L'été est une région inintéressante

Il est curieux comme certains moments recèlent quelque amertume. On dirait que, à point nommé, cycliquement, le même cortège d’embarras, de nouvelles emmerdantes, de désastres intimes, de contraintes arrivent, comme par la volonté des astres ou de par la trame de fumeux complots. Parfois, cela s’adresse à nous même, nous rendant insulaire et amer au milieu des gens odieusement heureux. Il arrive toutefois que l’empathie traverse nos semblables. On n’est plus seul par la grâce d’un signe à travers la brume des sentiments. Parfois, aussi, ça ne marche pas. Souvent même. On finit par avoir l’habitude, on se blinde ou on pleure, mais seulement pour l’usage. Au bout d’un certain temps, ça glisse : les morts, la désertion, les amis qui se sauvent par diverses portes qui ne sont parfois pas trouvées au hasard. Ou bien parce que l’on a trouvé une porte commode, soi même. L’été est de ces moments là, c’est le temps ou les choses et les êtres vous désertent : ici un fil se coupe dans la douleur, là une ombre s’estompe. L’été nous rend soudainement vieux, échoué et paradoxalement sec. On voudrait sauter l’été et passer directement dans cette arrière saison du vacancier gracquien, cet instant de bascule, encore dans l’attente, les premières fraîcheurs et cette idée de ne pas revenir, enfin pas entièrement, avec cette obscur tentation du lâchez-tout, comme un mot sur le bout des lèvres… En attendant, ce sont les autres qui nous lâchent. Les joueurs ont déserté la table. Le jeu ne vaut plus rien.
Et puis ce sont des personnes que vous n’avez jamais croisées mais qui faisaient parti du paysage qui décident de passer la main, tel Dominique qui veut fermer son blog. Il se pensait sans doute l’égal de Paul-Louis Courier alors que c’était dans la descendance – modeste, certes, mais réelle – de Restif de La Bretonne ou de Fargue qu’il fallait l’attendre. Mais nous sommes rarement lucides sur ce que nous sommes. Ainsi, il clôt son périple pour de mauvaises raisons. On écrit pour soi et, éventuellement, pour des happy few. Rien de ce qui concerne « l’audience » ne devrait concerner un honnête homme. Rien des ratiocinements du monde n’aurait dû le concerner autant que le fumet des trottoirs qu’il aime tant et avec tant de justesse.
Et puis il y a le poids des jours, la tâche sur laquelle on épuise sa patience. Tout à coup, on se retrouve devant le travail à faire, les échéances. On a envie d’être loin, loin du monde, loin de la violence du monde…
Et puis ce billet sur un autre blog qui provoque notre profond déplaisir.
On se dit tout à coup que, devançant l’échéance que l’on s’était fixée, il vaudrait mieux sans doute clore ici. Certes, il faut se méfier de soi. Bierce, dans Le Dictionnaire du Diable affirmait que seul, c’était être en mauvaise compagnie. Oui, certes, mieux vaut attendre…
Cependant, j’attendrai d’une autre manière, quelques jours, une semaine voire deux, on verra bien ; me renfermer pour protester des silences, des abandons, des disparitions – parfois insondablement tristes, comme celle de Perdita, et d'autres fort bienvenues – et de ce monde devenu odieux et ce par mon propre mutisme.
Ça vous fera les pieds.

17 commentaires:

  1. Ah Tenancier vous voilà bien sombre...mais si nous n'ajustons pas nos bésicles ici même dans la joie, la bonne humeur et vos colères, le ciel ne cessera de s'obscurcir.
    S'égayer ou s'égayer ?

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  2. Hervé Thiellement09 août, 2011 05:20

    Drôle de décision. J'ai été visiter les deux blogs cités. L'irréductible semble avoir fait du bruit avec sa 2cv. Que lui faut-il comme audience ? Quant à l'autre il est souffrant et ne peux concilier maladie et blog. Pas de quoi en faire des exemples à suivre, me semble-t-il.
    De plus, cet été ne ressemble à rien, ou alors à l'automne.
    Mais bon chacun exerce sa liberté, c'est bien la moindre. Bon silence donc, mais reviens-nous !

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  3. Le Tenancier travaille sur la concordance des temps, l'automne extérieur, qui sévit effectivement comme le note ce cher Hervé ; l'intérieur, maussade à force de nuages pas toujours passagers.
    Mais qu'à cela ne tienne ! Nos grenouilles préférées (qui ont tout intérêt à ne pas se confusionner si elles ne veulent finir rapidement dans une poële) annoncent un regain de soleil et de beau temps. Cela n'éliminera pas certains profonds déplaisirs, je ne le sais que trop, mais obligera bien le Tenancier à se dérider. A moins qu'il tienne à vraiment ressembler à son avatar "zemblesque". Déjà que le chapeau bigouden lui est naturel...

