Cette grosse baleine de concierge, d’un coup de patin, le corps légèrement penché en avant, les deux bras poussant de la vadrouille sur le sol immaculé glissa vers moi, mes godillots boueux, mon sourire honteux, la volonté défaillante devant la force de l’attaque d’un régiment de blindés.
- Madame la concierge ! Mes hommages du matin ! Merci pour le complim…
Elle glissa encore, stoppa d’un schuss élégant, précédent l’effluve d’une matinée de travaux ménagers.
- Pas vous ! Bien entendu ! Môssieur Yves ! Vous, vous n’êtes que…
Elle me toisa, comptable de mes défauts, si vertigineux quand ils sont comparés à la perfection du Tenancier, celui vivant dans les nués, au creux du quatrième.
- Vous… Vous êtes bleu et transi, une seule couleur, la face défraichie. Défaitiste, va ! Quand l’amour poind au matin, jamais gelée n’arrête la jolie jaspée.
Il me fallut applaudir. Parce que la concierge, qu’elle soit rouge de confusion quand apparait son « preux chevalier » ou talquée de frais à la perspective de l’apparition de « son ange déplumé », devient songeuse et romantique quand il disparait. Elle chuchote alors, elle susurre ses fantasmes, elle grappille de l’information qu’elle transformera en plaisirs sous les coups de ses amants. Elle ne nous autorise à laisser notre trace de la cité sans nous déchausser seulement parce que nous lui offrons une nouvelle, un mot sur elle, ce rien venu du Tenancier, ce détail inventé. Alors, au fur et à mesure des années, ne le dites pas au Tenancier, nous en sommes venus à lui faire l’aveu d’un penchant partagé. La semence était fécondée. Nous n’avons plus pu nous arrêter. Nicolas montre un ventre anti-salto, moi le dos trop bas, Henri s’est planqué, il a si peur du grand-écart, surtout quand il est facial, qu’il est donné par les mains de la baleine, forcé par des seins à nourrir tout le quartier.
Alors la libido s’est déchainée. Quand le cri de « Yves mon gros salaud, défonce-moi la charité !» envahit à toute heure la cage d’escalier, alors ce dernier remonte le son de sa chaine stéréo et nous hurle « et si nous chantions une bonne chanson à boire, à faire exploser des tympans civilisés ! Hein ! », et de nous contraindre à chanter pour que la famille n’entende ni le ho !, ni les han !, au nom du Tenancier. Yves doit protéger son couple, on ne rit pas avec la santé familiale mise à mal par l’amour parfait de la grosse baleine, on combat jour et nuit.
Quelques fois même, il nous appelle à minuit ou à potron-minet. Il nous hurle des insanités, il prend à témoin son épouse réveillée, pour nous expliquer comme si nous étions à des kilomètres de distances, que nous devrions nous calmer avec Madame la concierge, que tous ces « Yves » que nous lui apportons pour ses plaisirs pourraient enfin être des Nicolas-éphèbes, des Poindron-Castor, des autres, quoi, au moins un petit peu. Que si l’amour parfait oblige l’Humanité quand il verse dans l’universalité, m’enfin, celle des ébats de la concierge s’épand dans la bestialité. « Et mes enfants ! Et la Presse alertée ! Et mes clients détournés ! ».
J’ai honte, plus que les autres, qui fuient en palanquées. Je m’en suis confié à la grosse baleine rose de dentelles, attendant ce lundi qu’il revienne de sa soirée arrosée : J’ai tenté de la raisonner d’une petite voix mâchonnée. « Le Tenancier est un ingrat, un égoïste, il n’aime pas et fait souffrir, c’est la vérité ».
Je m’en suis pris une, puis une tapée. Des allers retours en symphonie de forces centrifuges et centripètes -cela va s’en dire-, un uppercut suivi d’un fouetté latéral pour résumer. Je n’ai pas vu qui du sein ou de la main m’étendit au royaume des ego maltraités. Moi, le fin diplomate, moi, le négociateur rusé, je n’étais qu’une loque trempée au milieu des vadrouilles abandonnées. Depuis, Dieu me parle dans ma tête, en borborygmes inintelligibles dont les shamans doivent faire leurs augures monnayés. Le Tenancier restera pour l’éternité ce « tout » qu’elle nous décrit descendant l’escalier le matin, pour mieux le remonter, le dos secoué, les fesses arquées quand elle se cache dans l’obscurité.
- Et lui, si vous l’aviez aperçu, descendant pour les étrennes – Celles-là même que vous oubliez tous les ans- Une simple rose, volée à son voisin qui pèse cent kilos de plus que lui, tout nu, tout mouillé (soupir). Un sourire, un mot, une espérance pour une année de bonheur partagée.
Le Tenancier est sanctifié par un monstre en liberté. Le monde est en danger. Un réchauffement climatique sous la forme d’une obligation à vivre édenté. J’en ai tant sué, et maintenant je sais. Nicolas, Henri, les autres, tous les invités. Elle nous frappe, elle nous bat sans même toucher, juste à lever un œil à notre arrivée, juste à laisser envisager que le coup pourrait nous rappeler aux Dieux qu’ils ne nous ont pas assez parlé.
