La Pieuvre par Neuf
- Premier Tentacule


Il était une fois, un billet sur Jacques Abeille : un écrivain en plongée dans un imaginaire qui foisonne de charnu, de dodu, tant en peinture qu’en écriture, un particularisme artistique évident qui ne laissait pas le Tenancier indifférent selon toute évidence. Et moi encore moins, pour deux raisons : j’avais connu cet auteur grâce à l’un de ses premiers éditeurs, et la fraîche lectrice que j’étais, avait débarqué chez le Tenancier grâce à cet éditeur encore (Fornax). Sans le savoir, le Tenancier créait un fil d’Abeille dont il faisait son miel et je me délectais à lire les commentaires approfondis de C. Arnoult auxquels notre Tenancier répondait scrupuleusement. SPiRitus étoffa le sujet avec une reproduction de deux couvertures d’ouvrages rares et délicats de ce même écrivain qu’il détenait dans sa collection privée.

Je me distrayais des commentaires d’Otto qui découvrait cet écrivain, et qui relevait que « monsieur Abeille aime les dames et leur compagnie, il semblerait. Un bon point pour lui… » et qui devant l’insistance du Tenancier à produire des billets sur Abeille (trois en deux mois) écrivit qu’il faudrait bien il se décidât à le lire un de ces jours.
Un autre commentaire, de CLS (l’éditeur Fornax), m’avait titillée : «Merci, tenancier de mon cœur, pour ce billet. S'il pouvait servir à convaincre quelques lecteurs non encore convertis de l'irréfragable nécessité de lire Abeille, ce serait merveilleux. Jacques, et je pèse mes mots, est l'un des meilleurs écrivains de langue française encore vivant.»
C’était septembre 2009, parmi les lecteurs assidus de ce blog, je tenais un abeillophile et un abeillo-néophyte, à savoir SPiRitus et Otto, l’étincelle d’un synapse farceur se chargeait du reste : je décidais qu’Otto serait ma «victime», son sens de la dérision s’y prêterait bien et aussi le désir que le Tenancier avait suscité chez lui de lire Jacques Abeille serait assouvi. À cette heure, j’envisageais une farce en un seul épisode : envoyer anonymement à Otto un livre de Jacques Abeille, ainsi Otto travaillerait un peu du chapeau, il en référerait à son grand ami le Tenancier et on rigolerait un petit coup. Je n’imaginais pas une seconde l’étendue que prendrait mon envoi anonyme plaisant et plaisantin.

Ni une ni deux, sans la moindre insistance, j’écris à Monsieur Yves que je lui serais éternellement reconnaissante s’il me transmettait l’adresse postale d’Otto et qu’il pouvait me faire confiance, je n’en ferais pas de mésemploi. À cette heure, Monsieur Yves, notre Tenancier n’a aucune idée de mes intentions, il me transmet illico l’adresse d’Otto. Il ne me demande aucune justification, je suppose qu’il pressent mon esprit farceur, j’ignorais qu’il était doté de ce même travers : le goût de la farce (ah ça ! Il m’en a raconté une sacrément bonne qu’il avait faite à Otto sur un quai de gare !). Le Tenancier et moi sommes nés le même jour, on mettra notre goût commun pour la farce sous l’effet du signe virginal du Zodiaque et hop !, en avant les futures parties de rigolade qui s’ensuivront. Des commentateurs, aucun ne connaissait mon écriture, sauf un. Je prenais le risque de ne pas l’avertir : il s’en amusera probablement, me dis-je in petto. Il me faudra simplement éviter de poster de Marseille, puisque Otto sait que j’y habite.
Cette farce avait un triple dessein : elle ferait plaisir à Otto, elle me faisait rire, et elle nourrirait le blog par l’instrumentalisation d’Otto par un tiers (moi). Notre Tenancier aurait tout pour s’en réjouir, cela ne faisait aucun doute. Une farce sans complot, car jamais M’sieur Yves ne sera tenu au courant par anticipation, afin qu’il ait le même plaisir que ses lecteurs. Le plaisir, il l’aura toujours avec une longueur d’avance, car Otto manifestera à chaque fois son étonnement auprès de son tendre ami.

