Navré, l’on s’apprêtait à augurer ce renoncement comme un possible diktat de la machine, lubie probable d’un brocheur, raison obscure et, du reste, dont on se serait aperçu bien après coup tant la frénésie des nouveautés nous est désormais si lointaine. Ce serait alors sans compter sur la farce qui s’est montrée ici plutôt généreuse dans le ridicule et la sottise.
Des nouvelles ici et là nous sont parvenues, informations que l’on voudrait bien que l’on nous vérifie, selon lesquelles l’éditeur renonçait à cette pratique pour la bonne raison que nombre de libraires de neuf renvoyaient les ouvrages, au prétexte qu’ils étaient défectueux.
Oui, vous avez bien lu, désormais, pour une certaine quantité de libraires de neuf, un livre non coupé serait forcément défectueux. Dans cette hypothèse — et restons-y pour le bien de notre fiel — il faut bien admettre que si Corti prend une telle décision, c’est que le phénomène n’est pas isolé et touche une quantité suffisante de livres pour que l’éditeur s’en inquiète et envisage de revoir l'élaboration matérielle de ses futurs ouvrages alors que, dans la production des livres contemporains, Corti se distinguait précisément par cette aimable coquetterie… Inutile de me répandre ici sur les raisons historiques du livre non coupé. Que l’ignare passe son chemin, que celui qui veut savoir trouve quelques bribes dans ce blog et surtout chez d’autres plus fournis encore. Car les moyens de connaître et de savoir manquent encore moins qu’avant !
Cela fait surgir tout de même quelques questions sur le métier actuel de la librairie de neuf :
— Votre serviteur, par exemple n’a jamais eu de formation spécifique au livre, il a appris sur le tas. Il a pourtant assimilé très vite certaines particularités de son métier et de ce qu’il vendait. L’apprentissage est fait pour cela. D’où sortent donc les trous de balle responsables de ces retours ???
— Sachant que, responsable des retours où même simple vendeur, vous avez peu de chance de rater un livre de chez Corti car, la production étant modeste en quantité, il est tout de même curieux que vous échappiez à un Gracq qui, je le rappelle encore, est non coupé… Dans quel bouclard travaillent ces gens qu’ils n’aient jamais vu un tel ouvrage de leur vie ?
— Que le mouvement soit si général et pousse un éditeur à réviser sa position sur les ouvrages non coupés me laisse à penser que la librairie de neuf a perdu totalement le sens de son histoire. Qui forme ces gens ? Quelle est la qualité de cet enseignement ? Qu’ont-ils retenu ? Comment sont-ils recrutés ?
— La libraire française est-elle devenue une telle infâme pétaudière que le plus petit commun dénominateur dicte la loi de l’oubli envers ses clients en imposant des normes de nivellement aux éditeurs ? Le rôle de passeur du libraire de neuf n’est-il devenu que celui de l’information et non de l’émotion du livre ? A quoi va-t-on passer, après ? A des normes afnor pour les formats, pour perdre moins de places dans les caisses ?
Vous voulez que je vous dise ?
Je ne pensais pas vivre cela : savoir que Corti renoncerait à ses livres non coupés. Je m’attendais à tout, même à lire un petit connard se proclamant libraire déclarer que « les classiques lui tombaient des mains » ; ça, j’arrive à le vivre. Je pensais même voir un certain type de livres disparaître plus tôt et j’ai été étonné d'une si lente agonie. Je pensais voir de drôles de choses, mais ce petit fait m’est arrivé direct comme un shuto bien sec sur la nuque, un petit message très évident et très clair :
Pas besoin du numérique pour tuer le livre.
Le con s’en charge.
"Mais il a un défaut ce livre, les pages sont toutes attachées entre elles! Vous allez me faire un prix, hein?".
RépondreSupprimerLe con s'en charge, oui, Tenancier.
Béatrice
Un grand classique joué le plus souvent avec l'assurance de Co
Supprimerquelin et Guitry réunis !
Réaction à chaud et qui ne vaut pas grand chose: les pages non coupées font référence à une pratique du passé qui peut entraîner nostalgie, admiration, sens de la rareté, goût pour l'antique ou volonté de dépassement, c'est selon. Mais ça met peut-être en lumière ce qu'est l'accès au texte. (en tant qu'individu - avec toutes mes imperfections- est-ce que je me sens appelée et encouragée par des pages non massicotées ? est-ce que ce n'est pas un obstacle symbolique qui m'indique que travailler je dois pour accéder à cela, petit scarabée ? Obstacle qui induit un tri entre ceux capables et les incapables ? me gênent ces hiérarchies, bête imparfaite que je suis, car j'aime le voyage non vertical des mots)
RépondreSupprimer« Que d’autres éditeurs aient opté depuis longtemps pour une tranche mécaniquement découpée n’infère pas que ces derniers aient raison. Pas plus qu’ils aient tort, d’ailleurs.»
