Levons toute ambiguïté à propos du billet précédent. Si l’on
peut déplorer le comportement de certains vendeurs en librairie, j’estime que,
bien souvent, la faute ne leur incombe pas. Comme je l’écrivais vers la fin, la
librairie a fini par devenir un sale métier dès lors qu’il s’exerce dans
libraire générale de neuf. La matière sur laquelle les salariés se voient
obligés de travailler est monotone, sans saveur et répétitive, drôle de reflet,
entre nous, de la vie intellectuelle en France lorsque l’on voit de quoi ces
librairies sont garnies. Alors, comment ne pas se désintéresser de ce que l’on
est censé défendre, voire vanter auprès des clients ? C’est que ces derniers
sont bien souvent acquis au formatage qui a cours dans les robinets médiatiques.
Quel dialogue avoir avec ces clients lorsque l’on est soi-même déqualifié,
renvoyé au stade de manutentionnaire frappé d’anomie ? Bien sûr, un autre
type de librairie existe, mais que doit-on se dire lorsque l’on vérifie que la
marge loin d’être une avant-garde ne fait plus que vérifier des pratiques
anciennes aux critères élevés, certes, mais guère inventifs. Le métier de
vendeur en librairie a-t-il encore sa place dans ces boutiques spécialisées,
souvent tenues à bout de bras par une seule personne et souvent de façon
précaire ? Que peut espérer un salarié à l’heure actuelle dans sa
progression intellectuelle, dans la vie des idées, s’il ne trouve qu’une
production formatée, interchangeable d’une librairie à l’autre, comme si la
librairie française n’était plus qu’une chaîne à succursales multiples ? Que
peut-il espérer pour sa propre qualification à demeurer éternellement dans le
même type de librairie ? On vous le dit souvent ici, le métier de libraire
est un métier de mémoire, et celle-ci ne s’exerce avec efficacité que dans la
variété. Un bon libraire a un passé, a voyagé souvent d’une librairie à l’autre,
voire a navigué un peu dans d’autres spécialités que celles sur lesquelles il a
fondé son expérience. Un bon salarié en librairie, efficace, est vieux. Mais un
vieux, c’est cher.
C’est précisément ce que le patronat refuse de payer. La
situation est telle que l’on préfère s’arranger pour perpétuer un système sans
imagination — quitte à faire un semblant de revendication sur la pratique des
offices, qui participe grandement à ce dit système — plutôt que de payer
correctement des salariés dont la qualification et l’expérience seraient
pourtant indispensables dans ce métier.
Voilà, en partie pourquoi, être salarié en librairie de neuf
est devenu un sale métier.
"Un vieux, c'est cher."
RépondreSupprimerLes vieux ? Faudrait les tuer à la naissance.
Z'cusez-moi, j'ai pas pu m'en empêcher.
Vous m'avez faire. monsieur Bertrand. Merci! Je vais vous citer car je travaille avec... les «vieux» qui se préparent à la retraite. Et cela m'a permis de découvrir vos livres.
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