Séraphine la kimboiseuse, Jacques Abeille, Atelier In-8. (Voir : Le mystère de l'Abeille) est un ouvrage idéal : il va compléter la revue bibliographique du Tenancier qui ne l’a pas mentionné, et en passant, j’affiche mon penchant pour la petite édition indépendante, ce sera mon premier jalon (et dans mon esprit, le seul, l’unique !). Otto commet un billet dans lequel il ne ménage pas son souci : identifier le «coupable» qui l’a réjoui. Bien entendu, il établit tout de suite une corrélation entre les Feuilles d’automne et la réception de ce livre puisqu’il se souvient bien avoir écrit sur ce blog qu’il ignorait tout d’Abeille : les limites du hasard le titillent.
J’avais commandé le livre à la source, chez son éditeur, et l’avais fait envoyer en précisant bien que je souhaitais que ce soit fait sous le couvert de l’anonymat. Je me rappelle bien d’une certaine Sylvie, un peu surprise par ma demande, un peu craintive à l’idée que le destinataire lui demande de se justifier ; je la rassurais. Je supputais qu’Otto était susceptible de vérifier en amont, il fallait donc que j’emporte l’adhésion de Sylvie, bien au-delà de son simple consentement : L’atelier In-8 ne se compose pas d’un seul homme; s’il venait à l’idée d’Otto de se manifester, comment aurais-je la garantie que toute l’équipe jouerait le jeu ? Sylvie me rassure, elle est seule à s’occuper des commandes, je peux donc compter sur elle. Otto se manifestera et tombera sur un os. Il nous en rend compte le 10 novembre en reproduisant le message de Sylvie.
Notre Tenancier, le premier informé par Otto de la réception de ce paquet-farcé comprend de lui-même que je suis à la source. Forcément, il serait le premier suspecté. Il signera le premier commentaire du premier compte-rendu d’Otto sous le couvert du pseudonyme de Juan Ramon Mirador, sous la phrase qui connaîtra un grand succès par la suite : «C’est pas moi !» D’emblée, le concept de mystérieux expéditeur apparaît, sans majuscules (elles viendront plus tard… le respect ?).
Dix-neuf commentaires, le Mystère s’enclenche, le Tenancier et moi rions sous cape.

ArD
(Illustration de Sabine Allard)

16 commentaires:

  1. Excellent ! Je me réjouis de nouveau, après coup, d'avoir été "l'instrument" (bien consentant faut-il le préciser, même si je pataugeais dans la plus incroyable "mélasse") de ce superbe Mystère !
    Merci encore, chère ArD, que ce fût réjouissant !

    En revanche, cher Tenancier, il faudra que vous me rafraîchissiez la mémoire au sujet de cette blague ferroviaire, je n'en ai pas de souvenir...

    Otto Naumme

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  2. Mais c'est délicieuuuuuuuuuux!
    Béatrice

    PS: une blague ferroviaire?

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  3. Allez, je raconte :
    Otto est un vieil ami et vient nous rendre visite de temps à autre. Cette fois-là je lui avais réservé quelques bouquins car je prends soin de sa culture, à ce garçon. Avant de repartir, je lui ai confectionné un carton ficelé de telle manière qu'il pouvait le porter comme une valise, avec une poignée fabriquée avec de la ficelle (je vous montrerai un jour). Le jour de son départ, je l'ai aidé à porter son carton jusqu'à la salle des pas perdus où je le lui ai remis. Il a dû circuler de long en large avec son carton à bout de bras... sur lequel j'avais collé des pages de Play-Boy avec la pin-up du mois.
    Naturellement, Otto ne s'était rendu compte de rien et se baladait fort innocemment dans la gare Montparnasse avec ces photos fort suggestives...
    Mon grand regret est de ne pas avoir assisté au spectacle complètement : trop de risque de se faire remarquer par lui. Ce jour là, ma fille, qui nous accompagnait, m'a regardé d'un autre œil.
    En tout cas, imaginez un grand garçon avec un chapeau mou, avec un carton à bout de bras, des gonzesses fort anatomiques sur les flancs du dit carton, en train de sa balader dans une gare...


