| Les livres sont la mesure du temps. Vient un âge où nous comprenons bien qu’à moins d’exclure toute autre lecture – et comment faire ? – il nous sera désormais impossible, nous n’aurons plus le loisir de relire en leur entier les mémoires de Saint-Simon ou la correspondance de Voltaire. D’ailleurs, à quoi cela servirait-il, alors ? En revanche, un recueil de poèmes, un poème, quelques vers pourraient enchanter les derniers instants. Que de souvenirs remontent à la mémoire ! Nous savons l’instant précis où nous avons acheté tel livre et chez quel libraire, l’endroit où nous l’avons lu et le chemin ensemble parcouru. Ces souvenirs sont impartageables, contrairement à ceux que laissent la musique ou la peinture. On ne découvre pas un livre à deux, au même instant. Gide raconte qu’il vit dans le train un jeune homme plongé dans sa lecture, arracher une à une les pages de son livre et les tendre à sa compagne. Ils lisaient l’un après l’autre. Le livre est la définition de la solitude, de l’égoïsme. Il s’impose à nous, sans nous permettre de répondre. Je ne parle pas des exégètes, des philologues ou des polémistes. La contemplation d’un tableau est partageable. On le regarde ensemble : un personnage, le feuillage d’un arbre, une ville fortifiée dans un lointain bleuté, un héron au bord d’une mare. |
Bernard Delvaille : Pages sur le livre - 2004
L'un après l'autre, oui. Merci pour le partage.
RépondreSupprimerBéatrice