SupprimerPour ma part, j'aime bien me donner du mal.
Et pour la "réaction à chaud qui ne vaut pas grand chose", je vous signale, cher cjeanney que j'ai commencé à travailler en librairie vers l'âge de 18 ans et que j'en ai 51 en ce moment, que j'ai croisé quelques livres non coupés pendant ma carrière et même à mes débuts, que j'en croise toujours ça et là et qu'il m'a été donné parfois de voir une réaction d'incompréhension de certains clients vis à vis de ces livres-là, mais pas autant des libraires de neuf que ces dernières années. Il y a recrudescence d'anecdotes autour de cette ignorance de "professionnels". Que votre ressenti diffère vis à vis de ce type de livre n'est pas tout à fait l'enjeu. Le problème est que nombre de ces "professionnels" ne devraient pas ignorer que de tels livres existent. Cela signifie qu'un libraire de neuf passe également à côté des productions d'un éditeur comme Fata Morgana, Corti ou les éditions des Cendres. Cela signifie qu'ils y sont tellement peu familiarisés que les mettre en présence soudaine de ces ouvrages les renvoient à leur propre ignorance, inférant en cela qu'ils n'ont jamais croisé la prose de Julien Gracq, la poésie de Georges Fourest, certains textes de Michaux ou de Pieyre de Mandiargues. Qu'un lecteur lambda ignore les livres coupés parce qu'il n'a jamais eu à lire les auteurs susnommés n'est pas perturbant en soi. On peut y remédier et l'y amenant s'il le désire, le goût du livre à couper viendra ou pas, peu importe. Mais qu'un libraire ignore ces livres parce qu'il ignore également ces auteurs, voilà qui est grave et qui pose tout simplement la question du degré de culture littéraire de ceux qui sont chargés de vous conseiller des livres.
SupprimerAlors, cjeanney, réaction à chaud peut être, mais ne vous en faites pas, je maîtrise relativement bien mes pulsions. Quant à votre jugement sur la valeur de cette réaction, elle n'est quantifiable qu'à la mesure de cotre justification : hors du cadre de ce billet.
Euh, oup, cher Tenancier, je comprends la méprise, c'est entièrement de ma faute : la réaction à chaud sans valeur, c'était la mienne ! Je reformule donc le début de mon commentaire "je ne peux vous offrir que ma réaction à chaud, peu structurée, un ressenti premier assez impulsif et qui ne vaut pas grand chose"...
SupprimerAllons, allons, pour faire la paix, je vais venir vous couper vos ouvrages...
Supprimer;-)
(oh, eh bien merci, mais, j'ose à peine l'avouer, je ne lis qu'en numérique ou presque) (donc pas de réelles pages) (enfin, elles se modulent selon mon degré de myopie)(je suis une mécréante) (ne me jetez pas les tomates tout de suite, attendez que je prépare des bocaux, j'aime confectionner des sauces à l'italienne :-))
SupprimerSinon, j'ai mieux compris votre point de vue, j'ajoute.
"N'avouez jamais !"
Supprimer(Le Boucher Avinain)
Tendance à la standardisation. Corti déjà avait été l'un des derniers éditeurs à ne rien écrire sur la 4e de couverture. Et puis...
RépondreSupprimerSinon, eh bien il y a des librairies sans libraire comme il y a des maisons d'édition sans éditeur et des livres sans écrivain.
Eh oui, PhA, c'est à peu près ainsi que nous sommes passés du «2e plat» à la «4e de couverture»...
RépondreSupprimerÀ con s'en charge, mauvais con promis !
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ArD
Il semble, cher Tenancier (vous me contredirez éventuellement avec vos aménités dominicales si célèbres) que la question que vous évoquez trouve plutôt réponse chez le lecteur que chez le libraire. Le con serait donc bien le lecteur. En 2008, Corti évoquait déjà ce problème en précisant qu'Amazon.com, leur premier client est une entreprise sans libraires mais qui possède des Fenwick, et qui se trouve confrontée à des acheteurs qui renvoient les livres avec la mention « livre défectueux ». Amazon passe beaucoup de temps à lui en retourner un autre, puis un autre, sans se soucier que c’est le même.
RépondreSupprimerOn lit parfois sur Amazon pour Corti «livre non massicoté», pourtant.
ArD
Un lecteur assez ...(choisissez votre vocable d'oiseau au ramage le plus coloré)renvoyant un Corti soit disant défectueux car non massicoté mérite-t'il d'avoir accès à un texte de Gracq ? (Je prend Gracq car celui-ci à toujours refusé d'être publié au format poche.)
