Otto : Vous avez bien vu, cher ami Tenancier. Vous m'amenâtes dans une librairie située sur le Bld Saint-Germain, de grandes dimensions, apparemment bien approvisionnée. Dès lors, pour moi, il était presqu'évident que je trouverai assez facilement mon bonheur en ces lieux. Disons qu'un petit 4 trouvés sur 5 cherchés m'aurait semblé normal, d'autant que les livres que j'avais sur ma liste avaient été chroniqués les semaines précédentes dans diverses revues et n'étaient donc pas, a priori, d'obscurs écrits totalement improbables. Et, effectivement, j'étais un peu déçu en sortant de n'avoir trouvé que deux des cinq ouvrages cherchés. Dépité également, je vous l'avais dit sur le moment, de l'attitude des libraires rencontrées : aimables, certes, mais visiblement peu au fait de certaines choses littéraires (je ne pensais pas que Lucien de Samosate était si peu connu…) et, surtout, bien peu commerçantes. Ni l'une ni l'autre des libraires consultées ne m'a proposé de commander les ouvrages cherchés ! Ou proposé des ouvrages similaires à ceux que je cherchais. Alors, oui, j'ai acheté d'autres ouvrages, certains parce qu'ils m'ont tenté (il ne faut pas que j'entre dans une librairie…), d'autres parce que vous me les avez conseillés, et que j'écoute souvent vos conseils. Mais, quelque part, une petite voix me disait "t'as vu, tous ces bouquins, t'as pu les repérer sur un site de vente en ligne y'a deux heures, t'aurais pu les commander sans te taper les bouchons et en plus un peu moins cher" (les fameux 5%). Bon, je ne vais pas agir de la sorte, je vais plutôt aller commander mes bouquins à ma librairie favorite de Toulouse (plutôt spécialisée polar, SF, mangas et BD, mais ils sont pas "exclusifs"). Mais pour un qui agira comme moi, combien se reporteront sur Alazone ou sur Amapag ?
Le Tenancier : Cher Otto, vous cédez ici à un fantasme bien courant, ce qui m’étonne de vous. En effet, on a toujours tendance à penser qu’une bonne librairie vous fournira tout ce que vous désirez. On est forcément loin du compte si, de plus, l’on y entre avec une liste. C’est que, de plus en plus, la librairie est considérée comme un lieu de stockage et non un lieu de découverte. Votre liste, en partie le démontre. Il y a, de prime, un obstacle. Si grande soit-elle, la librairie ne peut héberger tous les ouvrages parus. Rappelons qu’il y en a au bas mot 3000 par mois, tous genres confondus, certes, mais aussi un fonds d’ouvrage disponibles en France qui est énorme. Deux ouvrages ? Estimez-vous heureux, presque. Je ne pense pas que vous auriez fait un meilleur score ailleurs.
Ensuite, je suis bien d’accord avec vous. Si l’accueil fut on ne peut plus correct, il semble que ces vendeuses étaient découragées à l’avance sur le fait de commander les ouvrages. Ce pourrait sans doute être le fruit d’une certaine incompétence. Je crois qu’il faut considérer également le fait que les gros distributeurs sur le net font une concurrence sévère sur ce plan. En effet, même si la transmission des commandes se fait électroniquement, désormais, il y a des délais incompressibles, que sont le traitement des commandes par le distributeur et l’acheminement jusqu’à la librairie. Ces délais sont considérablement raccourcis chez les prestataires du net qui ont là une logique industrielle dans la chaîne de traitement des commandes. Le pli a sans doute été pris sous la menace d’une réplique attendue : « Ça ira plus vite sur le net ». Je nuancerai moins, en revanche, votre appréciation sur le manque de ressort de ces deux vendeuses qui, si elles ont su vous orienter efficacement vers certains rayons, n’ont pas paru très dégourdies pour vous orienter vers des ouvrages de votre goût, voire de vous sonder à ce propos. Ce qui devrait encore faire la force des quelques librairies de neuf qui existent encore, réside dans le fait qu’elle est occupée par des êtres humains qui ont dû lire quelques ouvrages dans leur vie. Je vous sais assez curieux pour vagabonder ailleurs que dans votre liste. Le fait même que, devant elles, vous regardiez autre chose eût pu les stimuler. Ce ne fut pas le cas. Aucun dialogue n’a été entamé. Au lieu de vous entraîner devant les rayons pour chercher les livres que vous désiriez, elles se sont plantées devant un ordinateur. Cela démontre le manque endémique de formation de la plupart des libraires en matière de vente. En réalité, il me semblait avoir affaire à deux bibliothécaires. On rentre tout à fait dans la perspective de la librairie française actuelle : le manque de vendeurs réellement qualifiés à cause d’une sous-rémunération due à une activité de peu de rapport. Pourtant, c’est bel et bien là que se trouverait la solution pour les libraires de neuf : garder des vendeurs expérimentés et avec de la bouteille. Cher Otto, avez-vous souvent rencontré des vendeurs en librairie qui ont plus de 40 ans qui ne soient pas à la tête du magasin ?
