De lointains typographes




[...]« Rien ne les arrête au cours de leurs voyages : un médecin de Nuremberg, Jérôme Münzer, ne rencontre-t-il pas établis à Grenade en 1494 - deux ans seulement après que la ville eut été libérée du joug arabe - trois imprimeurs allemands ? Deux autres typographes originaires de Strasbourg et de Nordlingen n'hésitent pas à se fixer à Sâo-Tomé, île malsaine de l'Afrique dans le golfe de Guinée. »

Lucien Febvre et Henri-Jean Martin : L'apparition du livre (1958)




Rien qu'une phrase, une seule au détours d'un livre un peu austère, et je me prends à rêver sur ce que fut le destin de ces deux typographes égarés sur cette île africaine.

23 commentaires:

  1. Oui, on aimerait être petite souris (ou plutôt gros rat, à l'époque...) sur le bateau et suivre leurs aventures.

    Pour le reste, s'agit-il réellement de "unE médecin" ?

    Otto Naumme

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  2. Euh non, mon cher Otto, c'est bien un garçon, je corrige...

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  3. C'est à se demander ce qu'ils partirent faire sur cette terre d'exil et sous ce soleil de plomb (!) Elle venait d'être découverte.
    On se souvient que la typographie est avant tout un art du métal liée à l'invention d'un alliage... Alors, une corrélation entre la date d'installation de ces deux typographes et l'invention des caractères mobiles nous mettrait-elle sur une piste de recherche de minerai ?

    ArD

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  4. ArD, je ne pense pas que cette hypothèse soit la bonne... On sait que nombre d'ouvriers typographes tentèrent de gagner leur vie de l'exercice de leur métier. Il ne leur fallait du reste pas un matériel très lourd et on voyait souvent des imprimeurs itinérants, ça et là, s'arrêtant dans quelque ville, un temps donné et cherchant par ailleurs de l'ouvrage.
    Je crois plutôt que ces deux-là étaient assez vernis, dans un sens. Il ne fait pas de doute que leur voyage avait des fins professionnelles précises et non la quête d'un hypothétique travail. Or les demandeurs de ce type de travail étaient principalement des religieux, moines, missionnaires, etc. Il ne fait nul doute qu'une congrégation ait pu se fixer là-bas et qui avait grandement besoin de livres religieux à des fins d'étude et de conversion des esclaves implantés de force là-bas. La barrière de la langue ne devait pas constituer un obstacle, grâce à la connaissance du latin dont devait être pourvus nos deux personnages.
    La proximité d'un gisement ? Je vois mal que l'on eut exploité un gisement de plomb rien que pour satisfaire les besoins on ne peut plus modestes d'une fonderie de caractères. Je gagerais qu'ils sont venus avec leurs casses, ont effectué leur travail et son repartis - peut être - avec un salaire conséquent. A moins que le climat tropical eut raison de leur santé...

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  5. L'alliage, c'est : plomb, étain et antimoine.
    Admettons aisément que votre hypothèse est la plus plausible, mais tout de même... l'île fut découverte en 1471 et la traite des esclaves n'y commença dans les années vingt de l'an 1500, une fois que l'île fut déclarée colonie. Les congrégations auraient vu le vent tourner et anticipé alors !

    ArD

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  6. Je connais très mal l'histoire de cette île. Cependant, j'ai appris que l'on y avait déporté nombre de juifs... provenant du Portugal, peut être. Sans doute, ont-ils été exploités avant leur remplacement par des esclaves africains, plus résistants au climat. Ce point renforce mon hypothèse du recours au livre pour des conversions massives, bien plus plausible que pour les africains qui n'étaient guère alphabétisés à l'époque. Mais ceci n'est qu'une hypothèse qui mériterait un réel approfondissement ! D'autant que je n'ai pour ma part jamais entendu parler de cette déportation de juifs sur Sao Tomé. Mais fort heureusement, je ne sais pas tout !
    Mais, même sans pousser aussi loin, une congrégation installé au lointain a besoin d'une bibliothèque ! Émettons qu'ils sont partis avec quelques manuscrit originaux, il leur fallait sans doute les rendre à la "maison mère", si je puis dire, au bout d'un certain temps, une fois les livres imprimés. Poussons l'idée un peu plus loin : on a affrété une mission constituée de 2 typos, quelques religieux et des livres manuscrits pour asseoir l'autorité d'une congrégation sur l'île.
    De quoi faire un roman...

