Le Contrat de Fantômas

Le billet autour de Fantômas suscite des interrogations, c’est avec plaisir je vais essayer de me décarcasser pour y répondre.
Ainsi, Otto voudrait qu’on lui rappelle l’année de la parution des premiers Fantômas, ajoutant : « J’avoue ne pas bien savoir. XIXe siècle, je suppose. Mais plus précisément ??? »
Un peu de perspicacité vous aurait mis sur la voie, si je puis dire. En effet, dans l’anecdote rapportée dans le billet rapporte que nos deux auteurs empruntent le métro pour se rendre chez l’éditeur Arthème Fayard. Or, la première ligne est inaugurée en 1900 et la Nord-Sud (dont je n’ai pas le trajet mais dont une station ne doit pas s’arrêter si loin de l’éditeur, si l’on admet que celui-ci était rue Saint-Gothard) est ouverte en 1913…
Certes, vous pourriez, comme moi, considérer que 1914 marque bel et bien la fin du XIXe siècle d’une façon fracassante et non 1900. Plusieurs points de vue se défendent, mais on me permettra de ne pas trop m’étendre là-dessus pour le coup. On en recausera autour d’un verre, voulez-vous ?
Mais je n’ai pas précisément répondu à votre question et celle-ci se situe lâchement entre les fourches caudines de notre déduction. Laissons parler Alfu et son Encyclopédie de Fantômas, à la rubrique Édition
« Fayard édite donc Fantômas en trente-deux volumes de février 1911 à septembre 1913. Ces volumes sont plusieurs fois réimprimés jusqu’au moment ou Fayard décide une nouvelle édition. Confiant à Marcel Allain le soin de commettre quelques coupures dans le texte original et de changer tous les titres dans lesquels le nom de Fantômas n’apparaît pas. […] »
Je vous laisse maintenant imaginer la somme de travail que cela a coûté d’écrire tout cela en si peu de temps, c'est-à-dire pratiquement un volume de 300 pages par mois.
ArD, elle, me pose une question ambiguë dans un mail : « Fayard a versé 25 000 F. à titre d’à-valoir, mais il savait d’avance que ce serait un tel succès pour avoir défini 250 000 F. ? »
Sans nul doute, car le succès est foudroyant. Francis Lacassin dans la préface de l’édition Bouquins (Édition hélas parcellaire) mentionne « le tirage des trente-deux premiers en France et à l’étranger dépasse à ce jour des millions d’exemplaires » L’enthousiasme fut réel et on peut envisager qu’Arthème Fayard a fait ce chèque sans pour autant faire un coup de poker. Ce n’est donc pas vraiment un à-valoir mais sans doute une anticipation des recettes…
Mais une chose nous éclairera plus que tout autre supputation et décrit assez bien le régime auquel étaient soumis Souvestre et Allain, il s’agit de l’extrait du contrat d’édition tiré toujours de cette même préface de l’édition Bouquins. Signalons qu’un autre contrat fut signé et aménagé pour inclure Marcel Allain dans celui-ci :

« Par les présentes, M. Pierre Souvestre vend et cède à M. Fayard, qui accepte, aux conditions énumérées ci-après le droit exclusif d’éditer et de vendre sous toutes formes et tous formats, illustrés ou non, une série de romans policiers qu’il doit écrire spécialement pour M. Fayard et dont tous les épisodes seront reliés par des personnages principaux qui devront figurer dans chacun d’entre eux.
« Ces romans seront publiés par M. fayard sous la forme de volumes du prix de soixante-cinq centimes, paraissant mensuellement, comprenant de quinze à dix-huit mille lignes, et formant chacun un tout complet, de façon à pouvoir êtes lus aussi bien séparément qu’à la suite des uns des autres.
« Monsieur Pierre Souvestre s’engage à écrire jusqu’à vingt-quatre de ces volumes, Mais M. Fayard ne s’engage quant à présent que pour la publication de cinq volumes, se réservant suivant le succès obtenu soit d’arrêter, soit de continuer, et dans ce cas de fixer le nombre de volumes à faire.
« Comme droit d’auteur, M. Pierre Souvestre recevra de M. Fayard une somme de deux mille francs par volume à soixante-cinq centimes et pour un tirage à cinquante mille exemplaires net, soit cinquante cinq mille avec les passes d’usage.
« Si le tirage dépasse cinquante mille exemplaires net, M. Pierre Souvestre touchera trois centimes par exemplaire tiré au-dessus de ce chiffre, déduction faite de la passe et cela au fur et à mesure des tirages.
« En cas de retard pour n’importe quelle cause que ce soit M. Fayard pourra continuer l’ouvrage par un auteur de son choix, sans être tenu à aucune indemnité vis-à-vis de M. Pierre Souvestre qui, naturellement, perdrait tous ses droits sur les volumes non écrits par lui. »
 
Sources :
Souvestre & Allain : Fantômas – I
édition établie et présenté par Francis Lacassin – Coll. Bouquins – Laffont, 1991
ALFU : L’Encyclopédie de Fantômas
Chez l’auteur, 1981

???

