Je vous remercie pour la charmante lettre que vous avez jointe au colis. Comme il est de coutume ici, j'ai partagé les provisions que vous avez bien voulu glisser dans celui-ci, avec la paire de mitaines que je vous avais commandée et que j'ai gardée pour mon usage. Mes camarades de tranchée ont beaucoup apprécié le chocolat et nous attendons notre retour en cantonnement pour déguster l'appétissant pudding de Noël. Le froid n'est pas trop mordant dans ce bout de la Somme où nous sommes stationnés. Nous n'avons que peu de contacts avec la population car elle s'est réfugiée en arrière. Le peu que nous puissions en connaître se trouve dans les fermes abandonnées à la hâte et qui sont désormais complètement vidées de leur contenu quand elles ne sont pas bombardées, même par notre propre artillerie. En effet, on ne voudrait pas que celles-ci servent d'abris à l'ennemi. C'est tout de même une grande pitié de voir ces ruines. Le front est calme et, comme vous me l'aviez recommandé dans vos dernières lettres, je me contente des corvées ordinaires en songeant vivement à vous revoir et espérant de nouveau vous tenir la main.
Je tiens vivement à vous remercier encore pour les lectures que vous avez eu la bonté de me faire parvenir. Je réserve celles-ci pour notre cantonnement en arrière car, ici, la lecture n'est point facile et exige trop de concentration. J'espère pouvoir les lire dans mes quelques moments de repos car les corvées ne disparaissent pas par enchantement de notre quotidien, même loin de nos ennemis. Cependant j'ai lu quelques extraits qui me sont parus très attrayants et qui me permettent de penser à vous, ainsi ce passage qui n'est pas sans me rappeler notre dernière conversation :
« Dans sa molle résistance, ma main ne put se défendre de sentir ce qu'elle aurait vainement essayé d'étreindre : une colonne du plus blanc ivoire, élégamment sillonnée de veines bleues, avec, au sommet, entièrement découverte, une tête du vermillon le plus vif : la corne ne pouvait être plus dure ni plus raide, et le velours, cependant, plus doux ni plus moelleux au toucher. Il guida ensuite ma main un peu plus bas, à cet endroit où la nature et le plaisir tiennent de concert leurs magasins, si convenablement attachés et suspendus à la racine de leur principal instrument, de leur premier ministre, qu'on pourrait aussi l'appeler, non sans justesse, leur porteur de bourse : là, il me fit distinctement sentir, à travers leur tendre enveloppe, le contenu : une paire de boules arrondies qui semblaient s'y jouer, éludant toute pression extérieure quelque peu sensible. »Cela, chère Mademoiselle, me servira de viatique pour le jour où nous pourrons nous revoir enfin. Je ne puis que louer votre ingénieuse inventivité qui vous fit dissimuler ces romans sous la couverture de romans de Kipling, jugeant fort justement que les censeurs ne penseraient pas un seul moment que l'on profanerait ainsi l'immortel thuriféraire de l'Empire. Vous avez bien fait.
Il est de coutume de clore une lettre en avouant ses projets. Ils sont de vous revoir, adorable Mademoiselle. A cette fin, j'appuie ce vœu avec un passage de l'un des autres romans que vous m'avez fait parvenir.
« Madame Florence jugeant au train que prenaient les choses, que la présence d'un tiers devenait inutile, se retira secrètement, et nous laissa seuls. Aussi-tôt Mr. le Président, sans déroger à la majesté de son état, m'étendit sur le canapé ; et s'étant récréé quelques momens à considérer et à palper mes appas les plus secrets, il se mit dans une attitude toute opposée à celle que je m'étais habituée de tenir avec Pierrot. On m'avait recommandé d'être complaisante : je ne le fus que trop. Le traître me fit ce que les libertins se font entre eux. Je perdis mon autre pucelage. Les contorsions que j'avais faites dans cette anti-naturelle opération, jointes à quelques cris qui m'étaient échappés malgré moi, firent comprendre à Mr. le Président que je n'avais nullement partagé ses plaisirs. Aussi, pour me récompenser et me faire oublier mes souffrances, il me glissa deux louis dans la main. "Ceci, dit-il, est de surérogation ; n'en parlez point à la Florence ; je lui payerai en outre ses épices et les vôtres. Adieu, petite Reine, que je baise auparavant cette charmante fossette : ça, j'espère un jour que nous nous reverrons l'un de ces jours. Oui, nous nous reverrons ; je suis très content de vous et de vos bonnes manières." »J'ose, chère Mademoiselle, émettre le même désir.
