Dortmunder ouvrit la porte de l'arrière-salle. Ses murs étaient dissimulés par des empilements de caisses de bouteilles de bière et de soda, le centre de la pièce étant occupée par une table circulaire recouverte d'une sorte de moquette depuis longtemps rongée par l'humidité, les brûlures de cigarette et les coudes s'y étant frottés. Seul éclairage de la pièce, une ampoule pendait, sa lumière à peine attenuée par un abat-jour circulaire en métal nu.. Tout autour de la table, les chaises étaient occupées par les acolytes de Dortmunder. Au centre, face à la porte, ce qui prouvait qu'il avait été le premier à arriver au rendez-vous, Stan Murch, le chauffeur rouquin, salait une nouvelle fois sa bière d'un air distrait, comme s'il n'avait pas encore trouvé le trajet optimal pour rejoindre l'aéroport JFK. A sa droite, Tiny Bulcher avait posé sa tête en forme de missile sol-air sur une main qui aurait pu sans souci combler à elle seule le gouffre budgétaire d'un pays de moyenne importance. Il leva les yeux vers Dortmunder et le salua d'un "bonsoir, John" sépulcral, à l'extrême limite de l'infra-basse. Les autres étaient là également, Ralph Winslow, Wally Whistler, Fred et Thelma Larz, Gus Brock et, enfin, Andy Kelp. Aucun ne parlait, aucun ne souriait.
Dortmunder s'assit sur la seule chaise encore libre, qui pourtant tournait le dos à la porte. Après tout, vu ce qu'ils venaient faire aujourd'hui, que risquait-il à se positionner ainsi ? Après avoir jeté un regard circulaire à l'assemblée, Dortmunder se racla la gorge et soupira :
- Je vois que tout le monde est au courant.
- Oui, répondit Tiny. Andy nous l'a dit en arrivant.
- Rollo vous a précisé l'heure ?
- Ouais, sussura Andy d'un timbre atone. Huit heures, dans dix minutes.
- Le temps de boire le dernier…
Quelques minutes plus tard, ils sortirent tous, à la queue leu leu, l'air abattu, un peu comme si un juge venait de les condamner à une peine de vingt ans de réclusion. L'un après l'autre, ils se dirigèrent vers Rollo et le saluèrent avant de sortir. Celui-ci se tourna alors vers les habitués et leur dit, d'une voix qu'il aurait voulue plus neutre :
- On ferme.
Oui, l'O.J. Bar & Grill d'Amsterdam Avenue vient de fermer définitivement. Et c'est vraiment la plus mauvaise blague qu'ait jamais faite Donald Westlake…
Otto Naume
Merci Otto.
RépondreSupprimerJe ne prends qu'aujourd'hui connaissance de ce magnifique hommage, et c'est l'un des plus beaux (avec celui de Jérôme Leroy sur Causeur) qu'il m'ait été donné de lire en français.
RépondreSupprimerDans chaque Dortmunder, Westlake prend soin de varier sa présentation de l'OJ Bar & Grill, alors que ce qu'il décrit est toujours identique (sauf le thème de la conversation des habitués).
Et là, Otto réussit le tour de force de renouveler cet exercice difficile, avec un talent indéniable.
Don aurait apprécié, j'en suis sûr…
(et bravo pour le détournement graphique !)