Compositrice, s. f. Jeune fille ou femme qui se livre au travail de la composition. Nous ne réveillerons pas ici la question tant de fois débattue du travail des femmes; nous ne rappellerons pas les discussions qui se sont élevées particulièrement à propos de la mesure prise par la Société typographique, qui interdisait à ses membres les imprimeries où les femmes sont employées à la casse à un prix inférieur à celui fixé par le Tarif accepté. Contentons-nous de dire que nous sommes de l'avis de MM. les typographes qui, plus moraux que les moralistes, trouvent que la place de leurs femmes et de leurs filles est plutôt au foyer domestique qu'à l'atelier de composition, où le mélange des deux sexes entraîne ses suites ordinaires. — Quoi qu'il en soit, il existe des compositrices; nous devions en parler. MM. les philanthropes qui les emploient vont les recruter dans les ouvroirs, les orphelinats ou les écoles religieuses. Ces jeunes filles, en s'initiant tant bien que mal à l'art de Gutenberg, ne manquent pas de cueillir la fine fleur du langage de l'atelier et de devenir sous ce rapport dé vraies typotes comme elles se nomment entre elles. L'argot typographique ne tarde pas à se substituer à la langue maternelle; mais il en est de l'argot comme de l'ivrognerie: ce qui n'est qu'un défaut chez l'homme devient un vice chez la femme, et il peut en résulter pour elle plus d'un inconvénient. L'anecdote suivante en fournit un exemple : Un employé, joli garçon, courtisait pour le bon motif sa voisine, une compositrice blonde, un peu pâlotte (elles le sont toutes), qui demeurait chez ses parents. La jeune fille n'était point insensible aux attentions de son galant voisin. Un samedi matin, les deux jeunes gens se rencontrent dans l'escalier: « Bonjour, mademoiselle, dit le jeune homme en s'arrêtant; vous êtes bien pressée.— Je file mon noeud ce matin, répondit-elle ; c'est aujourd'hui le batiau, et mon metteur goberait son boeuf si je prenais du salé. » Ayant dit, notre blonde disparaît. Ahurissement de l'amoureux, qui vient d'épouser une Auvergnate à laquelle il apprend le français. Nous avons dit plus haut que les typographes, en proscrivant les femmes de leurs ateliers, avaient surtout en vue la conservation des bonnes moeurs à laquelle nuit, comme chacun sait, la promiscuité des sexes. Ce qui suit ne démontre-t-il pas qu'ils n'ont pas tort ? Un jour, ou plutôt un soir, une bande de typos en goguette faisait irruption dans une de ces maisons de barrière qu'on ne nomme pas. L'un d'eux, frappé de l'embonpoint plantureux d'une des nymphes du lieu, ne put retenir ce cri: « Quel porte-pages ! » La belle, qui avait été compositrice, peu flattée de l'observation du frère, lui répliqua aussitôt : « Possible ! mais tu peux te fouiller pour la distribution. » (Authentique.) L'admission des femmes dans la typographie a eu un autre résultat fâcheux: elle a fait dégénérer l'art en métier. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les ouvrages sortis des imprimeries où les femmes sont à peu près exclusivement employées. |
Eugène Boutmy - Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883 |
Où Boutmy se révèle à la fois bon écrivain et sacrément misogyne.
RépondreSupprimerLe plus long article de son dictionnaire à ce jour, me semble-t-il.
Il faut replacer ce texte dans l'époque. La misogynie était monnaie courante (tout comme le racisme, le "nègre" étant forcément moins intelligent, etc.). Et le travail des femmes peu courant, hors milieu rural s'entend.
RépondreSupprimerEt Boutmy souligne surtout certains faits sociaux très intéressants. Les femmes typographes étaient employées à un tarif inférieur à celui des hommes 'cf. "les imprimeries où les femmes sont employées à la casse à un prix inférieur à celui fixé par le Tarif accepté."). Certes, il y a aussi le côté "regardez comme elles travaillent moins bien que les hommes" (est-ce si étonnant, du reste, en étant moins bien payées ?).
Mais je pense que, dans le fond, c'est surtout le fait que l'arrivée des femmes dans le métier tirait les salaires vers le bas qui inquiétait ces hommes. Comme quoi cela ne date pas d'hier...
Otto Naumme
Bonne analyse, vous devriez faire du journalisme, Otto...
RépondreSupprimerAh oui, bonne idée de reconversion, il faudra que j'y pense !
RépondreSupprimerOtto Naumme
Cher Otto,
RépondreSupprimercertes vous avez raison pour les salaires mais la poudre est identique pour la qualité du travail,..
Cher Tenancier je partage le rire aux éclats, vraiment !
Souvenirs d'arrivée dans les ateliers soulevant le doute et le scepticisme, puis un paternalisme chaleureux...C'était un vrai plaisir amusé de rencontrer cela.
Cet article de Boutmy est un vrai bijou de bonne humeur. Et puis "compositrice" ...en 1883...
Chère Adria, bien sûr que la qualité du travail n'a rien à faire d'attributs "virils". Je soulignais juste que, de manière assez logique, on se trouvait parfois à être moins motivé pour son travail lorsqu'on sait gagner moins que son voisin pour de "simples" raisons vestimentaires...
RépondreSupprimerMais bien loin de moi l'idée de penser qu'une femme travaille moins bien qu'un homme !
Otto Naumme
Ah cher Otto,
RépondreSupprimernous (je!) communiquons mal...
au sujet des salaires vers le bas inquiétant les hommes, oui oui mais également il s'est avéré que les femmes travaillaient mieux (des lustres d'obéissance...) et cela aussi a généré de vives inquiétudes chez nos hommes !
Ah, chère Adria, c'est aussi que j'ai parfois ("souvent", ricanent certains derrière leur écran) la comprenette un peu lente...
RépondreSupprimerEt vous avez tout à fait raison, ce genre de "différence" ne faisait les affaires de personne. D'autant que le "mieux pour moins cher", on voit où ça nous mène...
Otto Naumme
Moi ?
RépondreSupprimerJe ne ricane jamais !
http://correcteurs.blog.lemonde.fr/2011/06/24/ndlc-note-de-la-claviste/
RépondreSupprimerVoici, relevé dans "la page spéciale" des coquilles :
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Dans un roman sentimental, composé par des dames dans une imprimerie de la banlieue parisienne, au moment psychologique, l'héroïne, s'adressant au traître, s'écrie douloureusement : « Monstre, vous avez rompu mon bouchon! »
Quel sens la compositrice attachait-elle à cette plainte ? Mystère ! L'auteur avait écrit: « Monsieur, vous avez rompu mon bonheur. »
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