De l'impossibilité de faire mentir son reflet - IV


Otto reçut son « petit colis » plusieurs jours après le Tenancier et Adria. André Breton – que le premier destinataire avait superbement évoqué dans son billet – et Arcane 17 : le lien avec l’envoi 0 reçu par ArD était particulièrement serré. Il était trop tentant de réunir – ne serait-ce que dans mon esprit et dans celui d’ArD – la victime et l’instigatrice du Mystère de l’Abeille. C’était là aussi livrer une part de ma bibliothèque intime. « Oh désuet soupir que Narcisse enveloppe ! » N’était-ce pas me désigner dans le reflet que tenait Otto désormais dans ses mains ? Le livre de Breton figurait dans une de mes sélections de 10/18 publiées par le Tenancier. Et la carte éditée par les Âmes d’Atala ne pouvait guère brouiller les pistes. Otto m’identifia si vite qu’il douta (un peu) de ma culpabilité.

Ces trois envois-là n’eurent donc pas l’ambition de créer le Mystère. Mais, puisqu’il s’agissait de le relancer, puisque, me semblait-il, on le souhaitait, je fis en sorte, sans me détourner véritablement de mon projet initial, de compliquer les suivants.
George fut le premier destinataire de cette nouvelle série d’envois. Pourquoi le cacher ? J’étais assez content de moi. Le « petit colis » se voulait riche et complexe. Pour les fausses pistes, je me contentai de poster l’enveloppe d’Ariège et de coller un visage de femme découpé dans quelque gravure de mode fin XIXe sur celui du « bateleur », ficelle bien trop grossière pour que ce fin limier de George s’y laisse prendre. Je n’étais pas dupe de ma ruse : c’était là surtout l’occasion de rejouer sur la dualité, manière de signifier : « sous l’apparence du Mystère(bis), il y a le jeu des petits colis ». Y joindre un volume de l’Atelier in-8, l’éditeur de Séraphine la kimboiseuse, qui fut à l’origine du Mystère de l’Abeille, participait de cette dialectique du masque révélateur. L’action de la nouvelle, d’abord, se passant à Biarritz, dans les Pyrénées-Atlantiques, ne pouvait que me désigner géographiquement. La carte de Prévert voisina longtemps avec celle de Rimbaud sur mes murs : Prévert fut le premier poète que je lus véritablement, celui qui me fit entrer en poésie. J’y ajoutai, pour faire gamberger l’ami George, un peu de texte, une coupure du journal La Vie Mystérieuse (« D’une hypnotisée »), et une image extraite de l’Album de Documents Artistiques d’après nature, de parution plus ou moins régulière qui, sous prétexte d’art, donnait à voir des photos de nus parfois assez suggestives. Ces deux publications m’avaient servi il y a quelques années pour une série de collages. Bien évidemment, l’hypnotisme, l’hystérie, un certain érotisme ne sont pas sans rapport avec le surréalisme et mes goûts littéraires. Je gratifiai George non pas d’un mais de deux alexandrins : « IAN VS au Scrabble pose un ressemblant ‘goyave’ / – derrière une glace sans tain – combien rigide ! » L’analyse de George fut délicieuse : ses déductions qui le firent aboutir à Ian Geay sont formidables et dignes de cette paranoïa-critique que je n’ai cessé de vanter tout au long du Mystère de l’Abeille. Pourtant, je ne pensais plus alors au vaillant directeur des Âmes d’Atala lorsque je composai l’énigmatique distique. En séparant les deux premiers mots, j’avais surtout voulu masquer un trop évident IANVS latin, ou JANUS français, le dieu aux deux visages, nouvelle référence à cette dialectique dont je parlais plus haut. « Goyave » n’était autre que l’anagramme de « Voyage ». La « glace sans tain » jouait encore sur l’ambiguïté : celui qui s’y mire étant aussi celui qui est vu, en plus de rappeler le poème d’ouverture des Champs magnétiques. Le « Combien rigide ! », enfin, devait s’entendre en trois mots : « Combien rit Gide ! ». Mais que vient donc faire Dédé dans cette histoire, me direz-vous ? Qu’on se souvienne que l’auteure de la Venus Atlantica reçue par George se nomme Emmanuelle Urien et qu’on considère, dans cette affaire où un faux Mystère cache un vrai jeu, où un mot (goyave) doit se lire autrement (voyage), qu’un livre peut en cacher un autre, Venus Atlantica par exemple, Le Voyage d’Urien d’André Gide.


(A suivre...)

SPiRitus
(Carte Plonk & Replonk




Ce que reçut ArD

2 commentaires:

  1. Ah, enfin !
    Magnifique. Merci, cher SPiRitus, pour ces éclaircissements, et surtout pour ces reproductions de l'envoi n°0, qui expliquent en effet bien des choses…
    Là je n'ai pas le temps de relire les billets et commentaires correspondant à ces envois, mais je crois me souvenir que je n'avais pas du tout, pour ma part, aperçu ce IANUS dans le distique que je reçus. Quelqu'un l'avait signalé en commentaire, me semble-t-il — peut-être vous-même, d'ailleurs…
    Bon, je vais rééplucher tout cela…

    Incroyable, en tout cas, combien peuvent diverger les méandres de nos connexions synaptiques respectives !…

    RépondreSupprimer
  2. Oups, je découvre à peine aujourd'hui la publication du billet. Je crois bien, en effet, cher George, que j'avais moi-même soufflé un peu de mythologie au creux d'un commentaire, afin de vous détourner d'une piste - que je n'avais pas méditée - et qui vous orientait trop vite, malgré mes efforts, vers le coupable.

    Ce n'est pas sans émotion que je redécouvre les pièces de l'envoi 0.

    RépondreSupprimer

Les propos et opinions demeurent la propriété des personnes ayant rédigé les commentaires ainsi que les billets. Le Tenancier de ce blog ne saurait les réutiliser sans la permission de ces dites personnes. Les commentaires sont modérés a posteriori, cela signifie que le Tenancier se réserve la possibilité de supprimer des propos qui seraient hors des sujets de ce blog, ou ayant un contenu contraire à l'éthique ou à la "netiquette". Enfin, le Tenancier, après toutes ces raisons, ne peut que se montrer solidaire des propos qu'il a publiés. C'est bien fait pour lui.
Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.