Où l'on présente un problème de robinet — Où l'on ouvre la fenêtre — Où ça va mieux !

Il existe une règle tacite lorsque l’on se mêle de porter ses écrits sous les yeux du public, c’est celle d’accepter que l’on vous critique pour ce que vous avez écrit, à condition que cette critique ne porte point sur votre personne mais sur ce que vous avez effectivement produit, bien entendu. On peut certes avoir une réaction de colère à se voir critiquer de façon parfois abrupte, surtout sur le produit de notre pensée. Difficile de garder son sang froid en de telles circonstances. Pourtant la règle est simple : accepter toute critique qui porte sur ce que l’on produit, refuser toutes celles qui inféreraient à votre nature intime, à votre personnalité si celle-ci n’est pas impliquée par ce que vous venez d’écrire et qui a donc été critiqué. C’est une disposition simple et pratique. Ainsi, si vous professez telle ou telle opinion, peu nous chaut que vous vous en fassiez l’étendard si cette opinion n’apparaît pas dans votre texte. En revanche, ne vous offusquez pas si l’on vient y redire si vous vous complaisez dans ces opinions et que vous y trouvez, au bout du compte un contradicteur. Et puis, il y a le lieu et le temps de ce texte, à savoir que les supports sur lesquelles on figure ne sont parfois pas innocents, surtout si l’auteur du texte est également l’instigateur du support et que ce dit support – qu’il soit créé par vous ou par un autre – ne soit guère reluisant pour celui qui se hasarde à vous critiquer. Il n’existe pas d’impunité pour un écrit. Celui qui dirait le contraire est soit un religieux soit un fasciste.
Si vous êtes critiqué, c’est votre droit d’y répondre et vous devez le faire également selon certaines règles si vous voulez que l’on vous respecte ou, du moins, que l’on ne vous disqualifie pas. Vous pouvez aussi faire le choix du silence si cela vous chante, cela vous concerne. Il existe d’autres options, couramment utilisées, choisir l’insulte ou se faire passer pour victime. Cela ne grandit personne et cela déshonore celui qui pratique ce genre de dialectique. Face à l’insulte, le critique, en réponse, peut choisir de faire monter les enchères sur le même registre ou alors opter pour la raillerie. En tout cas, pour vous, auteur, vous voici devant une étrange problématique : quoi que vous fassiez, un sentiment de défaite morale vous prend, sans, du reste, que le critique ait fait grand-chose pour vous y précipiter. Vous avez fait le boulot tout seul comme un grand. Le critique vous remercie, vous avez été particulièrement bon dans cette passe-là : ordurier, veule ; tout ce que le critique a omis volontairement d’écrire, vous l’avez révélé de vous-même. Ne reste alors que la plainte et très vite le silence.
Il va de soi que le passeur du texte originel n’est pas innocent. Pour le critique, le passeur et l’auteur entretiennent une relation dénuée d’ambiguïtés, surtout si cette publicité est dépouillée de tout commentaire. A ce stade, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il y a adhésion au fond et à la forme. On a du mal à croire à l’innocence du passeur sauf s’il est sot, ce qui est difficile à croire pour le critique car cela suppose qu’il n’a pas décelé cette fâcheuse disposition auparavant. Cela peut arriver. Ou alors on s’est abusé sur les motivations du passeur. Il en est qui aiment l’art pour l’art, même y compris dans l’expression policée d’opinions ordurières. Cela les concerne et, cela étant posé, cela facilite l’appréhension du problème : « faire abstraction » vaut bien approbation de la part du passeur. Que ce soit le fait d’un manque de réflexion, d’indifférence ou alors de complète adhésion revient au même pour le critique, à ceci près qu’il ne s’en soucie pas dans la critique du texte ni même dans sa polémique avec l’auteur. Mais, un certain discrédit lui sera attribué, d’autant que, dans son rôle de passeur il aura pu par la suite supprimer la polémique qu’il avait suscité en signalant la présence du texte (et se rendant ainsi co-responsable de sa publicité) voire de réactiver cette publicité, débarrassée de son contenu polémique. Cela a un nom. Quelque soit ce nom, c’est un  prise de position. Le critique est en droit d’acter cette manœuvre comme une disposition hostile. Que ce passeur, de plus, entretienne des relations amicales avec les deux parties serait plutôt une circonstance aggravante : désapprouvant l’échange, il aurait pu manifester son retrait tout en laissant les deux protagonistes s’expliquer tous les deux…
On s’en doute, il n’y a rien de théorique dans l’exposé ci-dessus, il résulte d’une expérience récente et assez divertissante de mon point de vue, même si cela se termine par une constatation amère.
Pour conclure, que vous écriviez, que vous critiquiez ou que vous soyez un passeur de texte, votre responsabilité est engagée à partir du moment où vous rendez des écrits publics. C’est une règle saine, on n’ouvre pas un robinet en ignorant le contenu du réservoir ou en faisant comme si son contenu est anodin. Quant à la qualité des échanges subséquent, c’est à votre bon cœur. Celui qui a présidé à l’élaboration de ce présent billet était nettement scatologique et insultant (« Vieux con », « imbécile », etc.) pour qu’on se dispense de le reproduire, on en a pourtant gardé des bouts par devers soi.
On se rappellera de la citation de Courteline à ce propos :
Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet. 
Non que cela me dérange d'exposer des extraits de cet échange, mais ce serait faire rentrer un peu trop d’air vicié au sein de notre blog.
Ouvrons plutôt les fenêtres, voulez-vous ?


