Pour vos étrennes

Lors d’un billet assez récent, j’avais évoqué les Keepsakes d’une façon trop évasive. En rangeant ma bibliothèque professionnelle, j’ai retrouvé l’ouvrage de Frédéric Lachèvre : Bibliographie sommaire des Keepsakes publié en 1929 chez Giraud-Badin.
Sommaire, l’ouvrage, si l’on veut puisqu’il s’agit tout de même de deux in-8° de plus de trois cent pages chacun. On reviendra plus tard et en détail sur le contenu de ces recueils. L’avant-propos de cet ouvrage est particulièrement complet quant à la définition matérielle du Keepsake, on en donne ci-dessous un large extrait en présentant des excuses pour l’incomplétude de cette transcription :


[…] Un mot maintenant sur les Keepsakes. Ils jouent en partie de 1823 à 1848 le rôle des florilèges publiés au commencement du XVIIe siècle (1607-1630) par Toussaint de Bray, etc., avec cette différence que la prose y est largement représentée. Ce sont ces Keepsakes qui ont apporté au public les productions des jeunes écrivains de l’époque. Ils répondaient d’ailleurs à une mode venue d’Angleterre et qui associait un véritable effort artistique à des textes intéressants. L’opinion qui prévalait alors accordait aux Anglais une supériorité marquée au point de vue de l’illustration et de la gravure et aux Français une supériorité non moins accusée pour le côté littéraire. De là cette fusion de gravures anglaises et de textes français.
Nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ici l’historique des Keepsakes dû à M.B.H. Gausseron. Il serait peu équitable de le paraphraser ou de le refaire, procédé commode et pratiqué largement aujourd’hui, pour se donner l’air de posséder une érudition qu’on n’a pas :

Le mot anglais de Keepsake, qui signifie exactement « chose donnée pour être gardée en souvenir », s’applique d’une façon spéciale à ces livres albums, où de fines gravures sur acier illustrent tantôt des morceaux – prose ou poésie – de tons et d’auteurs variés, tantôt des descriptions topographiques entremêlées d’anecdotes et qui furent à la mode, comme cadeaux de Noël et de jour de l’An, entre 1822 et 1850. On en va chercher l’origine d’ordinaire dans les Taschenbücher allemands. Il est certains qu’il y a eu, en fait de Taschenbuch et de Taschen-Kalender, des volumes curieusement illustrés, par Chodowiecki notamment, dès la fin du siècle dernier. Mais ce n’était, après tout, que des almanachs, et les almanachs illustrés, étrennes poétiques ou chantantes ne sont pas rares en France à cette époque-là.
Quoi qu’il en soit, les livres de présent, recueil annuels et illustrés de miscellanées littéraires ou autres, que les éditeurs anglais se mirent à publier après 1820, présentèrent, dès le début, une exécution bien supérieure et un caractère tout différent. Ce n’est vraiment qu’après que la vogue pour ces livres se fut répandue en France et en Amérique que les Taschenbücher se transformèrent et prirent, assez lourdement d’ailleurs, l’allure des Keepsakes […]
Le Keepsake est un volume dont le format varie de l’in-quarto, de l’in-folio même au petit in-seize, doré sur tranches, imprimé avec soin en beaux caractères sur un bon papier, rarement atteint de piqûres ou taches de rousseur dont tant de livres de luxe imprimés à cette époque sont lamentablement semés. Il est généralement pourvu, avant le frontispice et le titre gravé, d’un feuillet orné d’une guirlande de fleurs ou d’attributs divers, au milieu duquel un espace est réservé pour que le donateur y inscrive le nom de la personne à qui le souvenir est offert : c’est la présentation plate, ou cartouche de dédicace. Enfin, et surtout, il est illustré d’un nombre variable de fines gravures sur acier ou malgré le conventionnel et le léché de la facture, malgré le sentimentalisme de l’inspiration, éclate souvent un très vif sentiment d’art, et qui ont encore un singulier charme de fraîcheur et d’élégance pour nos yeux que blasent toutes les sauces de l’eau-forte et les prestigieux effets des procédés photographiques.
Extérieurement, le Keepsake est protégé par un cartonnage, qu’habille d’ordinaire une moire ou un satin d’une couleur éclatante, rouge ou verte, plus rarement bleue. La percaline, la basane avec gaufrures et ornements à froid ou dorés, les peaux chagrinées ou maroquinées et le velours estampé partagent, avec la soie, le privilège de recouvrir ces aimables recueils, suivant la fantaisie et le goût de l’éditeur, suivant aussi les habitudes de dépenses de la clientèle à laquelle tel ou tel Keepsake s’adresse plus particulièrement. Beaucoup se vendaient dans des étuis, quelquefois fort dorés eux-mêmes ; tout comme l’Almanach de la Cour et de la Ville ou l’Almanach dédié aux Dames.
[…] (1)
L’échange des modes est trop constant d’une rive de la Manche à l’autres pour que les libraires de France n’aient pas de bonne heure offert à leur clientèle fashionable des volumes d’étrennes, à l’instar des « Souvenirs » anglais.
Nos littérateurs fournissaient aux Keepsakes anglais de nombreux sujets d’adaptation et parfois des articles complets, tantôt traduits, tantôt insérés en français.
Pour consommer l’alliance, les éditeurs français empruntaient à leurs confères anglais presque toutes leurs gravures, que Louis Janet et d’autres ne se faisaient pas scrupule de donner pour inédites, et qui servaient parfois à illustrer trois ou quatre Keepsakes différents. Des écrivains et non des moindres, consentaient à faire un récit qui convînt à la figure ; d’autres fois même la figure ne se rattache que par la place qu’elle occupe au récit qu’elle est censée illustrer.

Comme on le voit M. Gausseron a tenu pour secondaire le contenu des Keepsakes et les Keepsakes français eux-mêmes. Ils offrent cependant un panorama de notre littérature de 1823 à 1848. On se rend mieux compte quand on a parcouru tous ces recueils collectifs de la grandeur du génie de Victor Hugo, de Lamartine et d’Alfred de Vigny. Est-ce à dire cependant qu’il n’y a rien à glaner dans les innombrables productions de leurs émules ? Non. Souvent on rencontre des pièces curieuses ou spirituelles qui sont bien dans l’esprit de l’époque : certaines même ont une réelle valeur et mériteraient d’être recueillies. La poésie française a subi alors, dans son ensemble, un incontestable renouvellement. Et puis, avouons-le tout bas, il y a eu pour nous une certaine satisfaction à mettre à jour les noms d’écrivains oubliés, ayant eu foi dans la Muse avec le seul souci de se la rendre favorable. En dehors des amis de Victor Hugo, de Lamartine, d’Alfred de Vigny et des « petits romantiques » encore si souvent cités, et dont les œuvres sont recherchées des bibliophiles et réimprimées, personne n’a rappelé l’existence de la plupart des prosateurs et rimeurs obscurs. Ils ont ici, en quelque sorte, le livre d’or qui conservera leur souvenir.

Frédéric Lachèvre.

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(1) – Ici coupure importante. Gausseron y fait un long développement sur les Keepsakes anglais ainsi que leurs auteurs (dont Dickens, Shelley et Ruskin) et leurs illustrateurs. Bien que fort intéressant, on a cru bon de ne pas doubler la longueur de cet article déjà abondant. (Note du Tenancier)

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