Ordre moral





















Le Tenancier se souvient.
À cette époque lointaine, il n’était pas encore Tenancier mais simple apprenti dans une librairie-papeterie de Saint-Servan. Il avait quelques potes, dont un qui l’avait entraîné brièvement dans une aventure amusante : participer au premier festival de BD de Saint Malo, qui se passait plutôt à la MJC de Saint-Servan. Enthousiaste, j’avais incité mon boss de l’époque à ouvrir des tractations avec le représentant d’un distributeur – la CDE/SODIS – pour obtenir un dépôt des Humanoïdes Associés. Ainsi, je tins le stand de cette prestigieuse maison au cours de ma deuxième année d’apprentissage. Margerin fit un faux tatouage sur mon bras « Humanos fort et vert » et me fit des envois, dessinés, bien sûr, sur deux albums, Denis Sire en fit également autant, sur « La Menace Diabolique », dessin au crayon très sympa que je garde dans un coin de ma bibliothèque. Durant ce premier festival, le sort des élections fit que Fournier, enthousiaste, alla sur la place de Saint-Servan jouer L’Internationale, au bignou. Je revois encore deux ou trois choses comme cela, Rob’ Vel, de jeunes types, à peu près mon âge dont j’ai oublié le nom et même le visage. La vie a continué, je me suis quelque peu détourné de la BD. Restent une affiche – celle dessinée par Goutal que je crois posséder encore – et deux ou trois albums, rien de plus. Un moment amusé et amusant qu’il me plaît de me remémorer au gré des rencontres dans ma bibliothèque ou des entrelacs de la mémoire.
Comme c’est bizarre. On ne pense jamais qu’un moment de l’existence puisse être particulièrement libre ou du moins dénué de contraintes. Tout semblait facile : vous étiez un apprenti et vous rencontriez des dessinateurs, on vous laissait la responsabilité d’un stand, et vous ne pensiez même pas à vous accrocher à tout cela, parce que la vie vous entraînait ailleurs… On exposait, on vendait quelques albums, sans une quelconque crainte.
Le temps passe. Le temps a passé. Il semble qu’il soit défunt.
Trente après, ce festival existe toujours, il est parti chez les bourges, "dans les murs", on dirait. Je viens d’apprendre qu’une exposition consacrée à Reiser, y est actuellement interdite aux mineurs non accompagnés. Ce festival semble être devenu une grosse machine et non une idée de quelques animateurs de la MJC locale.
Tout à coup, ce qui nous faisait rigoler devient une chose grave. Les stands ne sont sans doute plus laissés aux apprentis. On devient las, soudain, à se dire que l’Ordre Moral vous revient comme une sorte de bâton merdeux que d’aucuns semblent enclins à saisir avec empressement.
On interdit d’accès aux mineurs les dessins de Reiser…
Connards.

36 commentaires:

  1. Je dirais même plus :
    Connards !

    Otto Naumme

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  2. Mille et un mercis pour cette note, ô Tenancier !

    (Dites, je ne voudrais pas être mauvaise langue, mais à mon avis Monsieur le Procureur Pinard picole encore.)

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  3. Savez-vous que je suis actuellement en possession de la deuxième édition des "Fleurs du Mal", celle qui fut publié, justement, juste après l'action de ce procureur.
    Amusant que vous me le rappeliez ici...

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  4. Encore une lamentable conséquence de la vastitude de mon inculture : je ne sais rien à cette histoire de procureur Pinard et de Baudelaire. Quelqu'un peut-il me la conter ?

    Otto Naumme

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  5. Otto, ce Pinard était un moraleux d'empire, autoritaire qui se chargea de condamner Flaubert, Baudelaire et Sue pour atteinte à la morale.

    ArD

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  6. Il devint également ministre et fut fidèle à ses opinions même après la fin de l'Empire. On le soupçonna même de conspiration, je crois me rappeler...

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  7. Cher Tenancier, est-ce que la seconde édition des Fleurs du mal aura été déflorée de certain contenu en vertu de cette action judiciaire ?

