Et voilà ce que c'est de traîner…
Il paraît que la procrastination peut devenir un art, le grand Oscar Wilde ne disait-il du reste pas : "je ne remets jamais au lendemain ce qui pourrait être fait le surlendemain !" ?
Mais bon, il est des circonstances où, à force de remettre, l'on finit par se faire doubler. Je ne compte ainsi même plus le nombre de semaines depuis que j'ai promis pour la première fois à l'auguste Tenancier de ce blog de lui pondre un petit texte sur les livres électroniques et ce que pouvait m'inspirer la "vogue" de ces ersatz de culture lyophilisée, qui sont au "vrai" livre ce que les cola états-uniens sont au champagne…
Bref. A force de traîner, voilà donc que j'ai été lâchement débordé par un très sympathique article de Jean-Luc Porquet dans le Canard Enchaîné de ce jour, intitulé "Coucou, rev'là l'ibouque !". Où il est mis le doigt sur toutes sortes de "tares" de ces gadgets électroniques. Ainsi, après avoir relevé dans la pub de l'un de ces outils cet argument-massue : "(il) aura deux boutons de navigation situés à droite de l'écran pour les droitiers et deux autres à gauche pour les gauchers", l'auteur se fait cette limpide réflexion : "Dire que jusqu'ici, pour feuilleter un bouquin, on n'avait même pas besoin d'un seul bouton !". Je n'aurai pas dit mieux pas plus que je n'aurai mieux exprimé nombre d'opinions habilement étayées du sieur Porquet.
Honte à moi donc d'avoir traîné… Mais puisque me voilà enfin devant "l'œuvre", qui plus est avec le "poids" de cet article à ne pas répéter, autant évoquer ce fameux livre électronique et soumettre quelques idées à son sujet. Avec, en premier lieu, une certitude, qui n'a rien de "bien" ou de "mal", n'est juste qu'un fait : le livre électronique va se développer et se répandre de par le monde. Demain ou dans dix ans, je n'en ai pas la moindre idée. Mais, un jour ou l'autre, une immense part des écrits produits par écrivains, essayistes, biographes et même, euh, comment dire, noircisseurs de papier (un terme qui sera alors galvaudé…) ne sera plus mise à la disposition du public sous forme de support papier imprimé mais uniquement électronique. L'on pourra télécharger un roman comme aujourd'hui un album de musique ou un film. Avec les mêmes possibilités : légalement ou non… Le "piratage" de livres électroniques tiendra surtout au prix des ouvrages : si le roman "dématérialisé" est vendu aussi cher que sur papier, ou avec un trop faible différentiel de prix, l'on sait d'avance ce qui se produira. Un autre problème à soulever, c'est l'existence actuelle (amenée très certainement à perdurer) de plusieurs formats de lecture, bien évidemment incompatibles entre-eux : on ne peut lire avec "l'e-book" Machin le roman "Truc" prévu pour être lu sur le lecteur Chose. Donc, de petits malins se chargeront de transposer le fichier d'un format vers l'autre et de le proposer gratuitement sur le Ouaibe…
L'on en viendra par ailleurs à l'impression à la demande. C'est déjà le cas pour l'auto-édition voire, je crois que l'un des habitués de ce blog en sait quelque chose, de certains éditeurs, loin d'être les pires. Un "contenu" (roman, essai, etc.) sera disponible à un prix plus ou moins élevé, voire gratuitement, en téléchargement ; pour ceux qui le souhaiteront, une impression sera possible. Mais c'est plus cher ! Et il ne s'agira pas, dans l'immense majorité des cas, d'ouvrages de bibliophilie, destinés à durer. L'on parle là d'impression numérique laser sur papier d'entrée de gamme, façonné au moindre coût. Evidemment bien plus destiné au roman de gare (aussi respectable soit-il) qu'au livre d'art. Et l'on oubliera bien évidemment les velin et reliures pleine peau : même si cela devenait possible, les coûts d'impression à l'unité de tels ouvrages seraient probablement exorbitants.