Pour votre librairie spécialisée, ce ne devrait pas être une gêne de vous commander des livres hors de sa spécialité : elle a accès aux mêmes réseaux que tout le monde.
Otto : cher Tenancier, j'entends bien vos remarques, je ne confonds pas librairie et entrepôt, ni ne demande à l'une d'elles, aussi importante soit-elle, de ressembler aux rayons présumés quasi-exhaustifs (on peut toujours présumer, hein…) de certaines chaînes de distribution auto-proclamées "agitatrices" (c'est à la mode, de s'agiter. Agir, en revanche…). Mais l'on en revient à ce qui semblerait devoir être la vocation, je dirais même la justification, d'une librairie de neuf ayant pignon sur rue de nos jours : le conseil. Ce qui passe, en premier lieu, par le fait de lire, pas forcément tous les livres, il y a évidemment impossibilité, mais au moins les chroniques des quelques magazines et pages de journaux pouvant encore prétendre au rang de référence en matière de critique littéraire. Si Machin parle en bien de l'ouvrage Truc, cela devrait titiller l'œil du libraire et le pousser à commander la chose. Mais il semble que le seul ouvrage commandé ces derniers temps soit La princesse de Clèves, ce qui, malgré les probables charmes de l'ouvrage (jamais lu), n'augure rien de bon pour la littérature actuelle. Et permet de comprendre le niveau des aimables boutiquiers à qui l'on peut s'adresser. Et il est vrai qu'à ce niveau, comme à bien d'autres, c'est d'avoir des vendeurs quelque peu expérimentés qui apparaît comme la solution. Pour en revenir à ma librairie toulousaine (Album pour la nommer), l'on m'y suggère régulièrement des auteurs que je ne connais pas – certes, je suis bon public, et bon acheteur, donc plus intéressant que le mec qui achète son polar à 12 euros et se barre. Et l'on s'aperçoit vite que les divers vendeurs (qui sont les mêmes depuis que je fréquente l'endroit, 3 ans environ) ont des connaissances sur ce qu'ils vendent, qu'ils ont des passions et qu'ils les font partager. L'humain, quoi. Et cela donne forcément plus envie d'aller acheter chez eux qu'ailleurs. Mais c'est vrai qu'en province, on prend plus le temps de discuter. Et que la personne derrière vous dans la queue ne se met pas à râler parce que le vendeur est en train de parler avec vous. Au pire, il viendra même partager ses connaissances sur la discussion.
Quant à acheter un livre sur le Net, cela ne me viendrait pas à l'idée. D'abord parce que je trouve la totalité des sites de ce type mal foutus et plutôt décourageants pour l'acheteur. Ensuite parce que je n'ai que foutre de leurs suggestions à la noix de type "les autres lecteurs qui ont acheté cet ouvrage ont aussi aimé…" : l'avis du libraire peut m'intéresser, celui des autres acheteurs, ben… Rien d'élitiste là-dedans, mais je vois mal comment un programme informatique peut voir quoi que ce soit de qui je suis, de ce qui m'intéresse dans un ouvrage, des affinités que je peux avoir. D'autant que ces "suggestions" sont très limitatives. J'aime le rigolard Westlake et le très sombre Jim Thompson. Avec ça, il me suggère quoi, le programme ?
