« […] Le degré d’engagement se mesurerait-il au nombre de livres qu’on laisse chez ses amoureux(-ses) ? Je crains fort – d’après ma modeste expérience en ce domaine – que oui…
Il y a, ensuite, le degré d’intrication de chaque bibliothèque. Faites-vous rayons à part ? Il faut alors se poser des questions… »
En face, c'était Bobby Fischer.
J'ai connu un écrivain qui avait perdu sa bibliothèque plusieurs fois, par des incendies - ce qui est un coup du sort - et par un divorce - ce qui est une maladresse. Cela en vaut-il la peine ? Ne vaut-il pas mieux non pas garder sa chambre – de cela on peut s’arranger vaguement – mais sa bibliothèque au loin, ailleurs qu’à l’endroit où l’on mène les turpitudes de la vie commune ? D’un divorce on se refait peu ou prou. Mais le lecteur augurera avec moi que la perte d’une bibliothèque est d’un autre calibre. A ce titre, l’écrivain auquel je pensais plus haut devait être un homme solide. Et puis, le jour où il faut trier le à-toi du à-moi et se garder de ses envies sur quelques ouvrages détenus officiellement par l’autre… et faire attention que l’on ne vous pique pas un ou deux volumes ou pire des pires des ordureries jamais perpétrées par un humain à autrui, un tome qui va rendre votre série incomplète, peut-être définitivement ?
Tout cela d’une façon feutrée.
Et pourtant, dans les feux d’un prime amour on se sent irrésolu, on cède à des impératifs déraisonnables, on partage, on prête, on va même – abjecte soumission – jusqu’à conseiller des lectures sur sa bibliothèque personnelle, comme si l’on émettait des billets à ordre sur son esprit et sur son avenir ! On s’adonne à de répugnantes perspectives comme celle qui exigerait une félicité dans la contemplation de l’esclavage de sa bibliothèque sous la férule d’une tierce personne. Oui, j’ai bien compté, cet engagement vous l’avez donné pour vous et en lieu et place de vos livres. Vous entérinez un ménage à trois, la bibliothèque en face pesant peu, pour ainsi dire pas du tout puisque seule la vôtre vaut la peine d’être vécue.
On en vient à se dire que le bibliophile ou le bibliomane, pour survivre doit être un cœur impavide et sec et qu’il ne doit pas monnayer pour quelques secondes de pitoyable extase ce qui fait le fonds de son existence.
Ma réponse à Julien Mannoni partait donc sur une mauvaise piste.
Nous avons raison, il ne faut peut être pas céder. Se défendre bec et ongles.
Sinon, vous savez, je peux vous aider. Je suis en mesure de racheter vos bibliothèques.
Matois, le Tenancier... Qui nous assène un très beau texte sensible et intelligent (le Tenancier est beau quand il rougit...) pour finir par finaud racolage mercantile. Roooohhhh...
RépondreSupprimerCela étant, j'avoue que l'idée de mélanger ma bibliothèque ne m'est jamais venue. J'ai eu la chance, lors de ma séparation d'avec mon ex, que le partage des livres communs se passe aussi bien que celui des petites cuillères, sans mesquinerie. Mais nous avions conservé en grande partie nos propriétés littéraires respectives de manière séparée, alors même que nous avions de nombreux goûts littéraires communs. Avec mon actuelle compagne, la "bibliothèque à part" est encore plus facile à respecter, nous n'avons guère de goût en commun (niveau littéraire s'entend).
Bref, amour et livres sont-ils liés ? Parfois. Pas forcément. Mais si je veux bien prêter l'une de mes possessions, y'a intérêt à ce que vous me la rendiez en temps et en heure, et en bon état ! Non mais !
Otto Naumme
Maqis de cela, Otto, on en reparlera plus tard...
RépondreSupprimerEuuuh...
RépondreSupprimerNon, rien.
A-D
Oui, il est parfois tendancieux, notre Tenancier, hein ? Mais je parie qu'il ne s'en est même pas aperçu, chère ArD...
RépondreSupprimerOtto Naumme
Mon inconscient est bavard, mais il n'est pas mercantile, Otto. C'est mon surmoi qui est un marchand de tapis.
RépondreSupprimerA-D, content de vous relire. Mais je vous ferai remarquer que la dernière fois que j'ai eu le plaisir de vous lire sur un blog, vous aviez marqué exactement la même chose.