20 commentaires:

  1. « Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet. », je l’attribuais également à Georges-Victor-Marcel Moinaux, dit « Courteline ».

    Mais... Ce serait en réalité une forte parole du dénommé Hyacinthe Brabant. Qui va nous zéclairer lumineusement de ses zéblouissantes lumières ? ;-))

    Karl-Groucho D.

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  2. Quel tueur, ce Brabant !
    Merci pour cette précision, cher KGD, mais l'affaire n'est tout de même pas claire puisque cette citation provient d'un livre intitulé Helenka de Cracovie (le texte exact est : "Un des plus grands plaisirs qu'un homme puisse éprouver : être pris pour un sot par un imbécile"), qui date de… 1974, donc largement postérieur à Courteline…

    Pour les non-initiés, cher Tenancier, votre texte est presque aussi hermétique que le contenu des Envois mystérieux, mais permettez-moi une critique.
    Je ne comprends pas que vous écriviez :
    "Il n’existe pas d’impunité pour un écrit. Celui qui dirait le contraire est soit un religieux soit un fasciste."
    Il me semble au contraire que religieux et fascistes ont une fâcheuse tendance à vouloir détruire certains écrits, voire leurs auteurs : combien de livres mis à l'index par l'Église, combien d'autodafés dans l'Allemagne du IIIe Reich, combien de milliers de volumes éradiqués par ces abrutis ? Et dois-je vous rappeler les petits problèmes de Galilée ou de Spinoza, la fin tragique d'Étienne Dolet ou de Giordano Bruno, les menaces de Céline envers Desnos, la liste Otto, la phrase de Goebbels au sujet de la culture ?
    Vous avez dû vouloir dire autre chose, mais je ne vois pas bien quoi…

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  3. La citation de Courteline est issue d'un délicieux texte publié en 1922.

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  4. Ah, pour ceux qui goûteraient le genre de chansons qu'interprète ici Sandrey, on peut en entendre d'autres ici.