Par ailleurs, une boutique en ligne ne peut pas remplacer un vrai magasin, avec tous ses trésors entassés dans des rayons, que l'on prend plaisir à sortir de leur cachette pour les découvrir, souvent les rejeter après lecture de la quatrième de couverture, parfois les garder. Parce que le titre ou la couverture vous a attiré (comme celle de ce récit d'un aventurier capturé par les indiens Patagon sur lequel j'ai craqué lors de cette incursion germanopratine), parce que l'argumentaire au dos vous a séduit, bref parce que vous venez de faire une trouvaille. Que vous n'auriez jamais faite sur le Ouèbe : sur le Net, tous les livres de la Terre sont présents mais vous ne les voyez pas ; dans une librairie, les x milliers d'ouvrages présents sont là, sous vos yeux, attendant d'être découverts. Une histoire de sentiers battus, en quelque sorte…
(A suivre)
Intéressant échange. Surprenante question d'Otto Naume au libraire qui n'a pas le livre souhaité: "proposez-moi quelque chose d'approchant !" Qu'est-ce-qui peut bien approcher de Lucien de Samosate ?
RépondreSupprimerLes libraires du net sont parfaits pour les occasions. Ne sais pas pourquoi, mais le libraire "réel" n'a jamais les livres d'occasions recherchés. Et là, pas question de commander.
Intéressant échange. Surprenante question d'Otto Naume au libraire qui n'a pas le livre souhaité: "proposez-moi quelque chose d'approchant !" Qu'est-ce-qui peut bien approcher de Lucien de Samosate ?
RépondreSupprimerLes libraires du net sont parfaits pour les occasions. Ne sais pas pourquoi, mais le libraire "réel" n'a jamais les livres d'occasions recherchés. Et là, pas question de commander.
Eh bien, Phil, l'enthousiasme vous fait bégayer ! Pour Lucien de Samosate, s'il s'agit de "L'histoire Véritable", on pourrait conseiller à la fois les "Aventures du Baron de Munchausen" et sans doute aussi Cyrano de Bergerac ("L'Autre Monde"). La suite du colloque va sans doute compléter vos interrogations... ou bien y répondre.
RépondreSupprimerCher Phil, bien sûr qu'un libraire n'a peut-être pas une proposition pour chaque ouvrage, mais sur les cinq que je cherchais, il y avait probablement de quoi trouver - du reste, j'ai trouvé par moi-même dans la librairie en question ! Et un ouvrage mis en avant, qui plus est.
RépondreSupprimerSinon, pour l'édification des masses laborieuses, il est absolument essentiel de préciser que, comme l'indique la légende, les pieds à gauche sont les miens. Seul le Tenancier, qui n'est pas épilé, a besoin de cacher ses mollets de coq.
Otto Naumme
Toujours pour l'édification des masses laborieuses, ma fameuse liste de requêtes :
RépondreSupprimer- Captif des Tatars de Johanne Schiltberger (à la place duquel j'ai pris Trois ans chez les Patagons d'Auguste Guinnard - captif chez les Tatars ou les Patagons, c'est du pareil au même, c'est bien connu...)
- Voyage en Egypte et en Nubie de monsieur Belzoni (ils avaient)
- Les philosophes aux enchères de Lucien de Samosate (ils avaient...)
- L'âne d'or, les métamorphoses, d'Apulée
- Une excursion au pays des Ranqueles, de Lucio Mansilla
Alors bon, c'est pas le dernier Guy Des Gares, Amélie Pagrave ou Michel Ouestlaqueue, mais quand même ! Ca n'a ptêt rien de si obcur que ça. Non ?
En tous cas, pour une fois que je cherche à acheter autre chose que des polars et des romans noirs, j'suis bien gâté, tiens...
Otto Naumme
Otto parle de "libraires" quand le Tenancier évoque des "vendeuses"...
RépondreSupprimerTout compte fait, si j'ose dire, je me joins à vous pour me taper un petit jaune les doigts de pied en éventail.
Distingo dont je n'avais pas conscience, cher Christophe. Mais on peut être vendeur et libraire... c'est même recommandé.
RépondreSupprimerje suis libraire dans un petit village de campagne, et, dès que quelqu'un franchit le pas de ma porte, j'attends qu'il me demande un conseil qu'il feuillette mon coup de coeur, quel bonheur de rentrer en contact par ce biais là, le nec plus ultra est bien sûr la demande de conseil, alors là je jubile..
RépondreSupprimerN'est-ce pas pour cela que nous faisons ce métier ?
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