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  7. Si la déportation bien sûr, ça correspond pile poil à la période de l'Inquisition! Bon, nous voici en présence de typographes fort réactifs alors ; je connaissais cette posture chez les missionnaires, mais pas chez les typographes si prompts à réagir à l'impression.

    ArD

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  8. Pour la posture, nos ecclésiastiques savaient y faire !
    Plus sérieusement, cette réactivité est également illustrée par la phrase précédente, qui indique la présence d'imprimeurs à Grenade...

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  9. Autre hypothèse à prendre en compte, je pense : le caractère "malsain" de l'île en question (non, non, ce n'est pas de la bête provocation...).
    Admettons, à défaut d'en savoir plus sur ce que recouvre ce terme, que le climat de l'île devait être rien moins que peu propice à la conservation des ouvrages amenés dans leurs bagages par nos chers amis curés - et ayant incidemment déjà souffert (les ouvrages) lors dudit voyage. Au bout de quelques mois, plus de bibles, plus d'ouvrages pour la prière du soir ou l'évangélisation du matin. Dès lors, "allô Strasbourg et Nordlingen, pouvez-vous nous envoyer des imprimeurs pour réaliser de nouveaux opus ?"
    Le "mais" de l'histoire, c'est qu'il n'y a pas de raison que les livres créés par nos amis aient mieux supporté le climat. Sans compter une question toute bête : d'où sortaient-ils papier et presse d'imprimerie ? Je ne pense pas que cela poussait sur les arbres de Saô Tomé à l'époque (ni même aujourd'hui, du reste). Or donc, s'ils avaient amené le papier par bateau, j'imagine qu'il devait tout autant souffrir des conditions de transport (d'humidité notamment) que les oeuvres ayant accompagné nos curés (le contraire, hypothèse audacieuse, laissant alors supposer que le préchi-précha est conducteur aqueux, ce qui me semble fort peu probable. Et non, il n'y a pas de mauvais jeu de mot).
    Bref, il serait intéressant d'en savoir plus sur le sujet, mais les sources (si je puis dire en la matière...) semblent fort peu nombreuses. A moins de trouver un spécialiste dans la salle ?
    Ou une Bible achevée d'imprimer à Saô Tomé en 1495. Voilà qui ne manquerait pas de sel !

    Otto Naumme

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  10. Les bibliothèque ecclésiastiques à l'époque étaient encore constituées d'une grande quantité de livres manuscrits, d'où l'intérêt de fournir des copies et de conserver les manuscrits précieux... Pour ce qui concerne les presses, il semble que, puisque le métier pouvait être itinérant, le matériel pouvait être aisément transportable. Enfin,, oui, le papier ne pouvait certes pas pousser dans les arbres, vu que, de toute façon, il n'était pas fait à partir de pulpe de bois. Deux hypothèses, Otto :
    - Celle que vous évoquez qui consiste à importer le papier sur l'île.
    - Soit le fabriquer sur place en créant un moulin et donc transformer les chiffons en papier, technique au point à l'époque et pouvant être prise en charge par une communauté religieuse.
    Mais c'est tout de même votre idée qui a mes suffrages, parce que les religieux avaient d'autres choses à faire, à mon avis, très loin de l'artisanat et de la contemplation.
    Pour l'existence de cette Bible, il nous faudrait des accointances avec les grands spécialistes du livre ancien ou l'accès à des sources que nous sommes dans l'incapacité d'obtenir.
    En tout cas, toutes nos hypothèses sont extrêmement prometteuses !

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  11. http://www.harissa.com/D_Histoire/ledramedesjuifsportugais.htm
    Dans le lien ci-dessus, on trouvera l'histoire tragique de l'implantation des juifs sur cette île...