Au secours. Je lance cet appel au Tenancier, au nom de cette amitié qui nous fut imposée par un hasard partagé. Épouse-là, enfin. Qu’elle sache que tu ronfles et pète dans la nuitée. Un dieu, ses saints ou ses prêtres déguisés, s’ils existent, encore plus s’ils furent massacrés par l’intelligence si mal distribuée, doivent entendre cette prière d’amis terrorisés : La concierge n’a qu’un dogme, celui de vivre du mur du Tenancier.
Comme le Tenancier est heureux de retrouver sa concierge sous la plume de Patrick de Friberg ! Cette bienheureuse pipelette est un personnage récurrent des interventions de l’auteur sur Facebook lorsque votre serviteur s'y manifeste. Il était normal à la fin qu’elle se retrouve sur ce blogue, telle qu’en elle-même, éternelle et baleinoptère à la fois. Merci Patrick.
M. Melville, quel étage, siouplaît ?
RépondreSupprimerBon sang ! Ayant cru presque jusqu'à la fin que ce texte était de la plume du Tenancier, je commençais à soupçonner que le cassoulet était un puissant hallucinogène… Mais non, ce ne sont que les ravages psychiques induits par Fesse-Bouc !
RépondreSupprimerJe vous rassure cher George, le cassoulet que j'ai absorbé devant vous l'autre fois n'était pas tout à fait hallucinogène, à moins que l'absorption de Smecta soit collatéral à cette descente de tripe.
RépondreSupprimerAmis poètes...
RépondreSupprimerOtto Naumme
"Poètes, poètes"… Comme vous y allez, Otto !
RépondreSupprimerTrès jolie, Tenancier, cette "descente de tripe".
Comme je le suggérais l'autre jour à une amie courtisée par un importun : "Smecta dans l'appeau". Elle m'a répondu : "Flûte, alors !"
Que ne doit-on pas lire maintenant que le Tenancier nous permet d'écrire de "gentils commentaires"...
RépondreSupprimerOtto Naumme
Tiens, c'est vrai, je n'avais pas remarqué : merci, cher Otto !
RépondreSupprimerC'est sans doute pour permettre au Tenancier de faire son tri d'guano : voilà qu'on se croirait au Club Méd' !
Si le Tenancier savait, il pousserait un ouf de soulagement à savoir que je continue à ne pas vermotiser en ces lieux. Parce que celle que j'avais en tête...
RépondreSupprimerBref...
Pour le reste, une rejetonne à moi s'est montrée fort ravie du petit souvenir ramené de quelques escapades parisiennes, cela a entraîné chez elle toutes sortes de mouvements browniens...
Otto Naumme
Ravi d'apprendre que le grand Derf Nworb a gagné une nouvelle adepte ! Mais j'espère qu'elle a tout de même l'âge de lire sans trop rougir des nouvelles comme Lune de miel en enfer, L'anneau de Hans… ou l'histoire du slip diabolique (dont j'ai oublié le titre)…
RépondreSupprimerOh, la damoiselle est en âge, rassurez-vous, cher George, elle fréquente déjà Oscar Wilde ou Sade sans sourciller (quoique la vision du 120 journées de Pasolini l'ait un peu mise mal à l'aise, ce qui peut se comprendre...). Et elle adore Lovecraft ou Lewis Carroll.
RépondreSupprimerLes aimables plaisanteries browniennes ne devraient donc pas trop l'effrayer...
Otto Naumme
En effet, bien innocentes au regard de ce que vous évoquez…
RépondreSupprimerConseillez-lui tout de même d'attendre un peu pour Trois filles de leur mère (parfois presque aussi raide que le film de Pasolini) ou Les onze mille verges (j'avais pas mal écarquillé les yeux quand j'avais lu celui-là, à onze ans)…
Ah, mais je me souviens maintenant : elle était intervenue ici-même, voici peut-être un an, au sujet du ME… Ruth, c'est cela ?
Otto, je ne vous permets pas de dévoiler mes goûts littéraires, y a des endroits pour ça, merde ! Enfin, euh, merdre !
RépondreSupprimerTrès cher George, c'est cela même, oui, Ruth. Pour les Onze mille verges, je ne lui ai pas encore prêtées, mais cela va venir. A onze ans, dites-vous... Je comprends... Le livre est supposé provoquer certains émois, mais pas de ce type. Mais à cet âge...
RépondreSupprimerTrès chère Moons, je ne savais pas avoir une deuxième fille, même si j'aurais été fier d'être votre père. Quant à l'originale (de fille), vous me faites penser qu'il faudra que je lui passe du Jarry, bien sûr.
Otto Naumme
Ah, si j'eusse eu soif, j'eus bu ! Vous voulez bien être mon tonton, Otto ?
RépondreSupprimerVous pardonnerez, je l'espère, cette conjugaison plus qu'approximative et ne m'enverrez pas au piquet !
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