Vendeur en librairie, c'est un métier, mon p'tit gars...

… et puis, vous voulez que je vous dise ? Eh bien, la librairie on s’en moque. Je veux parler de ces espèces de pratiques où l'on vend la même chose d’un bouclard à l’autre et où le vendeur regarde dans son ordi avant de vous dire « j’ai » ou « j’ai pas ». Purée, quand j’ai appris le boulot, je bougeais mes fesses devant le rayon, je ne laissais pas partir le client comme ça. Tenez il y a pas mal de temps déjà, j’ai accompagné Otto à une grande librairie à Paris qui fait désormais partie d’un groupe. Je ne dirai pas le nom, je ne suis pas un cafard. Le grand dadais avait bien une idée de ce qu’il cherchait en entrant là-dedans, mais, comme pas mal de client, c’est un garçon facile. On peut lui dire « j’ai pas », c’est presque normal de ne pas trouver ce que l’on cherche à coup sûr. Ça avait beau être grand, aucune librairie ne peut tout contenir (ça va, vous êtes pas déçus ?). Seulement, les deux vendeuses après avoir dit « j’ai pas » ont oublié de dire « mais… ». On l’a seulement renvoyé devant le rayon qui correspondait aux récits de voyage (maintenant vous savez ce que vous pouvez lui offrir à son p’tit Noël). Et qui a dû faire le boulot à la place des deux avachies qui avaient uniquement pianoté sur leur clavier au lieu de déplacer leur derche devant l’endroit qui correspondait, mmmhhh ? Parce que vendeur en librairie, c’est un truc, voyez-vous. Vous cueillez le client et vous l’emmenez au pied des étagères et vous cherchez, même si vous savez que c’est pas la peine. Vous ne le faites pas trop lanterner, oh non, mais vous lui laissez le temps d’envisager son dépit, le temps de se dire que bof, après tout, un autre bouquin pourrait tout aussi bien convenir, et peut être l’occasion d’une heureuse rencontre Si si, ça arrive, comme les mariages qui se font après un faux numéro ! Pour le coup, heureusement que j’étais présent, j’ai pris notre Otto par le bras — je métaphorise un peu, je galèje un tantinet pour ma lectrice marseillaise — et on a été voir ensemble le rayon comme un beau voyage à Venise et je l’ai incité à exercer son goût douteux pour ce type de littérature en farfouillant un peu. Mais qu’importe son goût pourvu qu’il fût pourvu d’une perspective d’ivresse à base de caravansérails et de pépies du côté d’Oulan Bator, hein ? Mais voilà, les deux sibylles du clavier azerty tapotaient sur la base Electre pour :
— Connaître le titre du livre, des fois qu’Otto serait gâteux (je vous rassure…)
— Vérifier l’éditeur pour envisager qu’il ait pu arriver à l’office (commander un livre pour le garder en rayon délibérément ? Ça va pas non ?)
— Décréter que non, enfin, ce livre là a deux ans, deux ans, vous vous rendez compte ? Il a été mis dans les retours il y a un bail…
Et zou d’expédier ce type-là à dache, non mais.
Bref, il paraît que les libraires de neufs ont tardé à se mettre à l’informatique. C’est vrai qu’avant, la consultation du Minitel coûtait bonbon et que cela décourageait. P'têt même que certains ont dû apprendre à chercher dans les répertoires en papier, dites donc. On n'ose envisager le recours à la mémoire.
Mais je me dis que la déqualification a du bon : on peut passer du bouclard à la FNAC facilement. Au fond, je comprend les vendeurs. Pourquoi donc se casser le tronc à faire des voyages devant les rayons ? Ils sont pareils partout. Aucune surprise, aucun bonheur. Toujours les mêmes conneries assommantes, les rayons étiques et sans imagination ni originalité.
Pour paraphraser Darien, c'est devenu un sale métier, pas étonnant que, désormais, on le fasse salement.
Oui, au fait, Otto est reparti avec un ou deux livres, ce jour-là. J'ai bien l'impression qu'il était content.

6 commentaires:

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  2. Tenez, pour votre rubrique "témoignages de consommateurs"...
    Pop9 le provincial connaît la Fnaque. C'est naze et cher, la Fnaque, loin de l'esprit initial de 1954, peuplé de loquedus prétentieux... Il y va pas.
    Pop9 connaît aussi un bouquiniste lymphatique dans le tout vieux quartier de la ville. C'est loin, mais il y va des fois, disons deux fois par an, pour musarder une heure et repartir avec des curiosités (un vieux plan de ville, un Maigret qu'il connaissait pas, un polar de chez Rivages...)
    Sinon, Pop9 va régulièrement chez la communauté Emmaüs du coin avec une petit carton : il donne des trucs qui ne le passionnent pas et achète (quelques sous) des trucs qui le passionneront peut-être. Et puis il y a l'ordinateur, pour acheter des vieilles bédés à toutes sortes de gens sur Le Grand Réseau. Voilà.
    Nouveauté, lueur d'espoir, il y a cette petite nana qui s'est installée pas loin et a ouvert sa librairie. Peu de choses en rayons, mais une attitude rafraichissante : vous farfouillez sur les étagères (pas forcément très ordonnées), elle vient vers vous, s'enquiert de ce que vous cherchez, suggère autre chose, évoque un truc fascinant qu'elle n'a pas, demande si vous avez lu ça... Bref, on papote vingt minutes, puis elle passe dix minutes (dix minutes, en 2013 !) à emballer joliment la bédé à quinze euros que vous avez achetée pour le petit neveu.
    Elle ne sera jamais millionnaire, celle-ci, mais pour peu qu'elle ne change pas d'attitude, elle réussira peut-être à vivre de sa librairie. Peut-être. Ce serait bien.

