Légère inquiétude

Mon dernier billet a suscité énormément de réactions, tant dans les commentaires qui ont suivi que sur d’autres supports, comme Facebook. Cela a été relayé partout, à tel point que la fréquentation de Feuilles d’automne a explosé… Après les premiers étonnements, il me fallait donc revenir à un peu de réflexions sur cette pléthore de manifestations autour de mon texte : il s’avère que nombre d’interventions témoignaient d’un soulagement certain et ce d’un éventail très large de personnes : anciens salariés, petits éditeurs, lecteurs, etc.
De ce qui n’était au départ qu’une réaction individuelle de ras-le-bol vis-à-vis de toute une frange de la librairie dans laquelle je ne me reconnaissais pas, ce billet devint à la fois comme la traduction d’une inquiétude diffuse et comme une sorte d’épiphénomène du rejet des pratiques qui ont cours dans le monde du livre. Il semble bien que ma prise de position, qui n’a rien d’une posture élitiste, vient à la rencontre d’une lassitude grandissante de beaucoup de personnes.
Il ne me revient pas forcément l’attribut de tirer des conclusions sur une branche du métier que j’ai abandonnée il y a maintenant six ans. Je n’ai de qualité que d’avoir travaillé dans le monde du livre que depuis trente-deux ans, à peu près (je continue encore). Perversement, ce billet m’a servi à me rendre tricard de toutes les librairies de neuf. Rédigeant cela, j’avais tout à fait conscience que je me payais un billet de non-retour. Je l’ai fait d’un cœur léger. Je n’ai aucune envie de retourner là-dedans.
Du reste, voit-on souvent des vendeurs en librairie âgés de cinquante ans errer dans les rayons ? Trop chers, diablement chers, dispendieux et raisonneurs et sans doute avec trop d’expérience, ridicule ! Du reste, on ne les voit plus que pour les ouvertures des FNAC, histoire de fidéliser et rassurer les frileux et les ratiocineurs. Des semblables, allez savoir.
Bref, je voulais rassurer ici les personnes qui décelaient chez moi une tendance à l’aigreur : le Tenancier se porte bien, a beaucoup ri ces derniers temps surtout de ceux qui se sentaient particulièrement visés.
Mais pour autant, si je m’abstiens de conclusions et a fortiori de jugements généraux, je ne peux tout de même pas m’empêcher certaines constatations. D’un texte écrit en une demi-heure sur le coin de la table sur des bribes d’expériences personnelles, on a réagi sur des détails ou alors en reprenant point par point ce que j’avais dit, avec parfois de considérables efforts d’adaptation. Or mon propos était l’expression d’un sentiment individuel et non une critique de la généralité. Enfin bref : de ces efforts disparates, il ressort de mes contradicteurs que « tout se passe bien », à les en croire. Le système est certes perfectible mais, dans l’ensemble, si le vendeur sait garder sa place – sous entendu qu’il débite sans se poser de question, selon ce qui semble les vœux d’un anonyme – et que le taulier est « conscientisé », cela devrait boumer pour le prochain millénaire. Ah et bien sûr, aucun de ces intervenants – sur le blog ou ailleurs – n’a jamais fait preuve de collusion avec le système de distribution du livre actuel ! Ils font tous des choix déterminés et responsables. En résumé : « C’est pas moi ! ». En cela, je veux bien les croire. Nous avons tous dans la manche un bon libraire, comme nous avons un bon représentant d’une minorité de quelque part – les Roms en étant les derniers avatars, par ailleurs. Mais alors je voudrais bien savoir comment vont se débiter les 250 000 exemplaires annoncés du prochain Nothomb. Sans doute que cela ne vient pas jusque chez ces libraires.
A leur place je gueulerais, c’est un assez gros manque à gagner !
Salauds d’éditeurs !
Que conclure ?
Si tout est aussi formidable, je n’aurais peut être pas dû signer ce précédent texte, après tout, et sans doute que nombre de ces lecteurs un peu frustrés de ce qui se passe auraient dû s’abstenir de se manifester. Notre attitude a été irresponsable tant il est vrai qu’un problème professionnel ne concerne après tout que les professionnels eux-mêmes. Sans doute que, frustré, amer, voire inconscient je me suis livré à un petit jeu malgracieux qui fait du tort à une noble corporation qui jamais au grand jamais n’a eu de problèmes d’éthique, de menace d’autodestruction, de disparition accélérée des centres-villes et dont tous les salariés ne sont après tout que de futurs frustrés, amers et inconscients.
Je suis un peu inquiet.
J’y suis peut être allé trop fort ?

