Fantômus
Passent quelques jours, et puis nous recevons une lettre de M. Arthème Fayard, qui était un grand éditeur, ce que nous ignorions complètement, et qui nous convoquait, Souvestre et moi. Nous sommes allés le voir, persuadés qu’il allait nous acheter l’édition en volume du Rour. Il n’en a pas voulu, mais nous a demandé de lui faire trois bouquins qui pourraient se lire dans un ordre quelconque, qui auraient les mêmes personnages, qui seraient bourrés d’intrigues et qui auraient un titre sensationnel. Nous sommes ressortis du bureau de Fayard en disant, c’est un type qui n’est pas sérieux, il ne sait pas ce qu’il veut, pas la peine de s’occuper de cela. Rentrés chez nous, nous avons commencé à nous disputer : Mais non, mon idée est meilleure que la tienne. — Pas du tout c’est la mienne qu’il faut faire. », etc. Bref, nous avons fait notre premier plan. Il fallait trouver le titre, qui ne venait pas. C’est très difficile de trouver un titre qui porte et reste dans l’esprit du public. Enfin, en allant voir Fayard, dans le métro, j’ai eu une idée. J’ai dit à Souvestre : « Qu’est-ce que vous diriez d’appeler le héros Fantômus ? — Fantômus ? pas mal ». Il a pris son carnet et a écrit en grosses lettres FANTOMUS. Ça bouge dans le métro. Peu de temps après, nous étions en face de Fayard. « Avez-vous un titre ? — Oui fait Souvestre, que dites-vous de cela ? » Fayard regarde et dit : « Fantômas, ah mais c’est très bien Fantômas. » Nous avons applaudi, mais n’avons pas dit que c’était lui qui l’avait trouvé. Le livre est sorti, il y en avait des piles chez les libraires. Nous étions convaincus, Souvestre et moi, que cela ne se vendait pas, c’était un ratage noir. Mon Dieu, ce sont des choses qui arrivent. Ce qui est arrivé, c’est la fin du mois. A ce moment là, nos prix étaient modestes, un livre nous était payé 2500 francs. Nous nous sommes présentés à la caisse avec le sourire des gens qui vont toucher la fortune et le caissier nous a dit : « Pas d’accord, il faut voir M. Fayard. — Comment, pas d’accord ? » J’avais, je le répète, environ vingt ans à ce moment-là, j’étais un coq dressé sur ses ergots et j’ai dit à Souvestre : « Ah ça, Fayard ne nous aura pas, j’ai signé, j’ai vu mes engagements, il a signé, il tiendra les siens, on fera le procès ! » Pierre me disait : « Doucement, doucement, tout de même, c’est un gros bonhomme, Fayard, vous n’allez pas… — Ça m’est égal, je le ferai marcher ! » Je suis entré dans le bureau de Fayard comme un homme en colère qui va tout avaler. « Monsieur, il y a votre signature, vous nous devez 2500 francs, il faut payer 2500 francs ! Je vous assignerai. » Fayard a pris un carnet de chèques, très tranquillement et a signé. « Alors il y aura procès », dit-il en me tendant un chèque. J’ai regardé le chèque, j’étais absolument stupéfait : « 25 000 francs ! » Fayard a eu un sourire gentil et m’a dit : « Je crois, Monsieur, que vous ne vous y connaissez pas pour lire les chiffres, lisez mieux. » Il n’y avait pas 25 000, il y avait 250 000 francs et ce n’était qu’un à-valoir. « Jamais on a tiré autant, vous avez un gros succès, faites-moi une quatrième volume tout de suite. » Nous sommes sortis de chez Fayard complètement affolés. Si nous avions rencontré Rothschild nous lui aurions prêté cent sous, on serait peut-être monté à dix francs avec Rockfeller. |
Marcel Allain
Extrait de : « Conférence de Verviers, 1967 »
in : Nouvelle Revue des Études fantomassiennes
Joëlle Losfeld, 1993
Jolie anecdote.
RépondreSupprimerÇa nous change de tous ces minables, genre Rimbaud ou Lautréamont, qui ne parvenaient pas à tirer un sou de leurs publications…
Mais le plus délicieux, c'est le coup de l'écriture tremblée et mal déchiffrée par Fayard !
A vous lire, on dirait qu'il y a comme un ressentiment de votre part vis-à-vis de Souvestre et Allain. Mais je me trompe peut-être...
RépondreSupprimerN'empêche, c'est le type de surprise dont doit rêver tout écrivain. Cela illustre également le succès foudroyant de Fantômas qui me fascine.
Non, non, nul ressentiment, cher Tenancier : ce succès me semble entièrement mérité, contrairement à celui d'un Guillaume Musso, d'un Dan Brown ou d'un Marc Lévy.
RépondreSupprimerEt puis Allain raconte cela très simplement, sans fierté déplacée.
En outre, il est plaisant de constater l'honnêteté foncière d'Arthème Fayard : certains des éditeurs d'aujourd'hui se seraient peut-être montrés moins scrupuleux…
De plus, Le livre populaire chez Arthème Fayard était une des collections populaires des plus captivantes. C'est sans doute l'occasion pour rappeler l'existence passée ou présente du Rocambole ou des Cahiers de l'Imaginaire qui ont un peu exploré ces domaines. Pas assez, hélas, la friche est encore très grande...
RépondreSupprimerAllain semble avoir été quelqu'un de modeste. Du moins c'est l'impression qu'on en tire à travers les divers témoignages. L'espèce du Romancier Populaire s'éteint peu à peu. Un de ses représentants les plus notables encore actif est bien Gilles Maurice Dumoulin, que j'avais rencontré il y a plus de vingt ans et dont raisonne encore la gouaille de titi parisien qui n'appartenait pas seulement à l'un de ses personnages (Otto, qui connaît,vous dira lequel...)
Ouch ! Autant je me souviens très bien certaine mémorable soirée passée avec ce fort aimable auteur, autant j'ai quelque peu oublié ses écrits - cela fait quelques temps que je ne me suis plongé dedans.
RépondreSupprimerMais, effectivement, c'est de l'excellent "roman populaire".
Pour le reste, cher Tenancier, pourriez-vous me rappeler l'année de parution des premiers Fantômas ? J'avoue ne pas bien savoir. XIXe siècle, je suppose. Mais plus précisément ????
En tout cas, cela démontre que le succès d'une oeuvre tient le plus souvent du hasard ; il ne suffit pas de la "formater" selon les aspirations plus ou moins supposées des lecteurs pour que cela fonctionne. Et c'est tant mieux !
Otto Naumme