Mes libraires

Pour ce 300e billet du blog, on accueillera un nouveau venu : Hervé Thiellement, chercheur à la retraite (mazette, quel pedigree!) et écrivain de littérature de SF, à l'occasion. À découvrir le billet d'Hervé on se complait à imaginer son auteur jeune et étique, tapant imperturbablement sur sa Japy ou son Underwood (plus classe), la cibiche au bec comme un ibis rêveur, quelques poèmes dont les volutes s'évadent dans l'air de Paris.
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Quand j’étais ado j’habitais rue de Buci à Paris dans le VIe. J’allais au lycée Lavoisier tout en haut du Boul’Mich’ à gauche. Une bonne trotte à pied et qui grimpe en plus. J’allais au café, à côté du bahut rue Saint-Jacques, jouer au flipper en fumant des Celtique.
En ce temps lointain, les années soixante, il n’y avait pas d’ordinateur. Je tapais mes mauvais textes (poèmes et textes courts) sur une machine à écrire à ruban double couleur rouge et noir.
Au-dessus de mon lit couvert d’un écossais vert et bleu foncé il y avait une étagère. Quand on est arrivé dans cet appart, j’y ai rangé dans l’ordre ma collection complète de Bob Morane de chez Marabout. Trois ou quatre ans après ils avaient été remplacés par d’autres Marabout, des Rayon Fantastique et des Présence du Futur.
Il y avait une librairie entre chez moi et la Seine. Je crois - mais n’en suis pas sûr, c’était il y a trop longtemps - qu’elle s’appelait La Mandragore, un nom fréquent pour ce genre de librairie spécialisée en fantastique et science-fiction. Le tenancier de l’endroit était un type impressionnant à la barbe noire et grise fournie, d’une cinquantaine d’années environ, qui avait lu les livres qu’il vendait, qui m’a initié à Lovecraft mais aussi à Nodier, à Borgès et à Mandiargues, et encore à Béalu, Jean Ray et tous ces belges qui sortaient en pas cher chez Marabout.

Lovecraft

Pour la SF j’allais chez une bouquiniste du bord de Seine, face à l’Institut. Je devais économiser deux semaines d’argent de poche pour acquérir un déjà vieux Rayon Fantastique d’occas’, à la couverture rafistolée mais sans ruban adhésif. Ben oui, en deux ans ça jaunit et ça se décolle le scotch, une horreur. J’y négociais aussi les premiers PdF, grands formats, très chers mais si goûtus. Quand Opta a sorti ses premiers Club du Livre d’Anticipation j’ai revendu à la dame, et à perte évidemment, ces trésors de collectionneur pour m’acheter à La Mandragore les mêmes textes mais avec un look d’enfer et illustrés par Moebius ou Druillet.

Quelques vieux amis

Plus tard, quand j’étais un jeune adulte rebelle et chevelu, j’ai fréquenté assidûment la librairie Actualités. C’était bourré de presse underground en direct des States, de plus ou moins vieux Hara Kiri, le journal bête et méchant, mais aussi de fantastique et de SF. Des fois il y avait des relents de marie-jeanne en provenance de l’arrière boutique. Le libraire était un grand maigre formidable avec qui on passait des heures à discuter, plus de politique que de littérature. Il est mort il y a peu d’une crise cardiaque. La librairie n’existe plus, remplacée par un marchand de fringues.

Super bouquin, super couv.

Je connais encore un autre libraire dans le même coin, et il est toujours là, trônant en haut de ses piles de livres, celui de la librairie-galerie Au regard moderne. Je vous en causerai peut-être dans une prochaine notule.

15 commentaires:

  1. "Je vous parle d'un temps...", ça nous renvoie dans un passé bien vivant, merci m'sieur Thiellement !

    Quand je revois ces couv' de HPL, ça me rend vert : j'avais les mêmes, bazardés à je ne sais plus quelle occasion et remplacés, évidemment, par une intégrale de chez Bouquins, ça a pas la même dimension...

    Otto Naumme

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  2. A noter que la très belle couverture du livre de Williamson fut réalisée par Jean-Claude Forest.

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  3. Le lit couvert d’un écossais vert et bleu foncé est un détail précieux. À mon sens, il en dit long sur une forme d'entêtement de l'auteur de ce billet dont on imagine les longues enjambées, plus terriennes que celles parcourues sur la Yozone.