19 commentaires:

  1. Cher Tenancier, je pense que cette mise au point, si c'en est une, ne va pas arranger votre dossier, ce qui est bon signe.

    (Ah oui, j'allais oublier : figurez-vous que je n'ai qu'un seul Nothomb dans ma bibliothèque, mais il est signé Paul et j'en ai fait l'acquisition chez un libraire d'occasion.)

    (Un courrier privé (et fourni) suivra ce week-end.)

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  2. Croyez-vous, Christophe ?

    (Serai enchanté de vous lire, vous pensez bien...)

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  3. Ah, mais lis, Christophe ! c'est ça qui importe (si vous me permettez ce tutoiement provisoire).

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  4. Nicolas Grondin19 août, 2010 16:58

    Je n'ai pas le sentiment que tu y sois allé "trop fort". C'était — et tu le dis ici — un billet écrit sans préméditation... et je crois que je pourrais reprendre chaque phrase à mon compte.
    Quant aux libraires (de neuf) détracteurs, difficile d'accepter que le travail que l'on fait est une collection de mensonges, surtout quand il s'agit de livres.

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  5. Mais c'est un pamphlet sur le corporatisme ! Tenancier, votre ironie va finir par vous rapporter gros.

    ArD

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  6. Grand dieux ! Pensez vous cela sérieusement, ArD ?

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  7. Je ne crois pas cher Tenancier, que vous soyez allé trop loin. De toutes façons, c'est un billet d'humeur et en tant que tel il n'as que les limites que son auteur lui fixe.
    Vu de l'extérieur, malgré tout, je me permettrais une seule remarque, certes un peut simplette mais qui m'est venue instantanément.
    "Pour être ancien, il a bien fallu à un moment qu'un livre soit neuf!"
    Ceci étant dis, j'approuve votre propos, le mercantilisme de bas étage a envahi la littérature qui n'est plus qu'un produit parmi tant d'autre bien trop souvent!
    Mais diantre, que vais-je faire, moi, simple lecteur, si je ne trouve plus de libraire sincère et de bon goût pour me suggérer ma lecture suivante?
    J’ai hélas besoin que quelques courageux continuent tant bien que mal, malgré leur dégoût à vendre des livres neufs, sinon comment découvrirai-je le nouvel auteur qui me fera rêver?
    Mais, je le reconnais bien volontiers, je fonce directement vers les sombres tréfonds des rayonnages, esquivant comme la peste les "mises en avant" et, ma foi, parfois, je tombe sur un intéressant petit bijoux.

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  8. Hugues, il faudrait que je revienne à l'un de mes commentaires du billet précédent pour vous répondre sur le livre neuf.
    Je me contenterai de vous dire que, bien évidemment, je suis content que le livre neuf existe. Il m'arrive même d'en acheter !
    Mais de là à penser que le présent livre neuf a des chances de survivre, c'est une gageure qui est redevable aux critères d'exigence des libraires qui n'ont plus conscience, la plupart du temps, de ce qu'est un livre correct sur le plan matériel. J'ai dans mon fonds des Mercure de France de 1789 en bien meilleur état que bien des livres récents qui n'ont fait que vivre innocemment dans les mains de leurs lecteurs...
    C'est une responsabilité que les libraires n'assument pas, faute de le savoir, faute de pouvoir, également. Mais c'est une prise de conscience nécessaire car le recours à l'occasion est déjà extrêmement fréquent devant la diminution générale des tirages du neuf et donc de l'inintérêt de l'éventuelle réédition d'un titre (en tout cas dans un délais acceptable).

