Pour cet anniversaire, je ne lui ai pas offert de livre. Je me suis déjà laissé prendre. Une fois a suffi. L’année dernière, j’ai passé deux jours entiers à faire les bouquinistes. Je me suis renseigné, j’ai demandé, tourné partout, rive droite comme rive gauche. Chez Clavreuil, rue Saint-André-des-Arts, où j’ai hésité sur des Atlas du XVIIe siècle, on m’avait dit qu’il les aimait. A la librairie des Arcades, rue de Castiglione, je me suis emballé pour un introuvable d’Aragon. Chez Vrain, rue Saint-Placide, je suis tombé sur une édition originale de Chateaubriand, hors de prix. J’ai hésité, je me suis décidé, j’ai tout décommandé. Finalement, je suis retourné à mon premier choix, une édition originale, reliée du journal de Léon Bloy, un « maudit » de droite, je m’étais dit que ça irait. C’était mon premier réveillon à Latche, le 31 décembre 1993. Le précieux Léon Bloy sous le bras, enroulé dans du papier kraft j’avais le trac et j’étais fier. Il en serait fou, j’en étais sûr. J’ai attendu qu’il soit de bonne humeur, pas trop entouré, prêt à me complimenter, et je lui ai tendu mon paquet. D’abord, il a fait le surpris, il était ravi, impatient, et a arraché avec délices le papier kraft. Il a feuilleté le livre trois secondes, ne s’est arrêté ni sur la page de garde, ni sur la mention de l’édition, ni sur la date. Il l’a peloté machinalement et m’a dit : « Je lisais ça quand j'étais jeune. Mais ça a vieilli. » Puis il a posé le livre en écoutant à peine mon récit d’explorateur exalté qui lui vantait la reliure de l’ouvrage. Il m’a coupé : « La reliure, vous savez, m’a-t-il dit, c’est Danielle, elle adore ça. » Kiejman s’avançait déjà avec ses boutons de manchette de chez Charvet. Et on le fêtait. Pour des boutons de manchette ! J’ai compris. Cette histoire de livres, c’était un piège. On prenait toujours un risque en lui offrant un livre rare. Le livre, il l’avait déjà. L’œuvre, elle était si majeure que c’en était insultant de banalité. L’édition, elle n’était pas si originale que ça, et quand elle était originale, elle n’était pas vraiment rare... L’habitude devait exaspérer, en vérité. Les amoureux de livres rares doivent être comme les amateurs de vins ou de cigares. Ils ne supportent pas la moindre faute de goût. Ils n’aiment pas perdre leur temps. Ils méprisent les petits joueurs qui se risquent à leur table. Ils ne plaisantent pas. Les amateurs détestent l’amateurisme, ce sont des gens sérieux. Sur cette affaire d’importance, le Président n’avait confiance qu’en lui-même et en Pierre Bergé. Un vrai amateur, lui aussi qui, à la veille d’un cadeau au Président, enfilait son vieux Burberry’s, s’enfonçait une casquette sur la tête et allait trotter dans Paris, en explorateur avisé. |
Georges-Marc Benamou : Le dernier Mitterrand
Obligeamment rentranscrit et communiqué par Bertrand Redonnet
Texte intéressant.
RépondreSupprimerEt je suis sûr que le patronyme de l'impétrant fera grincer des dents. Ce qui ajoute à son intérêt...
Otto Naumme
On imagine qu'après cela, le choix d'un livre à offrir à Sarkosy lui aura été nettement plus simple.
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ArD
Je crois que l'auteur a dû tout de suite passer aux boutons de manchette de chez Charvet.
RépondreSupprimerL'une des conditions pour être un bibliophile est tout de même d'avoir une culture assise et non point une teinture appliquée à la hâte par les soins d'une cover girl.
ArD, à n'en pas douter, car vous avez vu la vidéo chez Marc Villemain : Sarkozy ne lit même pas les livres ( le livre ?) qu'il "écrit" !
RépondreSupprimerC'est vrai que ce texte a de la tenue. C'est d'ailleurs la seule page qui ait retenu mon attention...Le reste n'est que de la diagonale post-courtisane.
Je disais à notre Tenancier : le monde devient compliqué quand les gens d'en face se mettent en devoir d'écrire de l'intelligence.
quel idiot. c'est une eo de Chardonne qu'il fallait apporter.
RépondreSupprimerOu de Pieyre de Mandiargues. Je me rappelle l'avoir vu acheter Le lis de mer en tirage de tête, où je travaillais dans le temps.
RépondreSupprimerBertrand, il y a des "gens d'en face" talentueux et qui transcendent assez les quelques opinions qu'elles possèdent en matière politique. Ainsi Gracq qui ne passait pas pour un gauchiste énervé (loin de là) et dont le lectorat se recrutait partout. A tel point que je pense que celui-ci appliquait assez bien ce que disait Stendhal de la politique dans la littérature, chose qu'il disait du reste sans l'appliquer.