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  3. C'est joliment dit, Tenancier. Du miel dans du vinaigre.
    Et rien ne vaut, à mes yeux du moins, un texte qui respire le vécu, le directement palpé. Reste que lorsqu'on est assez con pour être ( ou vouloir être) aux antipodes, à l'autre bout de cette chaîne déshumanisée, désertique, devant ses manuscrits qui n'en finissent pas d'être des manuscrits parce qu'on n'a pas égorgé un ministre ou tué une mémé, on se dit que tout ça est joie perdue.
    Qu'avec des robots pareils aux commandes et qui seraient bien mieux indiqués dans le paysage d'une pharmacie ou d'un magasin de boîtes pour chats et chiens, on ne touchera jamais comme lecteurs que les quelques amis qu'on a su garder,et qui, dans le meilleur des cas, refileront le tuyau à un de leurs amis. Bref, que le livre circulera comme circule un morceau de shit, d'une poche clandestine à l'autre.
    Misère !
    Merci, ça fait toujours du bien une petite goutte de Darien et mes amitiés au "grand dadais" !

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  4. otre lectrice marseillaise aime beaucoup lorsque vous galégez un tantinet le récit : ça le pimente, et dans ses souvenirs, elle repart à Oulan Bator (c'était en 1987 !). Elle aime bien, chez vous, ces bourgeons du printemps qui donnent à l'expression de vos désenchantements une saveur pourpre et un ciel bleu.

    __
    ArD

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  5. Oh oui, je me souviens bien de cette histoire...
    Qui, hormis tout ce que vous dites, et bien, cher Tenancier, m'avait confirmé un fait : l'avantage d'une librairie - même formatée, même tenue par des employés peu concernés -, c'est qu'on y trouve parfois autre chose que ce que l'on est venu chercher. Et que l'on peut prendre plaisir à ces découvertes. Ce sera toujours (toujours ?) un avantage irremplaçable sur "l'expérience" Internet...
    Quant aux libraires, j'en connais de fort bien mais quand je parle avec eux de leur salaire (je parle là d'employés dans une librairie), j'ai envie de pleurer. Et je comprends pourquoi rares sont ceux qui ont l'amour de ce métier suffisamment chevillé au corps pour y persister. Parce qu'à ce prix-là...

    (j'y reviendrai, un jour où je serai plus gai et moins pressé par le temps et un rédacteur en chef soucieux de boucler son magazine...)

    Otto Naumme

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  6. Merci pour ce billet, que je regrette seulement de ne pas avoir eu l'idée de l'écrire moi-même (euh… y'aurait pas comme une faute de syntaxe, là ?)

    La mémoire humaine : voilà en effet le problème essentiel, dont la majorité croient pouvoir pallier l'absence grâce au recours à l'ordi et au Net.
    Mais les vendeurs ou vendeuses d'une grande boutique ne peuvent évidemment pas savoir d'emblée tout ce que recèlent les rayons, puisqu'ils sont quantité à s'occuper des commandes, des rangements et des retours.

    Pour ma part (et n'y voyez aucune vanité, c'est juste un mode différent de fonctionnement, j'ai un peu l'impression d'être un dinosaure, avec aussi la certitude désormais fermement ancrée que ce métier connaît ses derniers moments — mais bon, bah ! après tout cela fait longtemps que l'exercice des palais de la mémoire, par exemple, a disparu de l'imaginaire collectif…), pour ma part, donc, tous les livres qui sont en vente dans ma petite boutique me sont passés entre les mains : je n'ai donc aucun mal à répondre aux questions des clients. Si j'ai la moindre incertitude, je réponds d'emblée que je n'ai sans doute plus le livre demandé, et alors c'est très chouette d'en exhiber un exemplaire sous le nez du client d'abord dépité (mais il arrive que certains, particulièrement retors, le compulsent et s'en vont sans l'acheter — et ce n'est pas une question de prix, pour des poches à un ou deux euros…)

    Le plus jouissif, pour le bouquiniste (à mon sens, du moins), c'est ceci : vous venez de traiter un lot de livres (vous les nettoyez, vous marquez un prix sur la première page, au fur et à mesure les volumes s'empilent devant vous), un client entre dans la boutique et vous demande un ouvrage épuisé depuis longtemps— or c'est justement le dernier que vous venez de poser au sommet de la pile, juste sous son nez…

    Quelque chose de beaucoup plus courant, c'est la situation dont parle l'ami Pop9 : la bouquiniste qui évoque un truc fascinant qu'elle n'a pas. Cela m'arrive presque tous les jours, dès qu'on me demande un conseil de lecture, et c'est énervant. Mais évidemment que je ne l'ai plus, puisque soit je l'ai gardé pour ma pomme, soit (si je l'ai déjà chez moi), je l'ai vendu à un précédent lecteur en manque !

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