Votre,
Textes tirés respectivement de :
John Cleland : Mémoires de Fanny Hill
Fougeret de Monbron : Margot la Ravaudeuse
Faut toujours être vigilant sur les cantonnements arrières en fait. A moins de supiner.
RépondreSupprimerArD
Pour supiner, il faut partir d'un bon pied.
RépondreSupprimerJe vois que le grand barbu du tirage continue à inspirer notre Tenancier, qui ne cesse donc de mener des combats d'arrière-garde.
RépondreSupprimerOtto Naumme
Cher Otto, je continue à ne pas voir de quoi vous voulez parler.
RépondreSupprimerFerrovipathe, dubiter, supiner, etc.
RépondreSupprimerCher Tenancier, vous devriez vous fendre d'un glossaire, de manière, n'est-ce pas, à ce que l'on ne travestisse point vos propos.
En outre, je me demande s'il ne conviendrait pas de répertorier toutes les saillies d'Otto Naumme dans les annales des "Feuilles".
Chr. Borhen, on a depuis longtemps adopté ici la devise de la cour d'Angleterre. Effectivement, nous avons un temps caressé dans le sens du poil l'idée d'un dictionnaire des thermes technique du livre, en tout cas. Donc, une chose assez proche de votre suggestion. On y renonce. L'idée de systématiser un plaisir nous renvoi aux 120 journées d'un philosophe qui ne furent jamais vraiment achevées et qui n'étaient du reste qu'un plaisir solitaire. Sans doute parce que ce poil-là était rétif. Or, nous aimons partager nos menues émotions dans les diverses matières d'une façon moins amidonnée mais plus généreuse. Vous continuerez ainsi à goûter nos menus articles et nos mignardise et non l'alignement de méchant petits lecheprauns conceptuels.
RépondreSupprimerLe cas d'Otto mérite, je l'avoue, une mention spéciale. La puissance de ses saillies font penser - c'est une image, bien sûr ! - à ces remorqueurs qui accueillent les paquebots au terme d'une traversée inaugurale à New York. C'est quelque chose d'ineffablement joyeux.
Tenancier,
RépondreSupprimerVotre image... associe-t-elle aux remorqueurs, ce qui souvent fraie son chemin parmi eux : la pilotine ?
ArD
Oui, pourvu qu'elle sache repérer les snags.
RépondreSupprimerPrécision à propos de ces remorqueurs :
RépondreSupprimerhttp://images.google.fr/imgres?imgurl=http://www.frenchlines.com/flpix/05200-05299/FL005236_m.jpg&imgrefurl=http://www.frenchlines.com/images/image_fr.php%3Fimage%3D5236&usg=__2riRnrorpMy1OXHGIEcn9B4DcVQ=&h=450&w=443&sz=12&hl=fr&start=1&um=1&tbnid=EqIDxP2QB33qiM:&tbnh=127&tbnw=125&prev=/images%3Fq%3Dremorqueurs%2Bnew%2Byork%2Bnormandie%2Binaugural%26hl%3Dfr%26client%3Dfirefox-a%26channel%3Ds%26rls%3Dorg.mozilla:fr:official%26hs%3DUCi%26sa%3DN%26um%3D1
Ah oui, ça change toute la compréhension que l'on peut avoir sur les saillies d'Otto.
RépondreSupprimer--
Petite précision à propos de la pilotine : non, ce n'est pas une femme !, mais cela n'a pas de raison d'affadir votre image, enfin je ne vois pas... au contraire même !
ArD
Merci de la précision, ArD. Ça ne change pas grand chose, du reste, sur le plan de l'habileté du pilotage...
RépondreSupprimerTenancier,
RépondreSupprimerOn ne parle pas de pilotage mais d'habileté de la... manoeuvre d'entrée et de la manoeuvre de sortie (avec ces commandants de bord experts débarqués par la pilotine).