21 commentaires:

  1. On pardonnera cette petite entorse qui a consisté à utiliser ces point d'interrogation qui appartiennent plus aux Vampires qu'à Fantômas...

    RépondreSupprimer
  2. Oui, vous avez raison, cher Tenancier, j'avoue avoir fait preuve de paresse en ce qui concerne la date de parution de Fantômas.
    Mais cela vous a amené à de bien intéressantes considérations - nous en discuterons un verre à la main lorsque vous le souhaiterez, j'ai du reste ce qu'il faut pour les remplir à vous remettre...
    Quant au contrat, il est fort intéressant à lire. Mais j'ai du mal à situer ce que valaient 25 000 francs à cette époque. Quelqu'un dans la salle pourrait me renseigner ?
    Dernière question, cher Tenancier, qu'entend M. Fayard par "passe", dans son contrat ? Est-ce l'heure ? En tout cas, cela ne me dit rien (bien que vous l'ayez sans doute déjà expliqué par ailleurs, honte à moi...).

    Otto Naumme

    RépondreSupprimer
  3. Mon cher Otto, nous venons de rentrer un single malt japonais assez amusant. Je pense que la sonorité de cet appeau vous séduira. La conversation peut donc également se faire chez votre Tenancier et néanmoins vieil ami.
    Pour les prix, il est difficile de donner des équivalences. Un très bref coup de sonde dans une revue contemporaine de Fantômas, Nos Loisirs où il semble que l'un de ses deux auteurs ait commis un texte (je ne sais plus dans quel numéro), indique quelques prix dans ses publicités. Ainsi, un phonographe coûte 85 francs, une bicyclette 125 francs, ce numéro de revue 10 centimes, un exemplaire de Fantômas 65 centimes et un livre de la Bibliothèque-Charpentier 3,50 francs. Il faudrait examiner le revenu par catégorie socio-professionnelle sachant par ailleurs que les prix pour certains produits ont considérablement évolué, ce qui ne vous apprendra rien, je crois...
    Par ailleurs, le franc est une monnaie forte à la veille de la guerre. Je pense que ces 250 000 francs ont représenté, outre une véritable surprise, un beau pactole, même s'il a fallu le diviser par deux. Pas tout à fait du reste, le nouveau contrat prenant Allain en compte est en défaveur de celui-ci. C'est que Marcel Allain a le statut de secrétaire de Souvestre, même s'ils ont rédigé des romans ensemble, déjà. La chose sera compensée par le fait que Souvestre meurt de la grippe espagnole en 14. Allain continuera à écrire et remanier du Fantômas, entre autre jusque dans l'entre-deux guerre (le point final et astronautique se fera dans la revue Constellations dans les années 50)
    Pour la question des exemplaires de passe, j'en recauserai dans un billet. C'est un problème qui semble aussi vieux que les contrats d'édition...

    RépondreSupprimer
  4. Au vu de ces précisions, 250 000 francs semblent même une somme considérable pour l'époque, même à répartir en deux auteurs. A la louche, quelque chose entre 1 million et 1,5 million d'euros. De quoi voir venir...
    Pour le single malt japonais, c'est effectivement amusant... Nous en reparlerons en privé...

    Otto Naumme

    RépondreSupprimer
  5. Merci pour ces précisions hautement intéressantes, cher Tenancier (on notera l'épée de Damoclès que Fayard suspend au-dessus du feuilletonniste à la fin du contrat), rédigés de surcroît sans coquille notoire…
    Il serait effectivement bien utile de disposer d'un tableau d'équivalences de la valeur des francs aux différentes époques, ne serait-ce que pour bien entendre certains détails chez Balzac ou Hugo (ou même le titre du roman de Roger Vailland), mais je n'ai jamais rien trouvé de satisfaisant à ce sujet.

    Et concernant les points d'interrogations, je trouve au contraire que vous avez tapé dans le mille (mais un seul eût été mieux venu, sinon en effet c'est plutôt Musidora) : voyez ici.

    RépondreSupprimer
  6. Hem, en parlant de coquilles…
    C'est bien sûr "rédigées", qu'il faut lire !