Bon. Donc, le livre électronique, porteur d'autant de défauts qu'on puisse en trouver, va s'imposer, qu'on le veuille ou non. Au détriment du livre papier ? Oui et non. Bien sûr, nous aurons droit au couplet "vert" sur l'économie de papier et les arbres "sauvés" – en oubliant juste au passage les moyens particulièrement "écologiques" servant à produire de l'électricité (charbon, pétrole ou nucléaire). Bien sûr également, les aspects "pratiques" du livre électronique – la possibilité de pouvoir trimballer 15 ou 20 ouvrages sur son livre en permanence, avec en sus un accès à Internet pour télécharger d'autres œuvres – ne manqueront pas de faire en partie pencher la balance vers ces nouveaux supports. Mais le livre tel que nous le connaissons aujourd'hui ne risque pas plus de disparaître que le papier n'a disparu de nos bureaux suite à l'avènement de la micro-informatique. Tout simplement parce qu'il ne répond pas aux mêmes besoins.
Le roman de gare, le "best seller de l'été", le livre de recettes, la biographie de Tartempion de la StarAc ou la nième profession de foi de tel escroc politique (pléonasme) peut bien être dématérialisé, cela n'a aucune importance. C'est le fast-food de la littérature, des "trucs" que l'on peut avoir envie de lire mais qui n'ont aucune valeur matérielle : rares sont les personnes qui auront envie de conserver ces ouvrages pour leur contenant (même si les collectionneurs "fous" du Fleuve Noir Anticipation ou de la Série Noire sont l'exacte antithèse de ce propos…). De fait, qu'ils soient sur papier ou sur écran importe peu.
De l'autre côté, il y a tout ce qui fait l'attrait d'un livre "papier", que je ne ferai pas l'affront de détailler aux lecteurs de ce blog, ils savent bien mieux que moi pourquoi ils aiment et, pour certains, produisent de tels ouvrages. Mais l'on évoquera tout de même des raisons "logiques" : un livre d'art, un ouvrage mêlant texte et photos ou même faisant appel à une mise en page originale (pensons à Queneau et ses Cent mille milliards de poèmes), voilà qui n'est pas prêt de pouvoir être praticable sur un écran de "livre électronique", quand bien même ces écrans s'agrandiraient et gagneraient en souplesse d'utilisation.
Pour les éditeurs, le papier est aussi, s'ils se montrent moins obtus que leurs confrères du disque et du cinéma, un bon moyen de différenciation et de marge. Un roman électronique, c'est un roman, point. Le même sur papier, cela peut être l'opportunité d'apporter des "bonus", par le biais d'une mise en page, d'éléments ajoutés, bref de tout un tas de petites choses qui permettent de commercialiser le livre plus cher tout en titillant chez le lecteur le besoin d'appréhender, de posséder, de conserver. Le côté sensuel du livre, en quelque sorte (face à l'électronique, le papier est effectivement le régime sensuel…).
Reste à déterminer ce que va devenir le métier de libraire dans un tel contexte. Si 80 % ou plus de la production est dématérialisée, comment existera-t-il ? Dans l'ancien, tel que le pratique notre cher Tenancier, l'évolution ne se ressentira probablement pas. Après tout, il commercialise d'ores et déjà ses livres du XIXè siècle via Internet. Et ces ouvrages attireront toujours des collectionneurs tant qu'ils existeront (ah, l'acidité du papier…). Pour le libraire de neuf, en revanche, la situation risque d'évoluer. Vers une activité à mi-chemin entre le libraire actuel et l'éditeur à façon ? Peut-être. Mais forcément avec une ouverture sur Internet, par où il fera preuve de sa capacité de conseil et diffusera des ouvrages à télécharger. Mais aussi via sa boutique traditionnelle, pour présenter et écouler les livres sur papier qui continueront à être produits. Mais les mutations du métier risquent d'être lourdes, et aussi difficiles à digérer pour les "vrais" libraires que le fût l'arrivée sur leur marché des grandes surfaces puis des marchands (de tapis) en ligne.
