2600 âmes

Nous n'avons pas fini, ce me semble, de polémiquer sur le livre neuf... Ce débat fut également transporté sur Facebook ou les billets de ce présent blog sont retransmis avec un léger différé, comme on dit. On sait le remous que provoqua mon billet : Pourquoi je ne reviendrai pas travailler en librairie de neuf. Les commentaires, plus brefs dans l'ensemble, recoupent assez ce que vous avez pu lire ici. Restait cependant une réaction d'une professionnelle plus dépassionnée, plus courtoise et certes plus constructive. Je lui ai demandé de développer un peu son commentaire afin de le reproduire ci-dessous.
Le voici :

Voici donc un petit aperçu dans le désordre de mon travail de libraire indépendante !
Le décor :
petite structure (50 m²) que j’ai reprise en 2002 située dans un bourg en zone rurale (Sud-Ardèche), ouverte toute l’année avec une forte activité estivale . A noter que dans cette petite ville de 2600 âmes il y a un autre point de vente librairie-papeterie bien mieux située… sans compter la maison de la presse et les deux moyennes surfaces qui se prennent pour des libraires entre les packs de bière et les produits lessive ! La concurrence est donc rude.
Pour me démarquer, j’ai d’abord fait le choix de personnaliser le lieu, qui n’a rien de la boutique standard ! Les livres sont installés sur des petites tables, rondes ou pas et sur des étagères, plutôt par maison d’édition, en ordre désalphabétique ! Au lecteur de se débrouiller. Je concède juste sur la présentation des nouveautés, visibles dès l’entrée.
Le travail :
Comme je vous le disais, j’ai refusé le système des offices. Je choisis tous les livres qui entrent dans la librairie, c’est un travail intense et passionnant. (Je passe certainement à côté de certains titres qui sont à «l’honneur » au box-office ! ). Ce choix me pénalise bien sûr puisque la remise accordée par les éditeurs est fonction du chiffre d’affaires…
Je privilégie les fameux « coups de cœur » et les écrivains que j’aime (ils sont nombreux.). Cette démarche semble très appréciée des lecteurs et j’organise régulièrement des séances de lecture avec signature.
Pour finir, je précise que je travaille seule (il ne m’est pas possible de dégager un autre salaire et pour tout dire, je m’enrichis surtout de … l’intérieur !).
Libraire, un métier qui me permet de vivre certes modestement mais c’est encore une passion.
Cordialement,

Clodine Brion

Librairie Vandromme
Rue Droite
07140 Les Vans

18 commentaires:

  1. à quand la rubrique : « Pourquoi je n'achèterai plus de livres neufs en librairie de neuf » ?...

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  2. "Comme je vous le disais, j’ai refusé le système des offices". Voilà, tout est dit, ou presque - non ? Le système des offices dont beaucoup de libraires se prétendent victimes, il n'est pas impensable de le rejeter (et pour cela, bravo Clodine).

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  3. Nous avons déjà parlé des offices quelque part sur ce blog. La flemme de vous mâcher le travail : z'avez qu'à chercher, tiens !


    (C'était un communiqué du Tenancier Grognon)

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  4. (Naturellement, le Tenancier est grognon pour de faux, il précise parce qu'il est assez mal lu, ces temps-ci)

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  5. Offices expliqué très clairement ici :
    Archives > 2009 > Juillet > 22 (Otto y est à la une !)

    ArD

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  6. Chère ArD, qu'avait-il encore fait, celui-là ?

