Pour AD, qui passe le dimanche

"L'homme heureux et optimiste est un imbécile."

Jules Renard : Journal, 30 juillet 1903

Le Tenancier, se demande si le bonheur de posséder des livres surpasse celui de se posséder soi-même. Enfin, quel est l'instrument le plus propice à susciter le malheur, la dépression, l'obsession, l'anomie sinon que le livre ? Mais quelle ivresse de la dépression, quelle mélancolie doucereuse, quelle exaltation morbide habite parfois certains lecteurs : plutôt Walser que Vermot, comme on dirait "Plutôt mort que rouge" ! Nous avons tantôt voué notre vie au livre, tantôt nous vivons perpétuellement en leur compagnie, et puis encore nous n'existons parfois que par lui ou pour le moment où l'on en aura plus, encore un dans la bibliothèque. Le seul bonheur que nous tirons de tout cela est notre esclavage.

"Un esclavage volontaire est l'orgueil
le plus profond d'un esprit morbide"
T.E. Lawrence

Mais qui pourrait nous en délivrer et au nom de quoi ? Le Tenancier n'a pas de réponse, ne pense même pas à résister. Il se délivre parfois de mornes habitudes ou on l'en débarrasse avant qu'il n'en soit rassasié. A ces moments, il se tourne vers sa bibliothèque et laisse sa main se tendre. Il se meurt quelques instant dans le livre qu'il a choisi, s'y dissout. Il s'est gardé de la promenade au bord du gouffre, mais il jette son œil dans un abîme, dans le confort.
Un seul autre réconfort : les dimanches sont devenus des jours comme les autres, l'esclavage garde ainsi sa doucereuse et continue tonalité. Ce soir, là, le Tenancier va lire un peu de Nabokov, parce que :

"L'esclave a sa vanité, il ne veut obéir
qu'au plus grand des despotes"
Honoré de Balzac

Le prochain dimanche ressemblera au précédent.

Post-scriptum sans remords le lendemain matin : pour le Tenancier, ce sera à la fois Walser et Vermot, c'est un syncrétiste.