SupprimerEffectivement, cela se passe également comme ça sur les plateformes de distribution par le net. On ne peut décidément pas blâmer le lecteur qui ne rencontre pas forcément souvent les bouquins de chez Corti. Comme je le dis plus haut, le problème ne se situe même pas là et devrait même faire l'objet d'un billet séparé. J'avoue que l'envie m'en manque. Le fond de cette histoire est le suivant, selon moi : qu'est-ce qu'un libraire ? Ce devrait être un métier qui rassemble certaines connaissances matérielles et intellectuelles spécifiques, une capacité de dialogue avec des clients, une maîtrise des capacités professionnelles -concepts parfaitement superposables à d'autres professions. Or, j'assiste depuis des années à une déqualification vertigineuse des acteurs du métier, cette histoire que je commente étant un épiphénomène de plus. Le libraire devait transmettre la connaissance matérielle du livre autant que le contenu, ne serait-ce que pour démontrer qu'il a encore une maîtrise sur les objets qu'il manipule. Il n'en n'est rien et c'est effrayant. Comment ces gens peuvent-ils parler "d'amour du livre" sans en savoir un peu plus sur la façon de les fabriquer ? Comment défendre une chose privée de sa substance. A ce compte, le papier vaut autant que la surface électronique : support d'information neutre, rencogné aux limbes du "circulez, y'a rien à voir". Il fut une époque ou ce métier de libraire était la coagulation de toute la chaîne du livre, un aboutissement. Désormais, c'est en grande partie un sous-prolétariat mal payé et ignare, jusque même pour le contenu de ce qu'il vend (vous savez, le "classique qui lui tombe des mains")... quand il existe encore. Car vous l'avez bien remarqué. Le Fenwick est devenu tout aussi efficace.
RépondreSupprimerComme dit Boby Lapointe : "...quel temps on perd, je m'énerve, nerve, nerve,nerve..."
RépondreSupprimerDes livres déjà coupés pour vendre une littérature qui met beaucoup d'eau dans son vin, c'est un peu logique.
RépondreSupprimerAh, le Fenwick, Tenancier ! Le Fenwick ! Vu, une fois, mais rien qu'une fois, juste avant noel, en la vieille cité de Mauzé-sur-le-Mignon, celle que je dis toujours( parce que c'est vrai) être la cité qui vit ce Cochon de Morin de Maupassant, aux lisères mystérieuses du Marais poitevin, un jour que je faisais des courses, comme tout le monde, hein, aux approches de la naissance du gesticulateur du désert, genre bonbons au chocolat ou je ne sais quoi, me souviens plus. Peut-être de la lessive, en fait... Oui, heu...Bon ! Bon ! Bon ! Au fait ! Au fait ! Oui, je voulais dire que là, dans un intermarché, j'ai vu arriver, rayon semblant de librairie, sur un Fenwick qui déboulait de l'entrepôt jouxtant le bâtiment commercial, deux palettes de Rimbaud et que..Ben et que, quoi...
RépondreSupprimerOui j'en conviens, je fus un peu long... Z'cusez-moi...
C'est un bonne raison pour les avoir à moindre prix. Maintenant il y aura une section spéciale "Livres défectueux" dans les librairies ou sur le wouèbe où le bouquin de Corti vaudra également un Folio...
RépondreSupprimerBonsoir.
RépondreSupprimerCorti ne fait (faisait ?) pas que du non massicoté.
J’ai acquis, il y a... un « Manuscrit trouvé à Saragosse », coupé, que je relirais néanmoins régulièrement avec un plaisir moins parasité si les apostrophes n’étaient toutes déféquées par les diptères de service...
La 1re fois, je suis retourné en vitesse à la couv. Oui, c’est bien du Corti José. Ça alors...
K.-G. D., râleur de service.
Et encore, vous n'avez point la soi-disant "édition de luxe" du « Manuscrit troué par un sale gosse », qui n'est qu'un cartonné moche et pas solide.
RépondreSupprimerÉrik, j'abonde.
Vous parlez des 750 exemplaires du Manuscrit d'Ouvéa (Sarah gosse), Tenancier ? Jamais vu un seul, pour ma part.
SupprimerMais je crois que cette publication de mai 1989 fut le premier ouvrage non-massicoté que publia Corti.
Si le bruit qui court s'avère, on aura beau jeu de dire que Corti zone (c'est énervant) !
Et je trouve la remarque d'Alfonse on ne peut plus pertinente…
Oui, Alphonse a raison.
SupprimerPour le Potocki, venez le voir à la maison. Vous aurez le droit à une petit blanquette en prime, mon cher.
Merci cher Tenancier de nous lire si attentivement.
RépondreSupprimerNous vous tiendrons informé de la suite des événements.
Ah mais il vous en prie. Donnez-nous donc le lien qui va vers votre billet, s'il vous plaît !
RépondreSupprimerAvec grand plaisir :
RépondreSupprimerhttp://lalignedeforce.wordpress.com/2012/03/05/le-retour-des-livres-non-massicotes-3-2/
C'est à Fabrice d'e-gide que nous devons notre rencontre numérique, qu'il en soit remercié !