"En fait, je ne cherche qu'une modeste surprise"

Suite du petit jeu auquel je vous avais convié : voici le texte d'une personne qui visite de temps à autre notre blog et dont les commentaires ont souvent été stimulants. On sait par ailleurs que ce texte vient d'un amateur averti de tout ce qui touche au livre. Ce que nous découvrons ci-dessous le confirme... On en redemande, à l'avenir.
Le Tenancier
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J'avoue qu'un fois lancé le "Bonjour" d'usage en poussant la porte d'une librairie, je n'ai plus d'yeux que pour les rayonnages.
Première chose : repérer le classement : oui, la diversité des classements est chose étonnante !
Ensuite, je suis chez moi, l'inspection commence, avec une prédilection pour les recoins, les piles perchées tout en haut des étagères et celles qui sont planquées sous les tables; c'est souvent là que je trouve mes bonheurs.
Les tenanciers lassés d'avoir le nez sur leurs fiches, s'ils me regardent vaquer, peuvent être pris de doutes : titres et auteurs m'indiffèrent, je traque les imprimeurs, voire les éditeurs. Le parcours va du rayon 14-18 à celui des Beaux-arts, des métiers et techniques aux périodiques photo, je fais aussi mes provisions de cadeaux.
Devant les rangées de livres "anciens", un rapide examen visuel de la tranche supérieure me permet de détecter rapidement les époques qui m'intéressent et m'évite de sortir, — toujours soigneusement par les plats entre pouce et index au lieu d'arracher la coiffe — la majeure partie du rayonnage.


Et vient le temps des questions : " Vous cherchez quelque chose de précis, puis-je vous aider ?". Grand moment.
Par politesse, je donne quelques pistes en pâture au maître des lieux "histoire du livre, de l'imprimerie" ou bien "GLM, Kra, Draeger" le faisant, bien malgré moi, bégayer, désemparé.
En fait, je ne cherche qu'une modeste surprise.
L'idéal est qu'un autre chaland entre pour distraire le libraire "Vous avez des livres de cuisine ?", "Mon petit-fils est en CM2, je voudrais lui trouver quelque chose sur le football", etc.
Mon petit marché fait, je m'approche de la table derrière laquelle siège le possesseur des lieux, elle est systématiquement encombrée, il faut faire la place d'y écrire un chèque, l'usage de la carte bancaire étant quasi-inconnu dans ces lieux. Je ne tente d'avoir un rabais que si le montant dépasse la centaine d'euros en plusieurs ouvrages, généralement avec succès, surtout lorsque le libraire commente et apprécie mes choix.
Parfois il se contente d'encaisser sans un commentaire, comme pour des paquets de lessive, ce qui m'est toujours incompréhensible, j'ai alors la certitude que ces livres seront mieux chez moi que chez lui !
Je sens bien qu'il me manque un maillon dans la démarche qui mène à vendre ce que l'on aime...
Il m'arrive de sortir bredouille, mais jamais sans avoir appris ni découvert quelque chose.
Des années après, je finis toujours par retrouver ces lieux, alors que mon sens de l'orientation est nettement défaillant.


Mes bouquinistes réguliers sont plus souvent ceux qui déballent sur les brocantes qu'entre quatre murs : Ah, je ne vous ai pas vu dimanche à -tel endroit- ?
Eh, c'est qu'il y avait d'autres brocantes ailleurs... !

Mouton à lunettes.

30 commentaires:

  1. Je ne crois pas trop me tromper en faisant l'hypothèse que la plupart des lecteurs de ce blogue vont avoir le sentiment que ce texte est de leur propre main… C'est mon cas, bien qu'il y ait belle lurette que je ne fréquente plus les bouquinistes, sauf lors de déplacements en province : merci, Mouton à lunettes ! Et entre nous, vous arrivez à en dégotter, sur les brocantes, des Kra ou des Draeger ?
    Sinon, je ne sais de quelle librairie italienne sont issues les deux photos, mais je n'ai jamais vu un boxon pareil ! Entasser des bouquins dans des baignoires, non mais !

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  2. George, cela pourrait s'expliquer si cette librairie se trouve à Venise comme je me suis laissé entendre dire.