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  9. Il est des billets parfaitement concoctés, réfléchis, pesés, mesurés, millimitrés... des oeuvres quoi!
    Il en est d'autres qui sentent le vrai, le spontané, qui hurlent et qui saignent, qui gigotent, qui frétillent, qui taraudent, qui touchent, tant dans leur contenu que dans l'émotion qu'on sent chez l'auteur... des chefs d'oeuvre quoi !
    Vous en commîtes un de cette nature, ô Tenancier. Que vous le vouliez ou non. Et c'est très bien comme ça.

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  10. Le billet précédent m'avait bien fait rire. Il racontait avec une telle précision ce que je vois partout, des grandes surfaces aux petites librairies de chez moi (Annecy, trois librairies pour 60 000 habitants)...
    Et puis je vois qu'il ne fait pas rire tout le monde, et que les aigreurs se détournent du message pour s'attaquer à son porteur.
    Comme vous dites, Tenancier, nous sommes bien partis pour le prochain millénaire, le numérique s'arrêtera à nos frontières et la télé aura toujours une tête de gondole.

    Au fait, le marché de l'ancien en numérique, vous le voyez comment ?

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  11. Si on parle de l'ancien numérisé, tout le monde tente de s'y mettre également, tant les bibliothèques (nationales que municipales) que Google et autres. On avait un peu abordé le sujet ici même par le passé, mais il est vrai que l'on pourrait y revenir. Notre spécialiste est actuellement aux fraises avec sa fille. Mais je lui parlerai de cela, et il sera peut être assez enthousiaste pour nous pondre quelque chose là-dessus. Naturellement, je pense que je ferai aussi quelques chose...
    Il vous faudra un peu de patience...

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  12. (Un commentaire supprimé parce que rien à voir)

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  13. Ce que nous subissons avec les livres, nous l'avons aussi subi, il y a plus de 15 ans, avec les disques. A l'époque, impossible de gronder sa frustration de voir les disquaires, souvent gens compétents capables de guider l'auditeur dans les arcanes des interprétations jazzeuses ou classiques, disparaître les uns après les autres pour laisser la place aux grandes surfaces qui aiment tellement les "nouveautés", avec de jeunes vendeurs incultes. Résultat, j'achète moins de musique qu'à l'époque.
    J'ai le même sentiment avec les livres. J'avais un libraire fort érudit qui me montrait à la perfection la voie en littérature ancienne (le Moyen-âge) aussi bien qu'en polars haute époque; les temps lui ont fait mettre la clef sous le paillasson. Eh bien j'achète moins de livres qu'avant.
    Vous n'y êtes pas allé assez fort, donc... :)

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  14. Mais, Sophie, le vendeur est devenu inutile pour les disques puisqu'on télécharge ! Comme google books est là, vous savez ce qui peut se passer.

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  15. Bon, vous arrêtez avec la coke, tous les deux ? Manquerait plus que de se faire signaler chez Blogueur !

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  16. De la "Douanier Marseillais" premier choix !
    Ce serait dommage...

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  17. Avant d'avoir le temps de faire un commentaire plus circonstancié (et un poil plus réfléchi), à la lecture de ces deux derniers articles, je n'aurai qu'une réaction :
    J'irai cracher sur Nothomb !
    (et pas seulement sur celle-là, nadabord !)

    Otto Naumme

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  18. Pour faire écho à Sophie K., j'avais à Toulouse une librairie où j'aimais aller pour discuter avec la Tenancière (ou du moins l'aimable personne que j'y connaissais) de ces polars ou autres petites perles dites "mineures" qui font ma joie. Et lui acheter, bien évidemment, les titres qu'elle me conseillait avec une justesse qui frôlait la perfection.
    Jusqu'au jour où un crâne d'oeuf "haut placé" (eh oui, malheureusement, cette enseigne n'est qu'une succursale...) a décrété que les personnages de fantasy, c'était plus rentable que le polar. Exeunt donc les Jim Thompson ou Donald Westlake et bonjour les orques et trolls...
    Etonnamment, je retourne beaucoup moins souvent dans cette librairie. J'espère qu'elle a compensé ce que je ne lui achète plus par plein d'acquéreurs de petites figurines. Même si j'en doute.
    En tous cas, je sais une libraire qui se fait de plus en plus chier (passez-moi le terme) dans son échoppe...

    Otto Naumme

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

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