    ArD

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  8. Oui, en effet, les pièces condamnées n'y figurent pas. C'est une édition en partie originale tout de même puisque Baudelaire a ajouté quelques poèmes. Y figure également le portrait de Braquemond...

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  9. Chère ArD, merci de vos éclairages, je me coucherai avec un petit peu plus de savoir...
    Merci également au Tenancier pour ses précisions...

    Otto Naumme

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  10. "Tout à coup, ce qui nous faisait rigoler devient une chose grave. Les stands ne sont sans doute plus laissés aux apprentis. On devient las, soudain, à se dire que l’Ordre Moral vous revient comme une sorte de bâton merdeux que d’aucuns semblent enclins à saisir avec empressement."

    Je plussoie, cher Tenancier, je plussoie.

    Tenez, je viens de cliquer sur le lien affiché par Moons... Voici ce que j'ai pu y lire, entre autres, à 10 heures 17 : "Sushi à volonté à Strasbourg à partir de 5 €"...

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  11. Strasbourg, c'est déjà l'Est lointain, autant dire le Céleste en pire (vu le nombre d'églises de toutes sortes en activité...)
    Mais que Moons appelle Toulet à la rescousse dans son lien nous va bien au teint.

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  12. Juste un passage éclair, à propos de censure, tiens : un ahuri de la plateforme de Christophe Borhen a jugé bon de supprimer son site purement et simplement, sans le prévenir, il y a quelques heures. Pour le moment donc, Lettres Libres a disparu du web.
    (Vous parliez de conneries ? On nage dedans, décidément.)
    Quant à moi, je remercie encore mes parents de m'avoir fait découvrir Reiser (je devais avoir huit ou neuf ans)...

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  13. Je propose que nous accueillions Christophe sur nos propres blogs en attendant. La connerie est insondable ! Je me demande ce qui a bien pu motiver la censure de Christophe. Qu'on ne me vienne plus parler de la soi-disant liberté que provoque le ouèbe. C'est terminé depuis belle lurette. La censure règne partout. J'ai l'impression que nous nous enfonçons dans une période de plomb...

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  14. Je vous remercie, c'est peu de le dire.
    Aujourd'hui, 12 heures 30, je crois savoir que deux de mes notes - l'une consacrée au "cas" qui gîte rue du Faubourg Saint Honoré et l'autre au blondinet de la place Beauvau - ont fortement déplu à un élu alsacien (et national) qui passe son temps au PMU. Enfin bref, mon webmaster - un p'tit jeunot tout gentil... - a fait caca dans sa culotte et m'a viré de sa demeure sans sommation.
    Bon, comme j'écris tout à la plume, rien n'est définitivement perdu.

    Je vous aime, Tenancier.

    (Ah oui, je m'apprête à poster le présent commentaire en mode "anonyme", mais, bien entendu, je signe des deux mains.)

    Christophe Borhen

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  15. Envoyez-moi donc ce billet, mon cher Christophe, nous allons le mettre céans. j'encourage les Tenanciers voisins à en faire autant et d'envoyer le lien à cet "élu".

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  16. Même si le fait que je l'écrive laisse supposer le contraire, les bras m'en tombent d'apprendre une telle nouvelle !
    Et je suis ahuri de voir ce webmaster agir ainsi, à l'encontre de toutes les lois qui régissent le Web (c'est un peu ma partie, donc...).
    Mais je pense que je vais ouvrir un blog rien que pour héberger ces deux fameuses notes, cher Christophe. Rien ne m'amuserait plus que de voir des élus venir manifester leur courroux à ma porte et tenter de me fermer mon clapet par des moyens qui ne respectent pas la loi. D'autant que j'ai les sphincters solides. Et la susceptibilité très chatouilleuse sur ce genre de principes. Ah mais !
    Donc, cher Christophe, vous savez où m'envoyer ces textes, je publierai.
    Non mais !

    Otto Naumme

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  17. Ouvrons tous un blog de notre côté pour publier ces billets !

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  18. Les Féeries intérieures sont disponibles pour accueillir les billets de notre ami commun.

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  19. De même que le modeste antre de l'Ex, évidemment.
    Saloperie d'époque !