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  3. En ce cas, les livres devraient y être présentés en tête de gondole, plutôt qu'au fond de baignoires !

    Autre chose, à propos de l'étonnement de MAL quant à la diversité des classements : il me semble, après longue expérience, que l'organisation des bouquineries reflète assez fidèlement celle de l'univers mental du tenancier du lieu…

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  4. Je crois que nous sommes assez d'accord sur ce postulat. On range ses livres (dans sa propre bibliothèque ou dans sa librairie) un peu comme on est. Il peut toutefois exister une certaine dichotomie entre la sphère privé et la sphère professionnelle...

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  5. En réalité, j'avais moins en tête le classement proprement dit que l'organisation spatiale de la boutique. Certaines sont des écrins impeccables, les ouvrages sont soigneusement rangés dans les rayonnages et quelques uns mis en valeur sur des tables, mais rien ne dépasse. D'autres semblent plus chaotiques, le profane a l'impression en entrant que les livres sont entassés n'importe comment en piles incertaines et chancelantes, le pire étant illustré par les photos du présent billet.
    Chez moi, c'est entre les deux. Les deux questions que les nouveaux venus me posent le plus souvent sont des interro-négatives :
    — Vos livres ne sont pas classés ?
    — Vous ne savez pas tout ce que vous avez ?
    Je ne suis pas fier à outrance qu'on me les pose…

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  6. Mais, George, je parlais exactement de la même chose, ce qui infère que j'avais également compris votre propos. Dans mon bureau, c'est un champ de bataille. Rue Blomet, c'est bien rangé...

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  7. Mouton à lunettes, il me plaît de lire que vous donnez «quelques pistes en pâture» aux libraires. En vous lisant bien, je comprends que si les librairies font partie de vos lieux de prédilection, pour les maîtres des lieux... ce n'est pas gagné d'avance ! Ceux-là mêmes qui, parce qu'ils vendent ce qu'ils aiment, seraient presque sujets à caution finalement, si je vous comprends bien. Mais du simple fait que vous ne remettiez pas une seconde en cause le fait qu'un libraire puisse ne pas aimer ce qu'il vend, je déduis que vous aimez beaucoup les libraires.
    De votre charmant récit se dégage comme la nécessité d'un temps d'acclimatation au lieu et son occupant principal.

    --
    Quant à vous, Tenancier, qui semblez approuver que l'organisation d'une bouquinerie puisse refléter un univers mental, je note que vous insinuez que l'univers mental du libraire peut faire l'objet d'une dichotomie.Booon.....

    ArD

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  8. Cela peut faire en effet en effet l'objet d'une dichotomie. Mais à une condition impérieuse et cependant difficilement réalisable : envisager que le libraire soit humain.

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  9. Le dernier week-end, passé dans diverses échoppes, me laisse perplexe.
    La question du classement semble dépassée... je comprends tout à fait que, dichotomie ou pas, le classement soit personnel, mais l'absence de classement est plus étonnante, or je l'ai constatée autant chez les libraires d'ancien que de neuf.
    Comment comprendre qu'un livre de géographie côtoie un livre de cuisine et une autobiographie ?
    Chez les bouquinistes, on y ajoute gaiement le mélange de siècles et de format !

    Enfin, oui, on peut trouver des Kra, Draeger ou un Giono signé pour 50 cts, mais il faut remuer des montagnes de livres !

    Je vous livre une devinette fraîchement cueillie d'un ami libraire :
    Une mère de famille : "Ma fille a besoin de ce livre pour l'école cet après-midi" et elle lui tend un bout de papier sur lequel est écrit "Lilianne est au lycée".
    Recherche dans la Bibliothèque rose, puis verte, puis 2 Coqs d'or... avant de comprendre !

    Mouton à lunettes.

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  10. Elle est vieille comme Hérode, cette vanne, Mouton à lunettes...
    Pour le classement, c'est un sujet sur lequel j'aimerais revenir un de ces jours. J'y travaille quand les affaires de la librairie me laissent un peu de temps...

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  11. Ah.

    Comme vos robes, peut-être, Monsieur le T., mais je ne décode pas, personnellement.
    Qui m’aide (merci) ?
    Alfred.

