plaisanterie ». La dernière réplique : « Ils sont de mèche, vous voyez ! » renvoyant à sa résolution et à la révélation de la complicité du Tenancier. Le pronom personnel sujet peut toutefois aussi bien renvoyer aux deux protagonistes augmentés de leur victime et des limiers zaporogues : le Mystère de l’Abeille fut une création collective. Le Mystère(bis) ne le fut pas moins. Sauf que l’expéditeur, cette fois-ci, ne l’avait pas voulu. Si Mystère il y eut, ce fut, malgré moi, et par le seul désir des destinataires et commentateurs. Ainsi, doit-on comprendre la deuxième partie du petit « roman-collage » :
« Ivan Ivanovitch (le prénom de notre Tenancier n’est-il pas suffisamment répété dans ce patronyme russe ?) / – C’est étrange, murmura-t-il / Quelle bonne surprise ! Il était de retour (rappel de la réaction dudit Tenancier à la réception de son « petit colis », soupçonnant le retour du Mystère) / NON ! (peut-on être plus clair ?) / – Alors c’est moi (Qui parle ? Le Tenancier, revendiquant après-coup sa responsabilité dans la création du nouveau Mystère ? Ou l’expéditeur, se souvenant d’une phrase récurrente du Mystère de l’Abeille : « Ce n’est pas moi ! » écrite, plusieurs fois, me semble-t-il par ArD et le Tenancier, en commentaire, et lançant un aveu sous forme d’antiphrase : Alors ce n’est pas moi ?) / quel piège que ce mot !... (« moi », mot-piège, nécessairement, puisque « je est un autre) / « Taisez-vous, Lovelace !... » (je m’amusais ici à faire apparaître un nom qui désigne tout à la fois le séducteur libertin de Clarisse Harlowe, un poète anglais du XVIIe siècle, et une star du porno – le mélange des genres étant de circonstance) / Je dois ouvrir ici une parenthèse / tu as entre les mains le secret (le Je désigne naturellement l’expéditeur, le tu, le destinataire, Pop9, qui, en se souvenant qu’ il avait communiqué son adresse après son adhésion au « jeu des petits colis », pouvait comprendre pourquoi il entrait subitement dans la danse) / Tout cela c’est du rafistolage (le Mystère n’existe pas : toute cette affaire est un bricolage de fortune) / FIN / – Fous le camp, maintenant. Je t’ai assez vue. (Là encore, c’est aussi bien le Tenancier que moi qui prenons la parole pour congédier cette « plaisanterie » dont plus personne ne rit).
Évidemment, comme l’identité du coupable ne faisait plus aucun doute, on ne chercha pas à creuser plus profond, et ce dernier « petit colis » – contrairement à ce que j’espérais – ne révéla rien de nouveau. Une explication s’imposait donc. Pour bien faire, il aurait fallu reprendre tous les billets, mes échanges avec ArD, et gloser certains commentaires qui sont de petites merveilles de drôlerie et d’intelligence, mais la longueur de ce texte s’en serait trouvée triplée… Il ressort de cette comédie, poussée un peu trop loin, comme un sentiment d’inachevé et d’échec, et cet aveu définitif : j’ai joué livres sur table et ne suis pas un Mystérieux Expéditeur.
SPiRitus
(Carte Plonk & Replonk)
Comme on avait prévenu
l'histoire des envois mystérieux
s'arrête avec ce dernier billet. On espère
ne pas avoir ennuyé le lecteur de
passage avec ces drôles
d'histoires. Ici
s'achèvent
les
mystères
...
l'histoire des envois mystérieux
s'arrête avec ce dernier billet. On espère
ne pas avoir ennuyé le lecteur de
passage avec ces drôles
d'histoires. Ici
s'achèvent
les
mystères
...



