Généralement, un libraire ne révèle jamais les endroits où il se procure les livres. Il craint que la concurrence ne s’abatte sur le lieu et le vide tel un nuage de sauterelles en Afrique subsaharienne. On pourrait volontiers faire une exception en citant Emmaüs. Vous en trouverez toujours un près de chez vous, plus ou moins garni de ce que vous cherchez.
Celui qui est à côté de chez moi possède un ancien hangar agricole bourré de livres. Il ouvre le samedi, le dimanche et le mercredi, il est à une petite dizaine de kilomètres de ma librairie.
Voici comment on procède pour y faire ses emplettes :
Rendez-vous une demi-heure voire trois-quarts d’heure avant l’ouverture devant la grille de la Communauté locale, à se geler ou cuire selon les saisons, histoire d’être bien placé. Rassurez-vous, vous ne marinez pas seul. Vous vous retrouvez avec des brocanteurs, des bouquinistes ou des mères de famille sans le sous et qui viennent habiller leurs mioches à peu de frais. On piétine, on lie conversation, parfois, rarement avec les gens qui sont dans la même branche, de choses très vagues en tout cas. Vers 14h25, la tension a monté d’un cran, on se masse contre la grille, on sent les starting-blocks qui frémissent sous les talonnettes. On se tait, on envisage l’adversaire potentiel.
Il va y avoir une longue course à faire.
14h30 : ouverture des grilles, c’est la ruée. Le sprint dure une centaine de mètre dans une ancienne ferme en forme de U. On fait attention à ne pas renverser les poussettes, à ne pas bousculer les quelques personnes âgées aussi.
14h31 : Arrivée dans le hangar en question, on grimpe au premier étage, là où sont censées se trouver les plus belles pièces.
Sauf que…
Sauf que je ne cours plus et que je ne vois pas un intérêt particulier à aller à cet étage pour un « chopin » potentiel ou simplement pour avoir la satisfaction d’être le preum’s.
D’abord, je dis bonjour aux membres de la Communauté qui s’y trouvent et je commence mon petit tour dans le hangar.
Lorsque l’on cherche, il convient d’être méthodique, commencer son tour en haut à gauche pour finir en bas à droite de l’entrepôt. On fait chaque rayon livre par livre. On réserve une main pour le tas de bouquins que l’on constitue au fur et à mesure de la progression entre les travées, l’autre pour retirer les ouvrages du rayonnage ou se moucher, car vous évoluez dans le royaume de la poussière. Lorsque votre bras fatigue, vous le déposez (le tas de livre, voyons !) au bureau au fond ou un membre de la Communauté vous le met de côté, et vous reprenez là où vous aviez abandonné.
Avec cette méthode, il faut faire fi des déconvenues. Tel sale type est passé devant vous avec une pile de Louis Guilloux que vous auriez pu prendre si vous étiez allé tout de suite devant le rayonnage où sont entreposés les Gallimard. Tel autre vient de prendre un tome d’Autour d’une vie de Pierre Kropotkine sans se soucier de prendre son pendant, or celui-ci est un bouquiniste… donc du métier, mais la chose n’a pas l’air de l’effleurer. Vous maugréez. Mais tant pis, vous prenez le tome qui reste, pour Kropotkine (une édition de 1921), pour les moments enchantés qu’il a procuré à sa lecture qui est moins un manifeste qu’un ouvrage d’une immense modestie. Ce tome II attendra sûrement longtemps son acquéreur.
Les heures passent, vous êtes toujours dans la poussière qui volète autour de vous. Peu vous chaut, vous n’avez pas mis de chemise blanche mais une vieille limouille de circonstance.
Au bout de la journée, la foule qui remplissait l’entrepôt s’est clairsemée. C’est le moment où, parfois arrivent quelques livres que des Compagnons ont été débarrasser dans la région. Un Gracq en édition courante, un livre sur la Maison du Docteur Blanche, etc. vont rejoindre le lot.
Ça y’est, vous êtes arrivé au bout de votre pérégrination entre les Inch’Allah et les Mektoub, entre l’espoir et la fatalité. Vous avez rempli un carton, voire deux. Ça vous coûte une trentaine, une cinquantaine d’euros, tout dépend. Vous y avez passé l’après-midi et vous êtes lessivé.
Mais content.
Oh ! Vous ne l’êtes pas vraiment pour ce que vous avez acheté mais parce que vous vous êtes prêté à une sorte de quizz sans buzzeur, exercé votre mémoire et votre sagacité à acheter quelques bouquins, lesquels ne constitueront pas les plus belles pièces de votre fonds, loin s’en faut. Seulement, vous les avez choisis, vous en ferez un descriptif, les insérerez dans vos listes, leur redonnerez une seconde chance. Dans le lot, vous avez récupéré une trentaine de numéros de la NRF des années 30, un livre de Jacques Bens, un autre de Dominique Rolin… rien de très bibliophilique, mais la librairie comme je la pratique est faite aussi de cela, de quelques ouvrages un peu moins huppés, mais dont le contenu est attrayant.
Comment ?
Je ne vous ai pas dit ou cet Emmaüs se trouvait ?
Ça va pas la tête ?
C'est un plaisir de vous suivre chez Emmaüs... :)
RépondreSupprimer3 Emmaüs à moins de 15 kms de chez moi... J'y vais régulièrement.
RépondreSupprimerOups, j'avais oublié le pseudo... si un jour tu souhaites trouver un livre particulier, je peux regarder pour toi...
RépondreSupprimerLa cousine, nous pourrions éventuellement en discuter. Notons que celui dont je parle est de plus en plus fréquenté par des professionnels - ce qui n'est pas grave - mais également par des "faux particuliers" ce qui est un peu énervant.
RépondreSupprimerA quoi reconnaît-on donc les professionnels ou les "faux particuliers" dans les hangars d'Emmaüs ???
SupprimerLors de ma dernière visite, nous n'étions que trois pèlerins dans le rayons des livres : un inconnu, une amie et ma pomme ... Tout un monde quoi !
Ce sont des personnes qui achètent en lots très importants et qui généralement ne demandent pas de facture. Or on voit très bien la nature de ces achats... C'est un peu au ressenti que je les identifie comme tels. Je n'ai rien contre ces faux particuliers, dans un sens. S'ils font cela, c'est qu'il leur faut arrondir leurs fins de mois dans une société ou le nombre de pauvres s'agrandit de plus en plus. Le seul problème que je rencontre avec ces faux particuliers est qu'il nous arrive d'être en concurrence pour certains types d'ouvrages et que je suis obligé pour ma part de payer des charges sur ce que je vends. Après le premier énervement, ça passe. Mais il est vrai que, depuis que j'ai rédigé ce billet, il devient difficile de trouver des choses. Les rayons sont "raclés"...
RépondreSupprimerEt, pour fréquenter quelques vide-greniers et autres "brocantes" de rue, il est clair que ces faux particuliers ne sont pas tous là pour arrondir leurs problèmes de fin de mois. Certains font même de ces vide-greniers et autres leur activité principale : ils sont professionnels sans en avoir les contraintes et les frais. C'est parfois assez désagréable...
SupprimerOtto Naumme