Avec votre vision unilatréale (si j'ose dire), c'est un peu comme si vous expliquiez à Otto que ses saillies vous rappellent le grand jet de Genève.
ArD
Genève ???
RépondreSupprimerGrands Dieux, quelle vigueur !
Oh, très cher, le grand jet de Genève vaudra toujours mieux que le Manneken Pis, n'est-ce pas...
RépondreSupprimerPour le reste, j'aurai tendance à vouloir vous mettre d'accord sur le sujet, très chère ArD et vous, aimable Tenancier : le pilotage est aussi important que les manoeuvres d'entrée et de sortie, tout cela demande de toute manière un certain doigté, si je puis me permettre ce, comment dire, raccourci.
Otto Naumme
Ceci n'a rien à voir avec cela, mais je me suis toujours demandé pourquoi le grand jet de Genève commençait en fait par un petit "j". Un éclairage de lanterne s'impose.
RépondreSupprimerAh... Voilà une rude question qui mérite d'être approfondie (sans penser à mal, ni à de quelconques manoeuvres d'entrée. Ou de sortie).
RépondreSupprimerMe semble, mais il faudrait trouver de nouvelles sources (si l'on peut dire sur ce sujet...), que tout cela a des origines divines.
Dans sa grande bonté et son infinie sagesse, Il avait créé la jeune Eve. Puis, comme chacun sait, celle-ci se tapa une pomme et fut éjectée du Paradis. C'est de là qu'on commença à évoquer la gêne de la jeune Eve, puis, contractions et dérives de langage aidant, l'on en arriva au jet de Genève que nous connaissons aujourd'hui.
Etonnant, non ?
Otto Naumme
Je suis effondré...
RépondreSupprimerLe livre de Job (Ancien Testament)intègre une réflexion de l'homme sur la souffrance. Il remonte à la Genèse du mal et, de source en source synthétique, il crée une confusion entre la cause et l'incidence, le mal et le mâle, donc le jet (pour faire simple). Le romanche subit des drames d'origine euphonique depuis la Création : ainsi, en Schwitzerdutch, le "s" devint "v" et de "jet de la Genèse" on est arrivé à "jet de Genève".
RépondreSupprimerPour la majuscule du Mannecken Piss, là, ça se complique, Chr. Borhen !
ArD
Il y a également une théorie sur le "jet d'eau de Geneviève", mais je n'arrive plus trop a me souvenir de cela...
RépondreSupprimerHum, Tenancier, est-ce bien raisonnable ?
RépondreSupprimerOtto Naumme
Je crois que la raison a été abandonnée en cours de route, dans ces commentaires...
RépondreSupprimerTenancier, avez-vous pensé à prendre vos gouttes ce soir ?
RépondreSupprimerPour le jet d'eau de Geneviève, il s'agit du simple procédé dit de troncation qui consiste à éliminer un son (phonème). Contrairement aux abréviations, ces dérivés tronqués ne sont soumis à aucune contrainte du registre orthotypographique. Ainsi, peut-on parler de la théorie sur le jet de Genièvre, etc.
Parce qu'entre nous soit dit, votre théorie, elle laisse à désirer (on laissera choir ici
l'ambiguïté).
ArD
Cher Otto Naumme, je devine dans votre explication celle d'un homme érudit (et travailleur) qui, lorsque la fréquentation de l'Ecole Biblique de Jérusalem lui en laissait le loisir, allait jeter un oeil nyctalope du côté de l'interlope Tel-Aviv.
RépondreSupprimerAussi bien, acceptez que je vous bénisse.
Chère ArD, votre livraison à partir du "Livre de Job" - notez, au passage, que j'ai fait abstraction de quelque virtuel cheveu sur la langue - démontre, si besoin était, votre haute dextérité pour attiser les braises.
En cela, merci de m'avoir réchauffé.
Ô Tenancier, pour "m'as-tu-vu" qu'il soit, le grand jet de Genève ne saurait souffrir la comparaison avec cet autre, tout proche, sis à Ferney-Voltaire.
Mais là, je m'éloigne.
Vous savez, Chr. Bohren, pour qui a connu l'émerveillement que procure les grandes eaux de Versailles, le reste paraît bien fade.
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