    Et, sur ces bonnes paroles, je vais de mon côté prendre quelque congé, denrée rare et d'autant plus appréciable - surtout si quelques nuages voulaient bien se dissiper, même un tout petit peu...

    Otto Naumme

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  4. La bascule. L'équinoxe. L'équinoxe de Milan dans les mauvais coups.
    L'été dans la gueule des médias qui ne croient pas si bien dire, c'est la saison des grands départs.On part, comme revenu tout après avoir été nulle part.
    Il est là l'inavouable drame, tenancier.Et je comprends qu'on puisse avoir mauvaise ivresse à jeter des bouteilles de la mer que le ressac ne renvoie jamais.
    Bien à vous

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  5. Quoi?Mais enfin!Mais que diable!
    Certes je ne jouerai pas le maître en fol espoir.Alors ceci tout simplement:on attend vos prochains billets et l'éclaircie qui les favorisera.A bientôt.

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  6. Magnifique texte et le titre itou. Merci Tenancier. Il est des présences qu'aucune défection n'atténue...

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  7. La tentation de baisser le rideau de fer et de l'abandonner à la rouille est là, bien sûr, qui rôde. Ah, comme elle m'a assailli, la gaupe, lors de l'affaire Allix au pays des cartes vermeil. J'aurais bien fermé aussi, et tout sabordé en un "après moi, le déluge" ou "je demande l'occultation profonde du...", mais bon, disons-le : nous faisons cela pour nous ; nous faisons cela pour trouver des hommes selon nos cœurs et nos esprits, autant dire des "happy few". Même des silencieux. Ah, Tenancier de mon cœur, mais vous êtes un béni de la toile, vous ! On vous lit, on vous commente, on vous aime ! Oh, si seulement tous ceux-là qui hantent ordinairement votre boutique devaient, en cas de fermeture, aller vers d'autres, je vous dirais, illico : donnez donc deux tours de clé et jetez-la loin au-dessus du lac ! Mais, nous savons, vous comme moi, que ces bons bougres d'habitués n'auraient, en réalité, nulle part où aller et se retrouver. Car, partout ailleurs, on ne serait pas comme en famille.

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  8. Comment ça, déprime? AH mais ça ne va pas du tout ça!!!!!
    Mais c'est que nous avons besoin de vous, mon bon monsieur.
    Béatrice Kontrapas

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  9. « En famille » : j'abonde dans le sens de mon cousin SPiRitus — ainsi que dans celui de Michèle : très beau texte, émouvant et pudique.

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  10. « Ça vous fera les pieds.»

    Oui !

    Toutefois,rappelez-vous que l'homme dit de la conscience savourante (Mounier) est un homme qui sent glisser en lui le courant de la vie ; il prend un tel plaisir qu'il ne veut connaitre ni au-delà ni finalité. Il ne s'inquiète ni des dessus ni des dessous, ni de buts ni de problèmes.


    ArD

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  11. L'homme de la conscience savourante "s'intéresse surtout aux dessous d'la voisine du dessus..."
    Bof...

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  12. J'avais lu ce billet un peu vite dans certains de ses aspects, toute suspendue que j'étais aux fulgurances de sa première partie. Si bien que pour Perdita je m'étais reportée au billet la concernant, et signant bêtement (sans jeu de mots) mon commentaire, de ce nom si beau. Je m'aperçois un peu tard de ce qui est dit sur elle ici.
    Je retire donc de mon premier commentaire à ce billet-ci, ce "itou" qui voulait tenter de rendre le plus léger possible un compliment très sincère.

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  13. Merci pour vos messages. Pardonnez ce moment de vague à l'âme...

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  14. On lui pardonne bien volontiers. On aurait juste envie de le voir atterrir sur des rivages plus familiers...

    Otto Naumme

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  15. Ne fermez pas la porte trop vite ... je viens de vous découvrir en cliquant chez Dominique, justement ! Ce texte est superbe et il résume tant de choses avec sobriété et courage. Ce courage qui fait souvent défaut à certains blogueurs, celui de se regarder en face, sans se farder, à nu ... Je sais ça. Combien de blogs fermés parce que j'ai osé ... fermer. Difficile de trouver sa route dans le labyrinthe de la blogosphère. Difficile de dire les mots juste. On pourrait en faire un roman ... Mais restez encore un peu, juste pour renouveller le plaisir éprouvé à vous lire ce matin de fin d'été ...

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

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