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  5. La chose est pourtant claire, George : aucun texte n'est à l'abri d'une critique. S'offusquer qu'il puisse s'en produire, vitupérer contre l'existence de cette critique est justement la douteuse qualité de ceux qui se réclament d'une certaine vision totalitaire. Nous avons la même idée sur le sujet, ce me semble, mais pas sous le même paradigme pour cette fois.
    Au risque de me répéter : Aucun texte n'est à l'abri d'une critique. Celui qui proclame que cette impunité existe est un religieux ou un fasciste. Cela vous convient-il mieux ? Pour les exemples, nous avons justement ces bibles dont on ne devait pas contester la teneur, ces Mein Camphre présent dans chaque foyer du IIIe Reich.
    Vous voyez donc que nous sommes d'accord. Suffisait d'inverser la polarité.
    Pour le contenu hermétique, certes, ça l'est un peu, mais pas tant que cela : il pose la responsabilité du "passeur", celui qui met un lien sur Facebook aussi bien qu'un éditeur, etc. sa responsabilité est engagée, vis à vis de ceux qui prennent connaissance du texte originel, aussi bien qu'envers le critique et l'auteur.
    Quant à la querelle de ces deux derniers, j'ose penser qu'elle est normale, sauf quant l'auteur pour toute réponse entreprend de faire des métaphores scatologiques et le maniement d'injures, ce qui est le degré zéro de la lucidité, pour rester poli. Mais après tout, c'est aussi la responsabilité du critique qui va chatouiller quelques égos qui se révèlent méprisables...

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  6. Rien à voir, mais je me demande soudain si Tarkovski ne voulait pas signifier, en adaptant le roman d'Arcadi et Boris Strougatski, qu'il ne portait pas les stals dans son cœur

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  7. Cela a tout à voir, s'pèce d'hypocrite !

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  8. "Suffisait d'inverser la polarité", en effet, je comprends maintenant très bien : merci.
    Mais pour éviter la confusion dans laquelle j'ai moi-même versé, j'aurais plutôt écrit : "Il n'y a que les religieux ou les fascistes pour considérer que certains écrits sont au-dessus de toute critique / pour vouloir châtier ceux qui critiquent certains textes."

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  9. "Hypocrite", moi ?
    Ah, ne commencez pas les insultes ou les attaques ad hominem, Tenancier, sinon vous allez avoir droit à des noms d'oiseaux…

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  10. Ne faites pas votre Juanito, mon cher...

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  11. Juanito ? J'en étais resté à Marie-Chantal

    À propos de Juanito et de textes hermétiques ou sibyllins, je comprends maintenant ce qui me faisait tiquer et me turlupinait dans ce pseudonyme, "Juan Ramon Mirador" : nul n'a jamais eu l'idée stupide de ramoner des miradors, tandis que certains portent l'accent si haut qu'ils feraient mieux de se taire…
    (Tiens, je viens d'apprendre cette anecdote amusante, à propos de la transformation d'une Rouennaise en chiot…)

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  12. Pour en revenir au propos du présent billet, je me permets de faire remarquer qu'il est cependant des textes d'une telle qualité (par exemple ce chef d'œuvre à propos d'une jument, Rouanne), à sens si haut, que nul ne songerait à les critiquer (sauf peut-être un stal qu'heurterait pareille perfection)…

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  13. Votre Tenancier est complètement paumé, mon pauvre George...

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  14. Dernière minute :

    "À la stupeur générale, on a découvert l'existence d'une rue à nazis en Sion, ce qui a déclenché des émeutes meurtrières."

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  15. Tsss… hauts les cœurs, cher Tenancier !
    (Mais pour une meilleure compréhension, procurez-vous donc une roue à nasses en scies, ho !)

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  16. (ou rappelez-vous l'histoire de cet épargnant stupide qui se rua, naze, au CIO…)

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  17. Attention, toutefois : certains roux (ânes) assènent si haut qu'il n'est plus d'issue que le silence…

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  18. Souvenons-nous enfin du méchant petit O., nuisible impénitent qui fut battu (mais pas découpé) par l'autre gamin, là, qui roua (na !) sans scie O.

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  19. Je ne puis m'éclipser sans rendre un petit hommage à mon amie Anne, la cordelière qui ne nouait pas suffisamment bas au goût de ses clients. Ceux-ci pestaient (c'est pas le Pérou) : "Anne a ses nœuds si hauts !"

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  20. Notre cher George a toujours autant l'art du calembour...

    Pour le reste, cher Tenancier, que dire, si ce n'est que nous sommes d'accord...

    Otto Naumme

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

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