Bref (si l'on peut dire vu la taille du poulet…), voilà une prospective qui tient tout à fait de madame Soleil (quand même plus sexye qu'Elisabeth Teissier, non ?). Pas plus étayé, pas plus sûr. Et puis bon, on verra bien, hein ?
Otto Naumme
Un tel et si beau sujet devrait attirer la polémique et la discussion comme les fèces la Scathophaga stercoraria. Mais je suis bien fatigué ce soir et je n'ai pas le courage de tirer le premier...
RépondreSupprimerPourtant, vous le fîtes, mon CLS.
RépondreSupprimerOn comprend la fatigue qui s'empare des créateurs, l'on ne vous blâme pas. Du reste les articles persisteront tant que durera ce blog. Vous pourrez donc y revenir à votre guise.
A ce propos, et en réponse à la suggestion d'ArD, je vais voir ce que je peux faire, ce blog ne s'apparentant pas techniquement au prestigieux Alamblog... Mais c'est une bonne idée.
Billet confortant. Toute bonne prospective se voulant induite d'une analyse multi-factorielle, après l'analyse du devenir du livre et une amorce d'analyse de celui du libraire de neuf, je serais preneuse d'une analyse de la lecture, du lectorat et de leur évolution (involution ?), histoire de donner à madame Soleil plus de rayonnement. Il semble que la durée de vie d'un livre soit de plus en plus courte et l'espérance de vie progressant d'un trimestre par an, l'avenir (quantitatif) des publications papier est logiquement assuré. Le coût constitue un biais classique et ce billet l'évoque en abordant entre autres l'impression à la demande. Mais qu'en est-il des biais moins évidents ? Par ex., cette part de lectorat (actuel ou à venir) qui se laissera formater par le « livrel », ne constitue-t-elle pas une composante essentielle de cette analyse à visée prospective ?
RépondreSupprimerEn attendant de vous répondre, et en espérant que ce soit notre ami Otto qui le fasse, ArD, voici votre voeu exaucé, puisque vous pouvez désormais consulter les derniers commentaires sur ce blog.
RépondreSupprimerMerci très !
Voilà un sujet traité de manière exhaustive, comme on dit à la radio. Envie de n'ajouter qu'une chose: et les lecteurs, à quoi ressemblent-ils ? A des électeurs, mon général. Je vous le dis, chers amis blogueurs, le meilleur moyen de retourner lire des "vrais" livres est encore de discuter avec un utilisateur-manipulateur de l'e-bouc. A la différence des champagnes, ils n'ont jamais le grade de récoltant-lecteur.
RépondreSupprimerCher Tenancier, je maintiens : madame Soleil est plus sexye qu'Elisabeth Teissier. Même un tabouret serait plus sexy qu'elle, donc...
RépondreSupprimerBref. Pas trop le temps de venir répondre en profondeur à toutes ces éminentes réflexions, mais une seule chose : je ne suis pas si sûr que vous, cher Tenancier, de la disparition du livre papier. Tout bêtement parce que l'objet livre attire et attirera encore. Et que, à l'instar des gens qui téléchargent de la musique (légalement ou non, peu importe en la matière) mais achètent à côté le CD du groupe qu'ils ont apprécié, l'on devrait assister au même phénomène pour les livres. Bien sûr, les "savonnettes" ne feront probablement pas partie des ouvrages achetés, mais l'on s'orientera peut-être vers plus de qualité (on peut rêver, nan ?).
Et je n'oublie pas Phil, pour le côté "lecteur". Il y a à dire, pour sûr !
Otto Naumme
Oh là !