    ArD

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  4. Je m'empresse d'appuyer l'hommage que Hervé rend aux deux derniers libraires qu'il évoque en les nommant :
    Pierre Sias, qui avait fondé Actualités au tout début des années 70 et a permis à plusieurs générations de lecteurs de se former politiquement (tendance ultra-gauche), mais pas seulement. Vers la fin, il survivait surtout grâce aux comics, qu'il avait été l'un des premiers à importer des États-Unis. Il a effectivement succombé à une crise cardiaque (en juillet 2007, me semble-t-il) durant son sommeil, alors qu'il avait été l'après-midi même se plaindre de malaises auprès d'un cardiologue qui l'a renvoyé chez lui.

    Jacques Noël, l'immarcescible et infatigable dénicheur de tous les talents graphiques, qui importe des livres du monde entier et ne refuse jamais le dépôt d'un fanzine. Il avait d'abord ouvert Les yeux fertiles rue Danton, à la fin des années 70, qu'il a dû quitter au moment du renouvellement du bail pour cause de loyer prohibitif, et s'est réinstallé, grâce à l'éditeur Jean-Pierre Faur, à quelques encablures, dans un minuscule local de la rue Gît-le-Cœur, désormais tellement encombré que pas plus d'un client à la fois ne peut s'y tenir.
    Il m'a fait découvrir énormément de choses, au bon moment pour moi (vers l'âge de dix-sept ans), en BD, en curiosa, en littérature nord-américaine.

    Hommage au mort et au vivant.

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  5. Pierre Sias, encore : je me souviens avoir déniché chez lui, en 1987, la deuxième édition (couverture orange) de la brochure De la misère en milieu étudiant…, qui était déjà une rareté à l'époque (et il le savait). Il m'en a coûté cinq francs.

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  6. Merci George pour ces précisions. Qui me font m'apercevoir que je connais(sais) ces deux personnes et leurs librairies, souvenirs enfouis dans ma mémoire depuis je ne sais quand...
    Quels détours pour en revenir à ces souvenirs de jeunesse...

    Otto Naumme

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  7. Coïncidence : j'ai appris voici peu que vers la fin de sa vie, lorsqu'il était à Paris, Debord avait ses habitudes dans le petit bistrot (inchangé depuis des décennies) jouxtant cette librairie de Pierre Sias où j'avais acquis cette brochure. Bistrot qui a disparu lui aussi, remplacé par une officine Hachette, me semble-t-il.

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  8. Merci Georges d'avoir mis des noms sur ces deux belles personnes, je n'ai pas osé et ne connaissais Pierre que par son prénom. On s'est sans doute croisé dans ces lieux magnifiques.

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  9. Hervé, malheureux ! C'est George, pas GeorgeS !
    D'aucuns (moi en particulier ;-) se sont fait tirer les oreilles pour moins que ça !
    Mais rassurez-vous, George comme le Tenancier pardonnent vite, en ces lieux. Ils sont bons.

    Otto Naumme

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  10. Acceptez mes plus plates, George, pour avoir francisé votre prénom. Honte sur moi qui ait lu trop vite.

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  11. Du coup j'ai fait une faute à moi qui ai.
    :-§((

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  12. Le Tenancier rappelle que l'on ne tient pas rigueur des fautes éventuelles commises dans les commentaires. Enfin, si vous vous mettez à écrire en SMS, là je vous sucre, bien évidemment.

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  13. Pas d'inquiétude, Hervé, je suis rien moins que susceptible, surtout pour de pareilles vétilles.
    Peut-être qu'on s'est croisé dans ces lieux que j'ai surtout fréquentés entre 1982 et 1989, mais je prêtais plus attention aux livres qu'aux autres clients…

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  14. Hé, hé… je reviens baguenauder ici depuis "Nos 10/18 (8ème partie", et ce alors même que je viens à l'instant de vendre l'EO française (oui, bon, Tenancier, vous n'allez pas me chicaner sur les termes !) de La couleur tombée du ciel, grand format (1954), d'ailleurs pas cher (9 €) à cause d'un rafistolage au scotch (horreur !) sur la couverture.
    Bon, j'en profite pour corriger l'orthographe de feu le tenancier de la librairie Actualités : c'est Pierre SCIAS.
    Ce qu'intéresse l'histoire de cette librairie pourront aller voir ici.

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  15. Bonjour,
    Une petite rectification historique : Jacques Noël n'a jamais ouvert ni dirigé "Les yeux fertiles", il est arrivé plus tard comme employé et cette librairie n'a pas fermé au début des années 80 mais en 1990. Et pas à cause d'un renouvellement de bail prohibitif mais tout simplement parce que la propriétaire des lieux prenait sa retraite. La librairie "Les yeux fertiles" a ouvert en 1966, et Jacques Noël est arrivé au début des années 70. Cela n'enlève en rien bien sûr, ni à son talent, ni à la magie d' "Un regard moderne".
    Cordialement.
    Kanapoutz

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