A propos des préoriginales - II

Le dernier billet sur les préoriginales a suscité quelques commentaires qui donnent ici matière à prolongements. Cela fait du reste pas mal de temps que l’on avait négligé les propos concernant la pratique du métier de la libraire d’occasion (je prends ce terme pour faire court…) Si j’en juge par les statistiques de fréquentation des billets, celui-ci n’a pas été négligé, bien au contraire, même si les commentaires furent assez peu nombreux.
Vous ne trouverez pas le premier des commentaires dans le blog lui-même. Celui-ci fut formulé par Julien Mannoni, lequel ajoute fort justement à la suite de mes propos :
« Ajoutons que les préoriginales, quoique parfois plus rares, valent presque toujours moins cher que l’originale correspondante et c’est tant mieux car le bibliophile un peu moins fortuné que ses comparses pourra ainsi se constituer une bibliothèque à (relativement) moindre frais. »
On approuve bien sur ces propos sous réserve d’une remarque à propos de ces préoriginales. La matière des revues est en général de fort médiocre qualité. Nombre de revues qui furent les supports d’auteurs connus avaient été imprimés sur des papiers à base de pulpe de bois, matière qui brunit au cours du temps. Pour cela, il suffit de trouver quelques numéros du Mercure de France - par exemple et parce que c’est encore un peu courant - pour s’en convaincre. Il est évident que l’état du papier rentre en ligne de compte lorsque l’on évalue un ouvrage. Cela dit, Julien souligne fort justement que certains numéros de revues sont plus rares et moins souvent conservés que les premiers tirages d’un livre. Mais enfin, nous pouvons nous dire également qu’une revue ce n’est pas un livre et ne pas l’admettre dans sa bibliothèque sous ce prétexte. Ce que je trouve fort dommage pour ma part.
Bougrelon, alias Christophe, alias la librairie Lis Tes Ratures, a indiqué dans les commentaires que j’avais omis les tirés à part de revues. C’est fort juste. Honte à moi !
Un tiré à part est un texte conforme à l’édition en revue que cette dite revue entreprend de publier, comme une sorte de numéro spécial. Du reste, on indique souvent une numérotation bis à ces publications sur la couverture. Ces tirés à part dépassent parfois l’intérêt restreint des abonnés d’une revue littéraire ou même d’un bulletin scientifique ou d’intérêt local. C’est parfois la seule trace qui nous reste d’une préoriginale, la revue elle-même étant parfois fort mal distribuée ou noyée dans un tel flot d’inintérêt qu’elle a complètement disparu des rayons des libraires ou des bibliothèque de particuliers… Généralement ces tirés à part présente une mise en page identique à la parution en revue. Aucune nouvelle mise en page ou imposition n’a été nécessaire, parfois le numéro des pages disparaît ou nous avons droit à un nouveau foliotage. Le papier est souvent analogue à celui des revues, c’est ce qui rend également ces tirés à part un peu rares du fait de leur fragilité, c’est pour cette raison que nous rencontrons souvent ces plaquettes – car ce ne sont souvent que quelques pages – en bradel (disons « cartonnage » pour faire plus simple) ou en reliure…
Il ne faut surtout pas confondre ces tirés à part avec les extraits de revues que des particuliers peuvent réaliser parfois, pratique qui consiste simplement à débrocher une revue et ne garder que les pages qui intéressent particulièrement l’amateur. Il arrive parfois que plusieurs textes soient artificiellement rassemblés sous une reliure commune, comme un roman en plusieurs livraisons, une série d’articles, etc. Ici, bien sûr, il ne s’agit pas de l’entreprise délibérée d’une revue mais d’une lubie d’amateur. Cela a parfois un certain intérêt, comme le fait de savoir qui a pu constituer ces recueils artificiels.
Il est évident que le terrain de jeu des amateurs de préoriginales se situe principalement entre les milieux du XIXe et du XXe siècle, période ou énormément de revues furent publiés, parfois confidentiellement et de vie fort brève.. Répondons toutefois à Michèle qui s’inquiète du bonheur des futurs bibliophiles que la matière existe toujours jusqu’y compris dans les revues et les bulletins qui continuent à se publier ici et là. L’âge du web n’a pas encore détruit cette envie d’éditer. En revanche, c’est le chercheur qui aura du souci à se faire pour les fameuses variantes dont ils est friand car la rédaction par ordinateur a amoindri quelque peu la distance qui existait entre un texte en revue et en volume, le temps passé à la rédaction et à la relecture s’étant également accéléré. C’est souvent dommage.
Autre oubli remarquable de ma part : comment ai-je pu oublier de vous rappeler ici du remarquable travail de notre camarade SPiRitus sur les petites revues ? Je sais ce qu’il me reste à faire. Je lui demande seulement un peu de temps et d’indulgence…

4 commentaires:

  1. Mon cher Tenancier,

    Vous êtes absolument pardonné de votre oubli, puisque la mention du blog, en votre précédent billet, ne s'imposait pas. Deux ou trois petites réflexions, en passant, qui me viennent à vous lire :

    "Nous pouvons nous dire également qu'une revue ce n'est pas un livre et ne pas l'admettre dans sa bibliothèque sous ce prétexte", écrivez-vous sans adhérer personnellement à ce jugement. Ah, si seulement ce genre de bibliophiles rejetant les revues venaient à passer ici, qu'ils sachent qu'en ce qui me concerne, j'admets absolument la revue dans ma bibliothèque, et que je n'ai rien contre un don qui pût les débarrasser de leurs importuns périodiques...