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  20. Oh, mille mercis à tous.
    Mais de grâce ne vous donnez pas tout ce mal, d'autant que mon prochain blog, s'il doit y en avoir un, sera consacré à ces deux vices cachés qui m'enchantent depuis des lustres : le point de croix et le canevas.
    Quoi qu'il en soit, je prends quelque temps de repos avant, bien sûr, de vous redonner signe de vie.

    Christophe Borhen

    Christophe Borhen

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  21. Suis-je bègue ?

    Christophe Borhen, donc.

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  22. Mais, très cher Christophe, c'est que nous aimons ce que vous êtes, ce que vous dites, ce que vous écrivez. Et que nous n'aimons pas, mais alors pas du tout, qu'on empêche une personne que nous savons courtoise et civilisée d'exprimer ses opinions, quand bien même elles ne plairaient pas à un "élu". Surtout si elles ne plaisaient pas à un "élu", même...
    D'autant que, pour être passé faire un tour sur le site de votre ancien hébergeur, on ne peut pas dire que celui-ci s'embarrasse beaucoup de légalité. Aucune mention légale, pas de coordonnées du responsable du site, pas le moindre articulet de conditions d'utilisation, tout cela fleure bon l'amateurisme le plus absolu. Et, comme vous avez pu le constater à vos dépends, la veulerie, la soumission et la dépendance face aux "pouvoirs".
    Nous serons donc ravis de pourfendre ces faquins, ces paltoquets, ces médiocres qui croient pouvoir imposer leur soi-disant puissance tout en s'asseyant sur le droit.
    Enfin une lutte qui mérite d'être menée !

    Otto Naumme

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  23. @ Christophe :
    Je suis pour ma part tout à fait prêt à me joindre à cette nouvelle guerre contre les Andouilles en publiant ou en ne publiant pas tout ce que vous souhaitez que je publiasse ou ne publiasse point.
    Bien à vous tous

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  24. @ Christophe : nous agirons selon votre volonté. Je serais heureux, toutefois, de lire les billets en cause.

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  25. Bonsoir à tous ! :)
    Christophe a donc réagi, et son nouveau blog se trouve ici :

    http://lescarnetsdechristopheborhen.fatalblog.com/

    (Je copie-colle un peu partout, mille excuses, mais il a besoin d'un bon buzz, je pense.)
    Bien à vous.

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  26. Sophie, ne vous en excusez pas ! Je rentre et m'y précipite avec gourmandise...

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  27. Drôle de concours de circonstance ("drôle", je m'entends !). On censure une expo - après l'intervention débile du maire de Paris contre celle consacrée à Larry Clark) et on apprend que le blog de Christophe Borhen est passé à la trappe ubuesque !

    Le temps est à la répression et au retour de l'ordre moral.

    J'ai déjà mentionné la censure des "Lettres libre" sur mon... nouveau blog, ayant été moi-même de la couardise du monde.fr par rapport à quelques commentaires postés sur "Le Chasse-clou" que j'ai donc abandonné le 11 octobre.

    Le lendemain j'ai ouvert un nouveau blog : L'Irréductible.

    Christophe Bohren en a fait de même : ils ne nous aurons pa s!

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  28. Corrections :

    "Les Lettres libres..."

    "Ayant été moi-même victime de la couardise..."

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  29. Nous y allons tous de ce pas !
    Et merci d'aider Christophe, chère Sophie !
    Nous serions tous très tristes que ce cher Christophe soit mal buzzé.

    Otto Naumme

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  30. Christophe : oui ?

    Otto Naumme

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  31. un autre anonyme tu es reconu borhen tu continues a blouser la planéte pauvre type

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  32. Anonyme, allez donc voir là:
    http://feuillesd-automne.blogspot.com/2010/11/chr-bo-amicalement.html
    Vous serez rassuré sur l'état de nos blouses...

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  33. Effectivement, il fût un temps où nous nous fîmes abuser, les commentaires ci-dessus en sont une preuve. Mais nous avons ouvert les yeux, depuis, cher anonyme... Et nous nous sommes bouché le nez...

    Otto Naumme

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

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