    Pour en revenir au sujet et à l'intéressante intervention de Clodine Brion, il faudrait sans doute rappeler qu'une activité commerçante a pour objectif, le plus souvent, de gagner sa vie. Ce qui, comme le note madame Brion, est rien moins qu'évident dans son cas (la librairie de neuf indépendante). Alors qu'elle est sans aucun doute une libraire compétente, passionnée, engagée au point de rompre avec les "artifices" de vente du secteur (les offices notamment, mais aussi classement alphabétique et autres babioles).
    Mais il s'avère que, pour un libraire, vivre sans offices est un sacerdoce, si j'ose dire. Regardez les chiffres de vente du premier semestre 2010, les parutions de trois-quatre auteurs (de mémoire, Pancol, Lévy, Musso, BHL...) représentent pratiquement la moitié du chiffre d'affaires de l'édition...
    Alors, après, il est certes plus plaisant pour un (bon) libraire de vendre un ouvrage de Cynthia 3000 que l'un de ces assemblages de papier, d'encre, de colle (mais pas d'idées). Mais, même si nous le regrettons tous, combien de l'un se vendent-ils et combien des autres ?

    Je pense pouvoir affirmer sans risque d'être détrompé que nous tous qui intervenons ici, et le Tenancier en tout premier lieu, aimons les livres, qu'ils soient neufs ou d'occasion important peu, au fond, pourvu qu'ils soient intéressants et de qualité.
    Et la remarque de Monsieuye Am Lepiq est des plus pertinentes : pourquoi le consommateur irait-il s'enquiquiner à entrer dans une librairie alors qu'il peut acheter le même "paquet de lessive éditorial" sur Internet, en version "papier" ou électronique ?

    Je sens qu'il faudra revenir sur le sujet, cher Tenancier...

    Otto Naumme

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  7. Otto, parce que... Il est des consommateurs inexpugnables à qui l'on n'ôte pas le sens de la responsabilité dans le processus de leur formatage ; ces mêmes lecteurs dont la résistance est une forme de déontologie de leur pratique de la consommation, icelle qui les retient d'acheter les infâmes tomates calibrées des supermarchés. Ces mêmes lecteurs s'obligeront envers leur libraire obligé. Voilà pour la pratique. Venons-en au symbole.
    ——
    Revenir sur le sujet, comme vous le proposez, impliquerait probablement de revenir sur le procès contre la «culture de masse» au même titre que celui qu'on inflige à la télévision, le cinéma, l'informatique... Henri Jean-Martin, dans Les Métamorphoses du livre, raconte comment, en 1958, son idée d'étudier le livre comme un produit du commerce, autant que comme une œuvre de l'esprit, choqua. Pour le commerce, la forme du livre est une providence, soyons clair et la dimension sacrée s'en trouve bafouée par l'abondance de la production. Or, les livres dont on fait peu de cas (donc les «bouquins», traduction de «boeck» = ordinaire) existent depuis l'invention de l'imprimerie.
    Le livre sous sa forme de codex peut inquiéter, seulement parce qu'il est concurrencé. Or, ce n'est pas sa disparition qui inquiète, mais sa prolifération qui banalise, qui abolit certains privilèges.
    Heureusement qu'il existe beaucoup de mauvais livres, car s'il n'existait que de bons livres, le livre serait un formidable outil d'assujettissement. (Mais c'est un autre débat.)

    ArD

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  8. Merci beaucoup, madame Brion, pour ce passionnant témoignage "dépassionné". Vous faites bien.

    Sinon, pour revenir au "buzz" déclenché par le Tenancier - voyez comme j'excelle dans la langue qui nous est si chère... -, n'oublions jamais que ledit Tenancier ne veut plus vendre du neuf "parce qu'il est Tenancier et qu'il fait maintenant ce qui lui fait plaisir."
    Voilà qui devrait suffire.

    En outre, j'apprécie grandement que le dernier mot de cette note désormais fameuse soit "plaisir". Après, bien sûr, il faut manger. Aussi je forme des voeux pour que le Tenancier mange (aussi) ce qui lui fait plaisir.

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  9. Quand on va dans un patelin, qu'on ne met pas en rayon ce qui se vend, faut pas s'étonner de mal gagner sa vie... le snobisme des libraires et leur "mission" me fait mourir de rire... ils ne veulent pas admettre qu'ils sont des commerçants... et c'est tout! Humilité mon cher, humilité... il n'y a pas de métier qui ne soit noble, il n'y a que des gens qui ne se voient pas ce qu'ils sont.

