Que l’on se rassure, ce propos ne vient pas ici s’opposer à l’idée que l’on puisse être bibliophile ou même bibliomane pas plus qu’il se veut indifférent à la novation, s’il en existe une en la matière. On voudrait simplement rappeler quelle est la fonction élémentaire d’un livre : contenir des informations transmissibles d’un humain à l’autre, reproductibles et diffusables, être un agent de la culture et même de la désinformation. Il peut revêtir différentes formes, différentes présentations et même se dématérialiser dans la mémoire des hommes-livres. Si l’on était un naturaliste, on pourrait d’ailleurs observer les différentes stratégies de survie du livre : la stratégie de l’abondance et de la dissémination — comme les insectes — que la mode, en bonne prédatrice, décime. Ainsi, l’on retrouvera dans cent ou même deux cent ans un ou deux des ces trente mille ouvrages qui firent un improbable succès de librairie. Il y a la stratégie de la ruse, celle qui consiste à ce travestir dans d’autre livres : combien de fois La trahison des clercs a été plagié en moins d’un siècle et que l’on retrouvera de nouveau, encore une fois copié au prochain carton d’offices ouvert par le libraire ? Il y a encore cette stratégie de la rareté, textes uniques qui ne quittent les bibliothèques qu’à la mort des récipiendaires, survivant encore dans une autre bibliothèque, vivant un semi purgatoire dans la dispersion et les stocks morts…
Il y a aussi ce démembrement qui pourrait bien intervenir un jour, en une quelconque faillite de civilisation, rendant tout œuvre parcellaire, incomplète et très souvent impossible à reconstituer parce que l’obscurité à trop longuement duré sur le monde. Et enfin, il y a les morts, pilonnés, pourris, moisis, brûlés ou tout simplement oubliés, ouvrages médiocres et méconnus se confondant peu à peu avec la matière qui les compose, jusqu’à la poussière.
Sans doute, alors, peut-on regretter un peu que la bibliophilie ne soit plus une manie autant répandue, qui sauvegarderait un peu les livres de leurs rouilles naturelles que sont les rousseurs, les champignons, les brunissures et l’oxydation. Ne resteraient alors que le feu et l’eau pour en venir à bout, la bonne vieille impéritie humaine et puis certaines mauvaises habitudes comme celles qui consistent à larguer des bombinettes un peu partout. Et puis nous augurons encore des brouillards électroniques et des autodafés. Certes, un beau livre est fait pour durer, mais cela ne suffit pas, encore faut-il qu’il contienne quelque chose de remarquable, sanctifié par le temps, comme un message vers l’avenir.
Et j’ai comme l’impression, en ce moment, qu’on est mal barrés, les amis.
Alors, dans ce que nous aurons vécu et ce que nous aurons traversé, nous ne serons qu’échappés d’un rêve parce qu'il n'y aura plus grand chose pour témoigner un peu.
"On voudrait simplement rappeler quelle est la fonction élémentaire d’un livre : contenir des informations transmissibles d’un humain à l’autre, reproductibles et diffusables, être un agent de la culture et même de la désinformation."
RépondreSupprimerVoilà, tout est dit.
Otto Naumme
Bertrand a dit...
RépondreSupprimerJe suis à moitié d'accord avec vous, cher Tenancier. Donc à moitié pas.
La nature du support ne change pas la nature du contenu. D'accord. Mais elle change fondamentalement la façon de vivre ce contenu, de se l'approprier, de l'aimer, de le goûter.
Avez-vous déjà essayé de boire un Clos-vougeot 1982 dans une boîte de conserve, même propre ?
Non ? Essayez, Tenancier,ça vaut le coup.
Bien à Vous.
B(ertrand)R(edonnet)
(Je remets votre commentaire ici, vous vous êtes trompé d'endroit, cher Bertrand - Le Tenancier)
... alors je vous répond simplement que nous ne sommes pas si en désaccord : le coca dans une gourde en plastique, c'est dégueulasse (Comment ça ? Autrement aussi ? Ah bon ?). Mais "comparaison n'est pas raison" jusqu'à un certain point. Vous voyez bien, d'ailleurs qu'au bout du compte je conclus que la bibliophilie est nécessaire bien qu'insuffisante face au temps qui passe...
RépondreSupprimerOui, c'est vrai, Tenancier. Un livre c'est pas mal de choses, sauf une garantie de qualité de ce qui se passe sous sa couverture.
RépondreSupprimerEt comme je suis parti dans la déraison des comparaisons,coquine celle-là, je dirais que c'est un peu comme le lit d'une promise.
Ah, ah, ah ha haha !!!
Votre dernière comparaison suggère en tout cas un conpromis, cher Bertrand…
RépondreSupprimerTenancier, je vous trouve singulièrement optimiste !
(j'aime bien votre phrase sur les bombinettes…)
A moins que la promise ne soit cuitée, cher Georges.
RépondreSupprimerLa promise cuitée. Elle n'est pas de moins,celle-ci, mais je la trouve bonne
La promise, ou la blague ?
RépondreSupprimer(Je la connaissais : elle est d'Yves Remort, un vague cousin du Tenancier…)
Mieux vaut avoir des regrets que des Remort. Cela vaut aussi pour la promise.
RépondreSupprimerQuant au lit de celle-ci, si l'on est un peu jeune on peut toujours se dire qu'on sait ce qu'on y perd, mais on ne sait pas ce qu'on y trouve (la réciprocité est vraie également...)
On est au moins sûr qu'elle se livre (pardon, c'est juste pour nous ramener au sujet du présent billet…)
RépondreSupprimerAh ?
RépondreSupprimerParce que vous suivez souvent le sujet du billet, George ?
(Je vous taquine, bien sûr...)
Je vous en fiche un peu mon billet, que je suis, non mais !
RépondreSupprimerCelui-ci cause bien de la fabrication des cocottes en papier à partir d'incunables, non ?
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerTant qu'il y aura des Tenancier(s)...
RépondreSupprimerC'est vrai, l'optimisme ne règne pas, mais c'est sans doute dû à la chute des feuilles d'automne (dehors).