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  12. Ah non, Alfred, je n'aide pas pour celle-là, elle est trop facile !

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  13. Ô, mères (de famille) !
    Moi, on m'a vraiment demandé : « Vous avez Le procès de Kafka ? Désolé, je ne sais pas de qui c'est. »

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  14. Et "Ça glisse dans la vallée" ?
    "Antigrogne" ?

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  15. Argh... cet ami libraire m'aurait donc ressorti une vanne de libraire ? !
    Est-ce que celle-ci fait aussi partie de l'anthologie ?
    Proposant "Vol de nuit" à une cliente : «Ah, non, pas de livre religieux !».

    Mouton à lunettes.

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  16. Alfred, la réponse est tout près de votre question, vers la droite...

    Mouton à lunettes.

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  17. Tonnerre, moi c'est ce Vol de nuit auquel je ne trouve aucune consonance religieuse !
    Oups ! écrivant ceci, je viens de comprendre qu'il ne s'agit pas du titre…

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  18. Mon bon Otto, vous sauverez-nous, Alfred et moi de cette impasse double ? J'aurais bien vu une contrepéterie de niveau bas dans Vol de nuit, mais il semble bien que Liliane ne le voie pas de la sorte !

    ArD

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  19. Chère ArD, je dois avouer que je viens juste de comprendre cette histoire de Lilianne (je n'y avais pas prêté attention préalablement, allez savoir pourquoi). Que vous saisirez vous-même, je n'en doute pas un instant, et vous vous direz "Homère d'alors", une fois que vous l'aurez décodée...

    Otto Naumme

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  20. Et moi qui pensais qu'Homère jouait de la lyre tandis que Lilianne était au lit... Merci Otto !

    ArD

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  21. Mais pourquoi "de bas niveau" ? Elle est simplissime mais tout à fait orthodoxe, cette contrepèterie à laquelle je n'avais jamais pensé, chère ArD !

    « Liliane, Élodie sait ! » : classique répartie du théâtre de boulevard, lorsque le mari adultère apprend à sa maîtresse que son épouse est au courant de son infidélité.

    Sinon, la famille Aumaire compte quatre enfants : Lili, Adèle, Aude, Issé.

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  22. Il y a des contrepèteries dans tout ça ?
    J'ai beau chercher, je ne les vois pas.
    Incurable que je suis...

    Otto Naumme

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  23. Juste dans Vol de nuit (déplacement d'une voyelle).

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  24. Euh... même comme ça, je vois pas.
    Désespérant que je suis...

    Otto Naumme

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  25. Vous graisser la voyelle de nuit ne serait pas catholique, Otto.

    ArD

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  26. La "modeste surprise" apprécie vos anecdotes, George.
    L'anthologie serait Antigone de la nouille ? Un Chiflet, ça va, mais guère davantage...

    Quant aux contrepèteries, je suis ex-æquo avec Otto !

    Mouton à lunettes

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  27. Oh, mais, chère ArD, je n'ai jamais rien eu de catholique ! Cela dit, je ne suis pas un garçon facile, je ne me laisse pas graisser la voyelle par n'importe qui, de jour comme de nuit.
    A moins qu'on ne me laisse pas le choix. Ce qui semble être l'hypothèse la plus probable, si je ne me trompe et ai fini par - enfin - comprendre cette contrepèterie.

    Otto Naumme

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  28. Cher Otto, soyez assuré qu'il n'y avait rien de plurivoque dans le graissage de la voyelle auquel le Tenancier nous a habitués, vous concernant.

    ArD

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  29. Je le savais très bien, chère ArD, mais cela me permettait d'amener la fin de mon intervention - eh oui, je suis tombé dans la facilité...

    Otto Naumme

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  30. Félicitations, Otto, vous voilà très ingambe en matière de contrepets!
    Avec ces histoires, je m'aperçois tout à coup qu'il y a un autre titre que l'on pourrait rapprocher de Vol de nuit : Belle de jour, de Kessel.

    Quant à l'anthologie en question, cher Mouton, elle m'est passée entre les mains trop vite et voici trop longtemps pour que je me souvienne de son titre. Mais il me semble que c'était le fait d'un libraire, pas de Chiflet.

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

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