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  12. Trop sympas, les curés de l'époque...

    Otto Naumme

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  13. Ce lien donne raison au Tenancier; moi qui avais espéré le distraire un peu avec une hypothèse farfelue de recherche de minerai, c'est raté !
    Un bémol à votre hypothèse, toutefois, Tenancier : je n'exclue pas que notre typographe de Strasbourg ait accompli ce travail par amour du Seigneur et non pour de l'oseille, comme vous le pensez, hum !

    ArD

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  14. Mais vous m'avez distrait comme il fallait, ma chère ArD et cela dans plusieurs acceptations du terme !
    Pour notre strasbourgeois, qu'en sait-on ? Après tout, c'est peut être un tenant d'une des innombrables sectes qui commençaient à pulluler à l'époque et qui allaient annoncer Luther, Calvin, etc. La "perversité" de la multiplication des bibles a produit un phénomène intéressant : l'intimité de la lecture. On ne lit plus à haute voix des textes rares pour un public analphabète... Celui qui lit a appris à le faire en silence, maîtrise la chose et donc peut faire une lecture critique des Évangiles. Exercice de clerc, d'ecclésiastique en rupture de ban... et d'imprimeur.
    Après-tout, quoi de mieux pour un potentiel hérétique que de travailler sous le nez de l'ennemi, l'air de rien, travaillant pour la plus grande gloire de l'Inquisition ou de la Mission lointaine ?
    Ce pouvait être également un catholique fervent.
    Mais l'hypothèse vénale n'est pas à dédaigner non plus.

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  15. Arrivant un peu tard dans cette discussion, je me contenterai d'une remarque : dans cet extrait de L'apparition du livre, il n'est pas dit que ce soit en 1494 que les deux typographes de Strasbourg et de Nordlingen se sont installés à São-Tomé. Peut-être est-ce un peu plus tard.
    Par ailleurs, si le papier manquait sur l'île, ce n'était apparemment pas le cas du cuir : trouve-t-on des bibles reliées plein croco ou cobra ?

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  16. George, la continuité du texte l'implique...

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  17. Pas d'accord. Mais bon, sûr que c'était dans ces eaux-là (à défaut de Maupassant).

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  18. George, vous êtes dans la phase "je le cherche, je le cherche et je vais bientôt le trouver". Vous avez encore une punition d'avance, parce que sinon, il va falloir commencer à y songer ?

    :-)

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  19. Je crois que c'est simplement qu'il aime bien qu'on l'accuse.

    Otto Naumme

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  20. George, tout de même, il ne fallait pas que je reste sur une telle réponse, elle eût été indigne de ma part :
    Il se trouve que, dans le même ouvrage, vers la page 300 dans l'édition que j'ai consultée (celle des années 70, j'en ai également une plus récente encore) on indique que le roi du Portugal expédia une mission d'exploration au Congo, accompagnée de deux typographes allemands. Martin ajoute qu'on ignore ce qu'ils y firent... L'épisode se passe en 1490, c'est à dire quatre ans avant ce que nous supposions être l'installation de ces autres imprimeurs à São-Tomé. S'il reste un doute quant à leur date d'installation, celle que j'avance, à la lecture de ce livre s'avère on ne peut plus plausible.
    On vous donne raison tout de même, ce n'est pas sûr... mais la probabilité est tout de même extrêmement forte.
    (Que j'aime cette conversation, au lieu de me colleter avec des pignoufs !)

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  21. Je n'ai pas cet ouvrage de Febvre et Martin, mais peut-être indiquent-ils quelque part leurs sources, en note ou dans la bibliographie ?
    Par ailleurs, bien que totalement ignare à propos des débuts de l'imprimerie, j'ai l'impression à la lecture de ces références que la pratique du métier était encore très circonscrite à l'Allemagne et ses alentours, en cette fin du XVème.

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  22. En Italie et en France également, George. Lyon devient un centre important très rapidement (à cause de sa situation géographique entre les grands centres universitaires). Ensuite, la diffusion en Europe est assez rapide, tout de même, si je me souviens bien.

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