On s'est exclamé par ailleurs qu'il ne fallait pas offrir de livres à un bibliophile. J'ajouterai deux chose à cela : non, mieux vaut ne pas le faire si on n'est pas bibliophile soi-même et oui, on peut le faire si on fréquente l'un des libraires habituels de ce bibliophile (et ce n'est de toute façon pas gagné !)
RépondreSupprimerCher Tenancier, ce que vous dites "des gens d'en face" est tout à fait exact et la référence à l'Ambassadeur Henri Beyle bien venue, oui...
RépondreSupprimerCeci dit, il ne me viendrait pas à l'idée ( à moins d'en avoir une autre derrière la tête)d'offrir un Clos Vougeot 1982 à un oenologue...C'est vrai aussi.
Nous le boirions avant, Bertrand !
RépondreSupprimertenancier, les bibliophiles devraient remettre une liste à ceux qui souhaitent leur faire plaisir, comme les enfants à noël. bibliophile de petite pointure, j'ai toute une liste de eo en tête (de cuvée).
RépondreSupprimerKiejman (Maître), un jour d'ascension solutresque, s'est pris à comparer le président-sphinx avec Bernadette ..d'Avila, qui, ajouta-t-il, devait parfois sortir dans la même pompe. laquelle pompe prise aussitôt dans le derrière: "alors vous, tâchez de ne pas vous mêler d'exégèse religieuse".
Et Thérèse Soubirou se le tint pour dit (!)
RépondreSupprimerArD
Mais oui, qu'on offre donc des bouquins aux bibliophiles !
RépondreSupprimerTiens ArD, heureux de vous relire. On espère quelques messages vôtres en ce blog depuis bien des semaines.
Oui, SPiRitus, ce n'est pas le tout d'avoir distrait les bloguistes de ce blog pendant presque deux ans, je sais bien qu'il me faut aussi sauver mon honneur en quelque sorte (!)
RépondreSupprimerLa tâche est double, car vous l'avez surchargée, à votre manière et avec grâce je précise.
Ce que c'est que d'assumer son retard, sans se défausser, hein !
ArD
Le Tenancier biche...
RépondreSupprimer...omaha beach. (Désolé, n'ai pas résisté)
RépondreSupprimerOn voit que George vous manque également...
RépondreSupprimerEffectivement, on se s'attristerait pas de le lire céans. Bien au contraire !
RépondreSupprimerOtto Naumme
Lui aurait-il échappé que c'est déjà la rentrée depuis deux bonnes semaines ?
RépondreSupprimerIl est occupé, tout comme moi. La rentrée pour le libraire n'est pas qu'une simple mise en route, il est victime de ses bonnes résolutions.
RépondreSupprimerFatalitas !
Et puis, il y a le fait que la crise ne nous aide pas à nous distraire de notre activité principale. Nous avons un peu le nez dans le guidon, ce qui explique accessoirement le relâchement dans la production de billets dans nos blogs respectifs.
Merci, les amis : j'en verserais presque une larme !
RépondreSupprimerJe suis effectivement complètement débordé, mais j'espère pouvoir revenir bientôt déverser par ici mes abominables calembours…
Pour en revenir au sujet du présent billet, il me rappelle furieusement l'un des fils tissés dans L'invité-mystère, de Grégoire Bouillier, un excellent récit que je recommande à tous de lire (et d'offrir aux bibliophiles, évidemment !)
RépondreSupprimerIl y est incidemment question de littérature, puisque ça démarre sur Leiris pour s'achever sur Virginia Woolf.
Du reste, si je ne me trompe (et qu'il s'agisse d'un homonyme), ce Grégoire Bouillier est un collègue avec qui j'ai eu l'occasion de travailler il y a quelques décades. Il s'avère être un garçon fort sympathique et un très bon pro. Je pense que les relecteurs de son livre n'ont pas du avoir trop de travail... (il est secrétaire de rédaction)
RépondreSupprimerOtto Naumme
Hum... Nouvelle preuve qu'il ne faut pas commenter avant une certaine dose de breuvages matinaux aux effets euphorisants, le terme "décades" dans le commentaire ci-dessus n'est évidemment pas très approprié. A moins de compter plusieurs centaines de ces décades... Auquel cas on aurait sans doute préféré parler de "décennie".
RépondreSupprimerLes affres du réveil difficile...
Otto Naumme
Qu'est-ce qui est préférable ?
RépondreSupprimerDes cadors, ou des seniors ?
Oh, ce cher George nous revient au meilleur de sa forme !
RépondreSupprimerEt je pense que l'on va se goinfrer, puisque cador dîne, j'imagine ?
Otto Naumme