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  10. Anonyme, personne ne nie être un commerçant, dans l'affaire. Nous savons ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. Il y a des façons de le faire. Tout est dans la nuance.
    Vous savez... la nuance ?
    Et si Clodine Brion arrive à vivre, même chichement, de son métier dans un coin reculé, c'est assez encourageant, je trouve.
    Cela dit, Anonyme, je vous le signale gentiment mais votre manière d'intervenir nous pompe l'air, à nous asséner votre salade sans arguments valides. Comme il y a des libraires qui font ce qu'ils peuvent pour faire de leur métier autre chose qu'un emmerdement continuel, je me dis qu'il serait bon que vous en preniez exemple et qu'à l'avenir, vos commentaires, frais, joyeux, intelligents égayent notre blog de votre savoir qui semble bien pointu sur ce qu'il faut faire ou pas... en matière de commerce.
    Enfin si vous pensez qu'un bon commerçant doit pouvoir tout vendre, j'agrée volontiers, ce qui n'augure pas de votre compétence, car je ne suis pas preneur de vos salades.

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  11. Humilité, dit-il...

    Otto Naumme

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  12. Otto, vous dites : "Mais il s'avère que, pour un libraire, vivre sans offices est un sacerdoce, si j'ose dire. Regardez les chiffres de vente du premier semestre 2010 (...)"

    "Sacerdoce", mouais, pourquoi pas (même si madame Brion parle simplement de "vivre modestement", ce qui aujourd'hui est déjà quelque chose, à défaut d'être la panacée). Maintenant si l'on veut bien poser son regard du côté éditeur et laisser un instant le point de vue "libraire", ne peut-on constater la même difficulté ?
    Un éditeur qui s'écarte du système purement commercial (ou qui refuse d'y entrer), de fabrication-vente d' "assemblages de papier, d'encre, de colle (mais pas d'idées)" - comme vous les nommez à juste titre -, peut-il espérer dégager tranquillement un salaire ?

    Il ne trouvera pas (ou difficilement) diffuseur et distributeur, peu de librairies l'accueilleront - et parmi elles combien s'engageront, en ne se contentant pas de prendre les ouvrages en dépôt (et encore, en faible quantité) ? -, ses livres seront peu présents sur le territoire et certainement rarement mis en avant sur les étals... Comme il vendra peu il tirera peu, paiera en conséquence cher son imprimeur et tous ses fournisseurs. Ses frais fixes (maquette, par ex.) seront les mêmes que ceux d'un "gros éditeur commercial" mais représenteront un coût proportionnellement plus large par ouvrage, petit tirage oblige. Ses livres lui coûteront plus cher mais il réduira ses marges pour les vendre à un prix similaire à ceux d'un gros éditeur commercial (sans ça il vendra encore moins, et puis il souhaite que ses livres soient à la portée de toutes les bourses). Les remises exigées par les librairies seront en moyenne plus élevées pour lui que pour le gros éditeur commercial. Etc.*
    Je me doute que je ne vous apprend rien.

    Mais, heureusement, certains lecteurs, libraires, éditeurs, acceptent mal d'avaler n'importe quoi, dont un bon lot de couleuvres. Résister, comme dit Ard : boycott des tomates calibrées comme exemple de "déontologie de leur pratique de la consommation". Refus des offices et refus de fabriquer de la littérature au mètre, exemples de déontologie des pratiques de distribution, de fabrication.

    PLutôt que de sombrer dans le misérabilisme je dis sinon bravo, du moins "ouf !" : la balance maintien de salaire/éthique penche parfois du bon côté.


    [* Je précise que ne parle pas pour nous, hein, chez Cynthia 3000 nous nous maintenons "tranquillement" dans le bénévolat (avouons que nos réflexions passagères sur une éventuelle professionnalisation de l'activité éditoriale nous tirent toujours vers des conclusions peu rassurantes...), et ne travaillons que bien peu avec la librairie, par choix plus que par contrainte (cela étant, si nous voulions vendre en librairies, nous aurions sans doute des difficultés à placer nos livres dans plus d'une dizaine d'entre elles).]

