Avec quoi le Tenancier gagne sa croûte ?
(3e partie)

Je vous ai fait une typologie, jusqu’à maintenant, de sites avec lesquels j’avais en définitive peu d’affinités car souvent en désaccord avec mes objectifs ou mes moyens, voire mon éthique. Il n’est pas certain que j’adhère complètement au site que je vais vous décrire. Sous bien des aspects il présente des particularités guère aimables comme d’avoir été fondé et maintenu par des gens qui avaient apparemment peu d’affinités avec le livre tel que nous le pratiquons au quotidien dans nos antres. Ce site a plus de dix ans d’existence. Appelons-le :

Un ancêtre ? : Si le marché de la vente en ligne de livres d’occasion est détenu par un nombre réduit de sites par rapport à la quantité de libraires, c’est que ces sites arrivèrent avec des moyens et un savoir-faire que ne possédaient pas les libraires eux-mêmes, bien que la corporation ne fut pas si en retard que cela sur le plan de l’équipement informatique. Toutes proportions gardées évidemment par rapport à d’autre professions ou même par rapport à la libraire de neuf.
Chapitre.com est le site qui déboula sur la scène alors que la concurrence était embryonnaire. Elle mit le paquet sur le marketing et se fit connaître partout à un moment où nombre de personnes découvraient que, miraculeusement, le livre rare qu’ils recherchaient était à porté de clic. Il faut voir les choses en face : ce ne sont pas les qualités de prestations ni de prix qui attirèrent le public mais bel et bien l’effet de notoriété et la publicité qui fidélisa la clientèle. La chose fut efficace car on croise nombre de personnes qui ont encore leurs habitudes de fréquentation sur ce site. Cette sorte d’hégémonie n’alla pas sans heurts avec les libraires, Chapitre.com pratiquant à l’époque des marges prises à la fois aux libraires et aux clients qui concourraient à une inflation du prix du livre. Les commerciaux chargés de démarcher les libraires pour une éventuelle collaboration furent à l’école de la patience, une très rude école, parfois. Outre les marges assez grasses, on reprochait également à ce site de ne pas donner le nom du vendeur. En effet, encore maintenant, les commandes transmises au libraire sont prises en charges par le site et expédiées au client. Avec le recul, ce qui apparaissait comme un défaut majeur du site n’était en définitive qu’un modeste inconvénient. Les libraires qui pensaient fidéliser une clientèle par le net finirent par convenir que ce type de client n’était nullement intéressé par l’exploration du fonds mais bel et bien par l’acquisition d’un ouvrage unique. Peu importait alors la personnalité ou le décorum du vendeur, l’essentiel de la vente se concentrant sur le livre lui-même. Á partir de là que l’on fut anonyme ou non importait moins.
Il semble bien que le site soit en perte de vitesse. Cette diminution d’activité a été certainement compensée par l’investissement du groupe dans des libraires de neuf auxquels on a greffé le nom du site. Là, également, on voit une volonté de diversification de l’activité analogue à ce que nous avons déjà vu à la FNAC ET Amazon et une sorte de retour au source puisque la première activité de cette entreprise fut la vente de livres neufs. La cause en est en tout cas classique : l’apparition ou l’affirmation d’autres sites, pratiquant des conditions financières plus abordables – frais moins élevés pour le libraire / prix non majorés pour le client – a grignoté peu à peu cette position dominante.
Un autre aspect de l’activité de Chapitre.com ne manqua pas d’irriter considérablement la corporation. Il s’agissait que l’entreprise se porte acquéreur d’un fonds considérable de livres pour devenir le premier libraire d’occasion et d’ancien de France. Il va sans dire que cela provoqua quelques remous. Il semble bien toutefois que dix ans après cet objectif ne soit pas atteint. Si l’on ne connaît que très mal la composition des salariés de Chapitre.com, on gage qu’il n’est pas constitué essentiellement de gens formés en la matière. Du reste, nous sommes dans l’exercice des techniques de vente, la plupart du temps et non point dans celle de libraire – ce qui nécessite quelque initiation, enfin me semble-t-il. Or l’achat est un métier, surtout lorsqu’il s’agit de choses un peu anciennes. Pour revenir brièvement au hourvari qui accueillit ce projet d’acquisition de livres, on notera que nombre de libraires furent très heureux de céder des ouvrages, s’en débarrassant à bon compte et contre monnaie trébuchante. On ne puis vous dire dans l’histoire qui gagna le plus à cette transaction.
Pour ma part, j’ai longtemps hésité à collaborer avec ce site et ce n’est que quatre ans après avoir créé la librairie Feuilles d’automne que je signais un contrat de collaboration. Il faut signaler que si les prix y sont encore parfois élevés pour les clients en référence à d’autres sites, en revanche les marges prises aux libraires sont devenues raisonnables par rapport à une époque. Par ailleurs, il semble bien que cette maison soit très sérieuse sur le plan de l’expédition et du service après vente. Cet aspect des choses est assez crucial dans un milieu où la plupart du temps, c’est le site qui emporte les louanges et le libraire les critiques lorsqu’il y a une erreur. Comme le libraire n’apparaît pas ici…

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