RépondreSupprimerJe n'ai pas dit que le livre allait disparaître. Seulement, son support sera accolé à une valeur ajoutée, une relation intime au texte. C'est là que la bibliophilie va intervenir, que la création typographique et graphique vont être intimement liés. Au contraire de ce que j'ai l'air de dire, le livre numérique va être une chance pour la création parce que la demande va s'augmenter d'un fort affect, de nostalgie et aussi d'exigences. Mais cet effort de renouvellement aura besoin d'artistes et de créateurs qualifiés. Le hic, c'est que l'enseignement de la typographie - je pense que CLS pourrait nous le confirmer - n'est pas en pointe actuellement. Chose peu importante pour le livre virtuel qui peut s'inventer ses propres codes, mais difficile dans le cadre d'un support lourd de traditions et par des contraintes techniques propres, que ce soit l'utilisation du plomb, les types de papiers, les techniques de reprographies, etc. Il suffit également de voir à quel point le milieu de la bibliophilie accorde si peu d'importance à la chose typographique, alors que la revue Arts Et Métiers Graphiques, dans les années 30 publiait de larges articles sur ce sujet, concernant les éditions originales. On peut ainsi s'apercevoir que cette culture là est en recul. Trouvera-t-on encore dans dix ans, vingt ans, cinquante ans, des gens capables de transmettre ce savoir ? Il ne suffit pas qu'une demande existe, il faut que cette capacité à créer perdure. Là, j'ai des doutes. On s'aperçoit actuellement que nombre de livres sont fabriqués par des gens qui connaissent indesign, xpress sur le bout des doigts mais qui ont des lacunes sur le plan des règles typographiques. Comme je ne suis pas un spécialiste, il est même une foultitude de choses qui doivent m'échapper. Si ces lacunes n'ont plus autant d'importance, comme je le suppose, sur un support numérique, cela peut par ailleurs motiver un certain désintérêt pour la création contemporaine des livres de bibliophilie.
La question est là : la culture et le goût pour le beau livre existent-ils encore, ont-ils de chance de perdurer et de former un ilôt qui préserverait le livre-papier ? Ou bien alors, devront nous nous en passer, comme nous nous sommes passé du Vinyl, des cassettes audio et vidéo, des fixe-chaussettes ?
Moi, je suis plutôt optimiste, lorsque l'on voit la fréquentation du Marche de La Poésie et lorsque l'on voit le nombre de petites revues littéraires soignées qui apparaissent ça et là.
Mais nous sommes dans un pays qui lit médiocrement et que la librairie de neuf a peu préparé à goûter à l'objet-livre. Il est assez sidérant que beaucoup de vendeurs ne savent pas faire la différence entre un dos et une tranche, par exemple...
Ah... et puis, Madame Soleil contre Elisabeth Teiissier, c'est un peu Ben Chémoul contre l'Ange Blanc, me faites pas rigoler.
RépondreSupprimerMerci pour la création de l'onglet « derniers commentaires » ; on dirait que vous avez fait un émule. ArD
RépondreSupprimerMerci à vous de me l'avoir suggéré !
RépondreSupprimerC'est le côté jésuite de notre Tenancier : il faut toujours qu'il fasse l'émule du pape...
RépondreSupprimerBon, OK, je sors...
Otto Naumme
Vous devriez avoir honte, Otto.
RépondreSupprimerE-mule en l'occurrence (sur un site spiridonesque). Après l'ibouc de madame Soleil, l'imule du pape. Bon, je passe en sortant. ArD
RépondreSupprimerCe n'est pourtant qu'à peine le milieu de la journée ! Je frémis pour la suite.
RépondreSupprimer... Savais bien qu'un tel sujet allait exciter la salive virtuelle. Rien, hélas, d'aussi essentiel que dans le contenu du billet initial, hors quelques lignes bienvenues du taulier (soit dit en passant et sans faire de lèche). C'est peut-être ça, notre présent. Beaucoup de temps en piapia et vaines discussions, un peu creuses, un peu vaines, sur la toile... et pendant ce temps-là, le vrai boulot ne se fait pas. La facilité technologique a ses revers, comme les vestons ; c'est pour ça que je mets surtout des pulls, même en été. Mais je suis comme tous, je me laisse aller, la preuve... faut dire que c'est si facile !
RépondreSupprimerP.-S. Un aphorisme qui va bientôt se retrouver sur mon site :
RépondreSupprimerSi je ne m'intéresse pas à l'e-book, c'est que je ne tiens pas à devenir chèvre. cls