    J'en ris encore.

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    1. C'est vrai, je l'avais oubliée, celle-là...
      Qui m'avait bien fait rire aussi.
      Je regrette juste que les dites photos n'aient pas plus choqué, j'aurais aimé avoir un impétrant venant vitupérer de voir ainsi dévoilée une anatomie. Cela m'aurait diverti...

      Otto Naumme

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    2. Ce que je ne perçois pas bien, c'est comment Otto a pu ne pas voir l'habillage du carton : est-il si grand que la distance de ses yeux à la valise de cordes... ? :)

      Il faut que je me paie le luxe de lire Jacques Abeille. J'ai reposé mille fois "Les jardins statuaires".
      Je vais essayer de me procurer "Un journal de nuit", proses accompagnant les Métiers du Crépuscule, avec des collages de Jean-Gilles Badaire, aux Cahiers du Tournefeuille, 1988 ; et puis "Séraphine la kimboiseuse"...
      A moins que les connaisseurs ne m'indiquent un titre par lequel aborder cette oeuvre assez incroyable...

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    3. Essayez donc certains petits textes parus chez Deleatur, vous en trouverez quelques exemples sur le blog, en cherchant un peu. Reportez-vous également sur les quelques billets sur Jacques Abeille que nous avons commis. Il vaut mieux commencer par des textes courts, à mon avis.

      Pour la "valise" en carton, il faut dire que ce fut mis en scène. Nous avons simulé un peu de précipitation en le raccompagnant et je portais le carton en prenant soin de le dissimuler en partie avec mon manteau. J'ai opté pour le moment où il tenait sa valise dans l'autre main pour la lui glisser directement dans celle qui était libre. Il n'a donc pas eu à en examiner les flancs et, du reste, n'avait aucune raison de le faire. Je trouve que ce coup est le plus beau de ma carrière, je me demande comment Danny Ocean ne m'a pas encore embauché, d'ailleurs. Le plus dur a été de garder mon sérieux.

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    4. Et il faut avouer que je suis, au quotidien, d'un naturel quelque peu distrait. Plongé dans mes pensées, je pourrais croiser ce cher Tenancier sans même m'en apercevoir. Alors, quelques photos sur un carton...
      Et, effectivement, ce très cher Tenancier joua bien le coup...

      Otto Naumme

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  4. La blague est bien plus que ferroviaire...

    Tenancier, si Otto ne se souvient pas de votre farce, c'est donc qu'il ne vous en veut pas du tout.Moi, j'en veux encore à celui qui a réussi à me faire téléphoner à l'ambassadeur de Vienne en Autriche, alors qu'on ne se connaissait pas, l'ambassadeur et moi, et qu'il fut autant surpris que moi.
    Le Tenancier pourrait la développer l'histoire sous la forme
    d'un billet, ainsi cela fera un Mystère avec des hyperliens (!). On est bons pour une tablette numérique, eh !

    ArD

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  5. Cela prouve également qu'Otto n'est pas du tout paranoïaque...

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  6. Paranoïaque ? Pas vraiment, non.
    J'ai un certain nombre de défauts. Et même un nombre certain. Ainsi que quelques "particularités" psychologiques (un caractère de cochon, notamment), mais pas celui-là. Enfin, pas tout le temps.

    Otto Naumme

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    1. Merci, chère ArD, de nous dévoiler les arcanes d'un Mystère qui nous a si longtemps tenus en haleine et fait échafauder les hypothèses les plus saugrenues — jusqu'à frôler parfois la vérité.
      Ce dévoilement me semble aussi digne d'intérêt que le Mystère lui-même : vivement les prochains tentacules !

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  7. La grippe, autre pieuvre, ne me permet pas de dire - pour le moment - mieux et plus long que : merci, ArD.

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  8. George, c'est bien cette quête de la vérité qui, à chaque épisode, était susceptible de faire avorter le Mystère et je vous dois bien à tous d'avoir stimulé les tentacules.

    Reprenez vos forces, cher SPiRitus, car ce n'est qu'une mise en jambes. Vous allez bientôt entrer en scène...

    ArD

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

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