    Il y a, outre le tiré à part, une autre pratique, moins courante sans doute, qui est la publication d'un texte d'auteur dans un numéro spécial de revue. Deux titres me viennent à l'esprit - mais il y en a assurément d'autres : LILITH de Remy de Gourmont dans le n°8-9 (septembre-octobre 1892) des ESSAIS D'ART LIBRE ; LA RANDONNÉE de Saint-Pol-Roux dans LA REVUE DE L'OUEST (août 1932). Si la première connut ensuite une série d'éditions plus "classiques" sous la forme de livres (à commencer par une édition originale aux éditions des ESSAIS D'ART LIBRE, dans la foulée de la pré-originale publiée dans la revue du même nom), la seconde ne connut aucune autre édition du vivant de l'auteur ; et il fallut attendre les années 1970 pour que René Rougerie la re-publie et en donne donc l'édition originale. Mais dans ce cas précis, la pré-originale vaut bien plus chère que l'originale.

    L'écart des prix entre pré-originales et originales me paraît d'ailleurs tout relatif. Un recueil rassemble plusieurs textes qui ont, fort souvent et pour la plupart, fait l'objet de publications pré-originales. Parvenir à réunir toutes ces pré-originales, c'est-à-dire les numéros de revues où ces textes apparaissent, me paraît alors constituer un investissement phynancier qui pourrait bien égaler ou dépasser celui représenté par l'achat d'un exemplaire de l'édition originale. Aussi, serais-je presque tenté de conclure que, proportionnellement, l'édition pré-originale est presque toujours plus chère que l'édition originale.

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  2. Le tiré à part continue de se pratiquer pour des magazines grand-public de divers domaines, de ce que j'ai pu voir. Pas tant pour faire ressortir des textes littéraires, bien sûr, que pour des besoins promotionnels (attention, je ne confonds pas ici tiré à part et "exemplaires promotionnels", condensé d'un numéro "courant" réalisés pour servir de support marketing aux propositions d'abonnement, même si, globalement, la technique et le résultat sont identiques). L'on trouve ainsi des tirés à part réalisés pour être distribués à l'occasion d'un salon (le numéro du magazine étant fort opportunément un "spécial salon"...), à moins que ce soit l'organisateur du salon qui l'ait demandé à l'éditeur du magazine... Bref, cela reste bien éloigné, malgré tout, du monde littéraire, seul le journalisme est ici mis à contribution.
    Quant aux oeuvres littéraires insérées dans des revues non-littéraires à la base, j'en connais encore quelques exemples. Mais, et cela est bien triste, les enquêtes de lectorat montrent que c'est ce qui intéresse le moins les lecteurs du journal, qui privilégieraient la présence d'une BD. La qualité des textes présentés serait-elle responsable de ce désamour ? Peut-être, mais ce n'est sans doute pas la seule raison. C'est triste, en tout cas...

    Otto Naumme

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  3. Cher Tenancier,
    Merci pour votre lien vers mon modeste blog.
    Je me permets de relever ces quelques mots de votre billets afin de prendre plaisir à les contredire par l'exemple (notez que j'ai bien relevé la nuance du mot "souvent" et que l'exemple concerne non pas les tirés à part mais les revues proprement dites. Bref, je ne suis pas loin du total hors-sujet !):
    "Le papier est souvent analogue à celui des revues, c’est ce qui rend également ces tirés à part un peu rares du fait de leur fragilité[...]."
    Vente le la bibliothèque Pierre-Georges Castex, 13 mars 2003 N°181 : Huysmans, En Rade, La Revue Indépendante, 1886-1887. in-12 demi-maroquin brun à coins de Lavaux. Édition pré-originale en revue. Les chapitres 1 et 2 sur Japon, 3 et 4 sur Hollande et 6 sur chine.
    Adjugé 400 € sans les frais.
    Incontestable un bel objet de bibliophilie que personnellement je regrette encore.
    Bien à vous Cher Tenancier.
    Christophe

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  4. Oui, bien sûr, certains tirés à part bénéficient de tirages sur un papier moins lamentable, certes ! Mais vous avez répondu par avance de toute façon par votre plaisir de contredire.
    Ce que nous goûtons.

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

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