Est-ce bien raisonnable ?
Tiens, je ne suis pas d'accord avec Otto - fallait bien que ça s'produise un jour cette affaire...
RépondreSupprimerEn effet, après lecture de la note du Tenancier et avant celle des commentaires, j'avais pris et compris le verbe "racheter" dans sa déclinaison et dans son déploiement "théologiques"...
Enfin bref.
Mais, Christophe Borhen, acheter une bibliothèque c'est aussi rédimer l'ancien possesseur, l'exonérer, lui acheter le paradis en le débarrassant de certaines manies malsaines.
RépondreSupprimerEn cela je suis un achat purifiant avec beaucoup de principes actifs et des vrais morceaux dedans.
Donc, vous êts d'accord.
Je dois avoir une névrose bien planquée alors... J'ai horreur qu'on voie le dos de mes bouquins.
RépondreSupprimer--
Cher Otto, dans ArD, il est un « r » irréductible, la seconde lettre de mon prénom. (Donc, A.D. est différent de ArD, à plus d'un titre.)
Dans l'élan de votre proposition magnanime, vous pourriez organiser une tournante de vos livres mystérierus, qu'en dites-vous ? Car... après tout, ces livres, vous appartiennent-ils finalement ?
ArD
Oups, chère aRd, à force de lire trop vite... Mes plus plates excuses, ainsi qu'à A-D, évidemment.
RépondreSupprimerPour ce qui est de la "tournante" des livres du Mystère, j'envisage même une sorte d'expo parisienne en début d'année prochaine. Je sais bien que vous êtes comme moi provinciale et, de ce fait, pas forcément amenée à monter à la ville facilement, mais l'on pourra peut-être arriver à réunir tout ce beau monde...
Quant à savoir si ces livres m'appartiennent, effectivement, la question peut se poser. Mais je les considère comme des cadeaux (reste à savoir de la part de qui...).
Cher Tenancier, vous savez bien qu'il ne s'agissait que d'une plaisanterie, je vous connais suffisamment pour savoir où commence et s'arrête votre mercantilisme. En outre, ce me semble, racheter une bibliothèque fait partie de votre métier, n'est-ce pas ? Et, à toutes fins utiles, il faut bien croûter...
Eh oui, cher Christophe, il fallait que cela arrive. Mais ce n'est pas bien grave, votre interprétation se révélant plus agréable à l'oeil (et au cerveau) que celle que j'en faisais. Ne me reste donc plus qu'à faire pénitence... Je prendrai donc deux pâtés et trois (a)verres...
Otto Naumme
Pour l'exposition, je pense que nous aurons la possibilité d'en faire une. Que l'on me réserve encore un temps de latence - disons un mois - et des choses en gestation pourraient bien se déclencher.
RépondreSupprimerCher Tenancier, bien sûr que rien ne presse ! Quand je pensais "début d'année", j'avais en tête "premier trimestre", j'aime compter large...
RépondreSupprimerPour le reste, votre dernière phrase me semble bien étrange. Quelle est sa signification ?
Otto Naumme
Un ami très proche, qui vit aujourd'hui à Marseille, était autrefois bouquiniste ambulant dans les Pyrénées-Orientales. La semaine, il faisait sa tournée en fonction des jours de marché de chaque village, jusqu'à Limoux, et le dimanche matin il déballait aux puces de Perpignan. Un dimanche, justement, il remarque qu'une jeune femme examine les livres de manière assez bizarre. Au bout d'un moment, elle lui présente une pile en lui demandant s'il n'aurait pas acheté ces livres dans tel village. C'était le cas. Il se trouve que cette femme, séparée de son compagnon, habitait à Perpignan mais lui avait laissé l'usufruit de leur ex-maison commune, où elle avait encore bien des affaires. Elle avait reconnu sur le stand ses propres livres, que son ex revendait sans vergogne depuis des semaines à mon ami. Celui-ci a vu rouge, et commençait à lui assurer que l'autre allait passer un sale quart d'heure, et voici le pire : toujours amoureuse, elle l'a supplié de n'en rien faire, de ne rien lui dire, et même de continuer à lui racheter ses livres, afin qu'il ne se doute de rien…
RépondreSupprimerMorale de l'histoire : usus, fructus et abusus abusée...
RépondreSupprimerArD