    RépondreSupprimer
  7. Ah, toujours à propos de coquilles et puisqu'il s'agit de métro, vous auriez pu ajouter "ferrée" en adressant à Otto ce :
    "Un peu de perspicacité vous aurait mis sur la voie"…

    RépondreSupprimer
  8. Ça aurait été trop gros, George.

    RépondreSupprimer
  9. Bien sûr, désolé, d'autant que si Léo avait chanté Maxime Le Forestier on aurait pu parler de "brune au Ferré", de même qu'à propos de celui-là qui surgit sans aspirer à nul pouvoir : "il vint sans régner", mais j'aurais bien aimé que vous fussiez allé visité le lien que je vous ai proposé…

    RépondreSupprimer
  10. "Je vous laisse maintenant imaginer la somme de travail que cela a coûté d’écrire tout cela en si peu de temps, c'est-à-dire pratiquement un volume de 300 pages par mois."

    C'est tout relatif si l'on se sait que Souvestre et Allain improvisaient leurs histoires au magnétophone, non ?

    RépondreSupprimer
  11. Au magnétophone, cher Gregory, vous êtes bien sûr ?
    A cette époque ?

    Otto Naumme

    RépondreSupprimer
  12. Gregory, ils dictaient plutôt à dactylos, mais je retrouverai le passage qui en parle. Cela dit, en quoi cela atténue-t-il la fabuleuse capacité de création des deux auteurs ? Si vous avez lu Fantômas (j'en ai lu une vingtaine et souvent dans les originales à centimes) vous conviendrez que dicté ou pas, cela représente quelque chose de formidable !

    RépondreSupprimer
  13. Bonjour,

    Nous (L. Artiaga et M. Letourneux) avons eu l'occasion de rééditer récemment les premiers volumes de la série Fantômas chez Bouquins Laffont (2 volumes parus avec les huit premiers romans) et avons en parallèle fait paraître un essai consacré à Fantômas, biographie d'un criminel imaginaire" (Les Prairies Ordinaires, juin 2013). A cette occasion, nous avons eu accès à quelques archives qui me permettent de répondre à certaines questions et remarques faites ici:
    1) Ce n'est pas sur un magnétophone que les auteurs enregistraient leurs livres, mais sur des rouleaux de cire (il reste une soixantaine de ces rouleaux). Vous trouverez une photographie de la machine de Marcel Allain dans notre livre.
    2) Le fac simile du contrat Fayard et des "livres de compte" de Marcel Allain reproduits dans le livre vous montrera que les sommes indiquées par Marcel Allain en 1967 ne correspondent pas du tout à la réalité des sommes touchées (2000F d'avance de droits par roman et par auteur, puis entre 90F et 1700F supplémentaires pour les retirages - chiffres d'avant 1914). Suivant l'Insee, 2000F de 1911 correspondent à 6600 euros. C'est beaucoup (par mois), mais loin de Rotschild! Dès 1915, Marcel Allain n'a plus un sou et doit mendier quelques centaines de francs à ses parents.

    J'espère vous avoir donné envie de lire le livre!

    RépondreSupprimer
  14. Chers Nous,
    (Je sais, je sais, mais mes petits camarades sont capables de pire !)
    Vous m'apprenez une chose formidable ! Enfin, peut-on espérer une édition correcte et complète de l'Insaisissable un siècle après ! Je pense que vous avez respecté le texte de l'édition à 65 centimes et non les ultérieures...
    Cette nouvelle m'enthousiasme au plus haut point.
    Naturellement, je ne puis qu'encourager les amis qui fréquentent ce blog à se précipiter vers ces ouvrages ainsi que vers votre essai !
    Le jour où j'ai dû vendre mes 65 centimes a été un jour de deuil. Puisse cette réédition en réparer quelques affres...

    RépondreSupprimer
  15. Hé bien, Tenancier, on peut dire que vous avez des visiteurs de choix !
    J'ignore comment MM. Artiaga et Letourneux sont tombés sur ce billet, mais grand merci à eux pour ces précisions, qui corroborent d'ailleurs l'extrait de contrat que vous avez reproduit ci-dessus.

    Ainsi, Marcel Allain s'est complètement mélangé les pinceaux en 1967 puisque l'à-valoir, quoique considérable, est inférieur à celui que dans son récit il s'estimait en droit de pouvoir exiger (2500 F.) La somme de 250 000 F. dont il fait état pourrait certes correspondre au cumul des droits d'auteur sur les exemplaires vendus (plus de cent fois l'à-valoir) mais en ce cas on en aurait retrouvé la trace dans ses livres de comptes. Cela dit, cette confusion s'explique peut-être par le fait qu'en 1967 on était passés depuis peu aux nouveaux francs…
    En tout cas, outre un grand feuilletonniste, Marcel Allain semble avoir été un sacré flambeur !

