Autodafé






[…] « Le symbole de toute cette campagne contre le libéralisme et l’individualisme nous paraît être l’autodafé de livres qui eut lieu à Berlin le 10 mai 1933. Cette manifestation, organisée par les étudiants groupés en un Comité d’action contre l’esprit non allemand, se déroula sur le mot d’ordre : « L’esprit allemand prend son essor. » Elle revêtit l’allure d’une cérémonie solennelle, avec un ensemble de rites empruntés aux traditions des corporations. Une fois que le bûcher des livres eut été dressé, neuf crieurs s’avancèrent l’un après l’autre en répétant, sous la forme d’un serment, des paroles moralisatrices : « Contre la décadence et contre la dégénérescence des mœurs ! Pour la discipline et la morale au sein de la Famille et de l’État ! […] je livre à la flamme les écrits de Heinrich Mann, Ernst Glaeser et Erich Kästner. » Ce jour-là, vingt mille volumes furent brûlés sur la place de l’Opéra, et les mêmes scènes se répétèrent dans toutes les universités allemandes. Quant aux thuriféraires du régime nazi, peu sensibles aux protestations venues de l’étranger, ils s’appliquèrent à justifier l’entreprise des étudiants. Will Vesper écrivit par exemple : « En maints endroits, on proteste maintenant sous prétexte que les étudiants, en brûlant cette littérature ordurière n’ont pas toujours jeté au feu ce qu’il fallait. C’est possible. Mais l’intention était bonne et justifiée. »
Au XIXe siècle, déjà, en 1817 à Iéna, les étudiants allemands avaient brûle des livres : au nom de la justice, de la patrie et de l’esprit communautaire. A cette occasion, un discours avait été prononcé sur les écrits néfastes et déshonorants pour la patrie : cérémonie au cours de laquelle, raconte un chroniqueur, le titre de chaque ouvrage était annoncé à voix haute par un héraut, et à chaque fois les assistants répondaient en un cri énorme : « Au feu ! Au feu ! » Dans Almansor, le poète Henri Heine avait alors déclaré : « C’était un simple prélude : là où l’on brûle des livres, on finira par brûles des hommes. »
En quelques mois, les nazis avaient déterminé un clivage entre les bons et les mauvais écrivains. Pour certains de ceux-ci, l’émigration avait commencé ; pour d’autres, c’était la prison et les camps ; pour d’autres enfin, le silence pur et simple. Les bons, eux paradaient ici et là, glorifiant (comme Gottfried Benn à la radio) les bienfaits du nouveau Reich envers les intellectuels. La mise au pas exigeait encore une assise juridique solide, afin que toute opposition fut définitivement muselée, mais les premiers travaux de centralisation du pouvoir sur les lettres et les arts avaient été menés à bien, conformément au programme culture du parti national-socialiste. A la phrase prémonitoire de Henri Heine dont les écrits étaient maintenant interdits répondait une réplique prononcée par l’un des personnages du Schlageter de Johst, exemple de l’homme nouveau prôné par les nazis : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver !... (*) »
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(*) C’est une phrase qu’on trouve attribuée alternativement à Goebbels ou à Goering dans les écrits français… (Note de l’auteur)
Lionel Richard : Nazisme et littérature (1971)

1 commentaire:

  1. Comme un froid dans le dos...
    Surtout à penser qu'ils seraient tant et tant, de nos jours, à penser qu'interdire, censurer, rectifier, ce n'est pas "mal", c'est "normal", "moral", "logique".
    Et ils ne sont pas forcément là où on le pense, ceux qui verraient volontiers brûler des livres...
    Pas forcément...

    Otto Naumme

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