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  13. Chère CBP, je suis entièrement d'accord avec vos développements, qui de surcroît éclaircissent des points qui peuvent rester dans l'ombre pour beaucoup de monde (moi y compris, je ne connais pas toutes les arcanes de l'édition).
    Et je suis tout à fait d'accord également sur le fait qu'il faille pratiquer une sorte de "militantisme de l'intelligence" (soyons pompeux...), portant vers les livres avec un contenu écrit sur les pages, des vraies tomates, du boeuf élevé dans le champ d'à-côté, de la musique faite par des vrais musiciens, des magazines considérant que leur lectorat n'est pas débile, etc.
    Mais je persiste à penser que, malgré tout, il s'agit d'un sacerdoce. Dans le sens où, justement, c'est un choix réfléchi mais qui implique des "pertes" (d'argent, de clientèle - je me souviens de ce dialogue entre un caviste en Dordogne et un client armé de son guide Parker : "vous n'avez pas le château Machin ?", "non, mais essayez ce Domaine Truc, il est bien plus représentatif de l'appelation", "ah ben non, il est pas dans mon guide"). Certes oui, on va en profiter pour vivre avec nos idées (mourir, on envisagera plus tard, n'est-ce pas ?), mais on sait qu'on en paye un certain prix. Et qu'à l'inverse on en retire aussi certaines satisfactions. Du reste, qui a dit qu'un sacerdoce était forcément négatif ?
    Mais, pour qui travaille à vivre de son métier, il est vrai que sciemment se priver de ce qui pourrait potentiellement représenter la moitié de son chiffre d'affaires n'est pas forcément évident. Quel chausseur serait assez "fou" pour ne vendre que des souliers pour pied gauche ?

    Otto Naumme

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  14. Ok pour le sacerdoce positif, alors. Mais l'analogie avec le chausseur fou me semble, comment dire, un peu tirée par les pieds...

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  15. ... parce que cette analogie n'est pas bonne, si je puis me permettre, Otto. Si analogie vous deviez faire, alors le chausseur fou serait comparable à un libraire qui ne vendrait que les couvertures de ses livres, me semble-t-il.

    «Sacerdoce positif» renvoie finalement à l'acception religieuse du mot sacerdoce qui conçoit l'affaire comme un privilège. Je me doutais bien qu'Otto était bon en théologie, ça ne m'étonne pas !

    ArD

    ArD

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  16. Chère CBP, oui, j'avoue, l'analogie est ma foi quelque peu, comment dire, juste un tout petit peu à côté de la plaque !

    Chère ArD, moi, bon en théologie ? Voilà qui fera gondoler le Tenancier ! En dehors de croquer du curé (quelle que soit la marque de sa soutane)... Mais, effectivement, celui qui entre en sacerdoce le fait souvent par plaisir - chacun le trouvant là où il peut...
    Quant à ma, bien pauvre je le reconnais, analogie, je ne suis pas d'accord avec vous, une chaussure gauche n'est pas une boîte à chaussures. Et encore moins une couverture de livre. Le "bon" équivalent serait une moitié de livre (découpé à l'horizontale par exemple).

    Bref, j'aurai du dire "quel chausseur serait assez "fou" pour ne pas vendre de bottes lorsqu'il pleut ?". Ou ne rien dire, du reste.

    Otto Naumme

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  17. Le Tenancier me dit souvent que les voies d'Otto sont impénétrables... (pourtant).

    (À propos de gondoler, le métier se féminise : la première femme gondolière est en piste à Venise depuis peu.)

    ArD

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  18. Chère ArD, je pensais, et j'osais espérer, que le Tenancier avait d'autres sujets un tantinet moins terre à terre (jaune) à évoquer avec vous...
    Je sais bien sa tendance à l'indélicatesse, mais j'espérais...

    Otto Naumme

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

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