    Cette histoire d'enregistrements sur rouleaux de cire m'intéresse fortement (et j'en profite pour saluer derechef le savoir décidément sans bornes de Grégory) : ont-ils été numérisés ? est-il possible qu'ils aient fait l'objet d'une diffusion radiophonique ?

    Et au passage, incidemment, cette histoire d'exemplaires de passe a-t-elle un rapport avec le fait que Fayard soit une maison d'édition ?

    RépondreSupprimer
  16. Bien vu, George, pour votre dernière réflexion !
    :-)
    Et je me suis pris aussi à rêver sur ces rouleaux de cire... Plutôt qu'un diffusion radiophonique, on se complaît à penser à un coffret contenant :
    — L'intégrale des romans
    — Le contenu des rouleaux sur cd
    — Les feuilletons radiophoniques sur cd
    — La reproduction des illustrations de Starace
    — Les films de Feuillade
    — Etc !
    Le Tenancier arrêterait illico son blog, il aurait alors trop à faire...

    RépondreSupprimer
  17. Je comprends : pour le coup, ce serait du "Fantô-masse" !

    J'ai effectué une recherche dans le catalogue de la BNF : apparemment, une partie des enregistrements a été commercialisée par Hemix (voir par exemple cette notice mais ce n'est pas disponible sur Gallica.

    Si je comprends bien, ces "exemplaires de passe" correspondent à ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de "services de presse" ?
    Mais en ce cas, bigre ! 10% du tirage, ça fait tout de même beaucoup…

    RépondreSupprimer
  18. Évidemment que par "magnétophone" je ne désignais pas l'appareil qui ferait fortune une quarantaine d'années plus tard. Je ne me souvenais plus du nom de l'appareil - et je suis bien content qu'on me rappelle le procédé - qu'on peut bien considérer comme un ancêtre du magnétophone. Je ne peux malheureusement pas vérifier dans ma bibliothèque qui est toute en cartons pour cause de déménagement. Qu'est-ce que c'est pénible ! Sinon, j'aurais consulté une interview de Marcel Allain qui se trouve, je crois, dans le premier numéro de la Nouvelle Revue des Études Fantomassiennes.
    Loin de moi, cher Tenancier, l'idée d' "atténuer la fabuleuse capacité de création des deux auteurs " ! Je soulignais juste que la notion de travail, de labeur, est toute relative si l'on considère leur manière d'improviser et d' écrire, qu'on a souvent comparé à celle des surréalistes. D'ailleurs, Allain parle même de, non pas trente, mais cinq jours pour écrire un roman !

    RépondreSupprimer
  19. Cela va certes mieux en le disant, Grégory, mais je crois bien que nul ici ne vous aurait soupçonné de pareil anachronisme !

    Dites voir, Tenancier, votre single malt, là, ne serait-ce pas ceci ?

    RépondreSupprimer
  20. Bonjour,

    L'enregistrement Helix n'est pas celui des auteurs, mais une adaptation sonore du roman.

    François Angelier a passé un extrait de la version numérique d'un des rouleaux ("Fantômas rencontre l'amour") dans son émission de "Mauvais genre" de fin mai consacrée à Fantômas. Elle doit pouvoir être écoutée en "streaming" sur le site de France Culture. En tendant l'oreille, vous entendrez la voix de Marcel Allain décrivant Fantômas.

    Le rouleaux ne contiennent malheureusement plus les enregistrements des premiers Fantômas, puisqu'ils étaient réenregistrables (donc réenregistrés) mais, à notre connaissance, des bouts de feuilletons inédits d'après la Seconde Guerre mondiale.

    Le livre de compte de Marcel Allain s'arrête vers 1917, donc on ne connaît pas les sommes postérieures qu'il a touchées. Elles ont dû, cumulées, être très importantes.

    RépondreSupprimer
  21. Merci derechef pour ces précisions et rectifications, que j'imagine dues à MM. Letourneux et Artiaga.

    On peut en effet écouter l'émission d'Angelier du 25 mai ici.

    RépondreSupprimer

Les propos et opinions demeurent la propriété des personnes ayant rédigé les commentaires ainsi que les billets. Le Tenancier de ce blog ne saurait les réutiliser sans la permission de ces dites personnes. Les commentaires sont modérés a posteriori, cela signifie que le Tenancier se réserve la possibilité de supprimer des propos qui seraient hors des sujets de ce blog, ou ayant un contenu contraire à l'éthique ou à la "netiquette". Enfin, le Tenancier, après toutes ces raisons, ne peut que se montrer solidaire des propos qu'il a publiés. C'est bien fait pour lui.
Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.