Mais pourquoi écrivent-ils dedans ?

-« Quel est le bougre de cochon qui a salopé ce bouquin ? »
Oui, en gros, c’est le genre d’exclamation – en moins aimable – qui sort parfois de mon bureau lorsque je fais le recollement d’un livre avant de le rentrer sur mes listes. Il arrive parfois qu’un ouvrage ait subi l’affront d’une ou plusieurs annotations de la part d’un précédent propriétaire. Si j’étais doué pour l’understatement, je qualifierais celui-ci d’indélicat et comme nous sommes dans un blog qui ne se veux pas confidentiel, j’en resterai là.
Mais je n’en pense pas moins.
On va croire qu'il n'existe qu’un livre dans mon fonds, mais j’ai de nouveau choisi le numéro de la revue The Quarto, qui recelait déjà une brunissure due à un marque-page oublié, pour vous montrer un exemple de ce type de dégradation :

Stylo-plume et crayon, soulignures, notes marginales, on peut dire qu’il ne s’est pas privé !
Ce qui est plutôt admissible et attendu pour un ouvrage scolaire ou universitaire – du reste on en fait pas l’acquisition - devient une déconvenue pour une revue de luxe. Il ne semble pas que l’auteur de ces annotations en ai eu conscience ou que cet aspect des choses lui était négligeable, signe d’un propriétaire au-dessus des contingences matérielles ou alors doté d’une ignardise abyssale.
Un libraire est tenu de faire le recollement des livres qu’il met en vente. Rien de plus logique et normal. Il doit vérifier les vices de ce qu’il vend et en faire un descriptif conforme. Ce sont les usages du métier, c’est tout bêtement faire son travail. Mais il se peut que l’on commette des omissions, des bévues, des erreurs, appelez cela comme vous voulez. Il faut alors savoir faire immédiatement amende honorable et réparer le préjudice que l’on cause à son client.
C’est le prix d’une réputation et d’un travail sérieux.
Pourtant, parfois, ces annotations manuscrites peuvent avoir leur charme, pourvu qu’elles dépassent les limites d’un travail personnel.
Ainsi, je possède dans ma propre bibliothèque un ouvrage de Fosco Maraini sur le Japon abondamment commenté – au crayon à papier ! – et qui constitue un dialogue critique avec les propos de l’auteur. C’est à une lecture à plusieurs niveaux à laquelle nous sommes conviés, d’autant plus plaisante que les notes sont produites par un homme d’esprit, plutôt sévère à l’occasion. Hélas il restera à jamais anonyme pour moi.
C’est sans doute pour cela que j’ai le compliment facile.
Tous les livres ne comportent pas des annotations laudatives.
Parfois ça flingue.
Voici la notice d’un autre ouvrage que je mets en vente :

«[…] Ouvrage agrémenté de quelques commentaires au crayon à papier peu amènes sur l'ouvrage : ''Livre idiot'', ''mal écrit'', ''mensonges'', ''bave haineuse'', qui font penser que ce roman se situant en Afrique coloniale n'a pas eu la faveur des habitués de cette bibliothèque militaire. Pas de quoi se laisser décontenancer pour autant, la littérature récente regorgeant de livres encore plus idiots. On peut donc juger que ce présent ouvrage est sauvé par son lecteur, malgré lui. »
Il s’agit d’un ouvrage de J.C. Holl : Les casques blancs.
Comme quoi la méchanceté conserve.
Enfin, si vous possédez un ouvrage annoté par un auteur connu, inutile de vous dire que cela a beaucoup d’intérêt. Reste à démontrer que c’est bien l’auteur qui a rédigé ces notes.
Cela dépend aussi de l’auteur…
En ce cas, la méchanceté ne conserve pas.

8 commentaires:

  1. Bonjour et longue vie à ces feuilles d'automne. Et merci pour ces informations sur la "peau" des livres, mais n'hésitez pas à nous conter aussi l'intérieur, nous ne serons jamais assez nombreux pour parler de littérature.

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  2. Cher Henri,
    Si je veux causer de littérature - et je ne m'en prive pas - je vais sur votre blog. Et soyez assuré que j'y serai fidèle encore longtemps. Ceux qui lisent ce message peuvent d'ailleurs venir nous y rejoindre par le soin d'un lien en haut sur cette page...

    Y.L.

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  3. Pires sont les traces de surlignages au Stabilo. Insupportables coups de soleil d'inepties pris à la lecture.
    Un cas qui mériterait une décollation.

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  4. Je tombe ici, par hasard, en suivant divers liens. Vos articles sur la vie des livres sont assez touchants ... Pour ma part, j'écris relativement souvent dans mes ouvrages, mais j'ai un double excuse : je n'ai que des petits livres de poche, et puis c'est toujours au crayon gris ! Je plussoie Phil : il est particulièrement insupportable de lire un livre surligné ... Je me souviens de belles phrases de L'ensorcelée mises en rose fluo ... Mais le propos n'est sans doute pas là, puisque vous parlez d'objets anciens et précieux.
    Bref, bonne continuation à vous !

    Cordialement,

    Nibel, blogueuse

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  5. Merci pour vos encouragements, Nibel. Je ne parle pas forcément des "livres anciens et précieux" selon vos propres termes. Cette sorte de dialogue peut également se produire par la médiation d'un livre très récent. Seule compte la qualité des notes...

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  6. Huguette Lendel03 octobre, 2009 13:12

    Cela me rappelle un ami coincé quelques jours à l'hôpital – éloigné fatalement de ses livres – qui m'avait réclamé ma vie de Henry Brulard, je veux dire mon exemplaire, trouvé en brocante sans valeur bibliophilique et furieusement annoté et souligné quasi partout au crayon cependant fin par un lecteur captivé ; et – pour ne pas agacer mon ami cher et pointu – j'en avais gommé tant bien que mal les inscriptions.
    Et bien, il me l'a reproché… Le crayonneur avait relevé et interconnecté toutes les femmes nommées par Stendhal, et mon ami pris au jeu – et aussi très curieux de toutes les femmes – en inclinant assidûment chacune des pages, aussitôt de rechercher la moindre trace laissée par le crayon parfois - ouf - appuyé.
    Faites du bien à un captif…

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  7. Le propre de ces histoires, est qu'elle sont immédiatement admises et assimilées par l'amateur, car nous avons eu tous - dans nos vies de lecteurs - eu affaire à ce genre d'épisode. Là, l'ouvrage de Stendhal, annoté savamment recèle encore plus de mystère. Preuve aussi que l'on peut se survivre dans le livre d'un autre pour un passage de témoins invisible. Merci Huguette...

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  8. Il y a aussi cette histoire qui circule dans nos milieux, du libraire du XIXe récolant une belle édition de Descartes copieusement annotée au crayon. Il efface consciencieusement toutes les remarques, pour s'apercevoir à la dernière page que le lecteur indélicat avait daté et signé sa lecture de son nom : Sainte-Beuve.
    Il existe différentes versions de cette anecdote, ce qui me laisse penser qu'il s'agit d'une légende.

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