1960


Le comput du temps est l’une des plus vieilles formes d’expression du livre. Chroniques, calendriers et almanachs sont indissociables de la forme scripturaire. On peut même songer que la fixation de beaucoup de nos rythmes sociaux a été fixée par l’écriture et ce bien avant l’invention de l’imprimerie ou même des formes antérieures de la transmission de la mémoire. Bien évidemment, cette énumération plus ou moins rigoureuse avait un rapport avec l’historicité et la pratique du mémorial. Le jeu avec le temps devra attendre l’uniformisation des pratiques sociales sous l’influence de la première montre de précision et l’extension des chemins de fer. A l’heure actuelle, on a délaissé l’almanach à l’exception de sa prose que l’on retrouve d’abondance dans la littérature contemporaine, ce qui convient fort bien avec sa mise à disposition dans les gares. Pourtant, le temps a heureusement subverti quelques écrivains. La deuxième partie du vingtième siècle a vu apparaître quelques mouvements qui reposaient sur la mémoire et l’appréhension du temps, comme le mouvement Panique ou bien au travers le fameux « Je me souviens » de Perec. Cette préoccupation du temps a souvent correspondu à une autre obsession, celle de l’énumération, soulignant ainsi la nature séquentielle du phénomène, se distinguant alors de la réminiscence proustienne. C’est sans doute dans cette rupture que se situe l’ouvrage de Jacques Barbaut, chronique de l’année 1960, énumération pratiquement au jour le jour des événements de l’année, ouvrage sans mystère apparent mais qui se situe au moment ou notre appréhension du temps est en train de basculer, tant dans la littérature que dans les autres formes d’art. Cette énumération a une nature déréalisante à sa lecture. Est-ce que tout ceci s’est bien passé en 1960 ? La question devient accessoire. La lecture enchaînée d’événements disparates revient à éprouver le même décollement vis-à-vis de la réalité que lorsque nous sommes en présence d’un bon ouvrage de fiction, ce qui n’est tout de même pas si souvent, il faut bien le dire. Le livre est amusant. C’est un jeu. Et parce qu’il apparaît un peu comme tel il amorce d’autant mieux quelques réflexions sur la nature du souvenir, du temps, et également sur les contraintes assez oulipiennes de l’énumération.


Jacques Barbaut : 1960
Editions Nous, 2013
19,60 €

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