Une mise en pièces bien méritée !

Le Tenancier n'a rien d'un masochiste et il aime pourtant qu'on le corrige.
Le billet précédent avait été rédigé sur la foi de souvenirs que je pensais exacts. Fort d'une mémoire que je croyais fiable, je me sentais tout faraud à l'idée de montrer quelques notions en dehors de mon domaine. Fi donc, quelle ne fut donc pas ma déconvenue en lisant la réponse fort intelligente et claire du commentateur qui signa Fabrice en dessous de mes approximations !
On s'accordera que de telles précisions ne pouvaient que faire partie du corps de ce blog. Voilà qui est fait ci dessous.
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Fidèle mais jusqu'ici muet lecteur, permettez-moi quelques précisions et un avis qui n'engage que moi :
Les peciae n'étaient pas destinées aux étudiants mais aux copistes : ce système de fragmentation d'un texte source approuvé (et taxé) par l'Université servait à augmenter le rendement de ses reproductions, chaque copiste ne pouvant louer une pecia qu'une semaine maximum - soit le temps nécessaire à sa copie à la vitesse d'un feuillet et quelques lignes par jour - auprès des libraires et stationnaires.
Pour la liste des principaux ouvrages soumis au système des exemplaria et peciae, une notice sur le livre « Opere diffuse per "exemplar" e pecia » de Murano Giovanna est disponible sur ce site de bibliologie médiévale :
http://pecia.gandi-site.net/#/la-pecia/3333572
Sur le même sujet : La production du livre universitaire au Moyen Age, Exemplar et pecia, Actes du symposium tenu au Collège San Bonaventura de Grottaferrata en mai 1983 (Textes réunis
par Louis J. Bataillon, Bertrand G. Guyot, Richard H. Rouse, Paris, CNRS, 1988). Voici un résumé d'une partie de cet ouvrage (paru dans la revue Bibliothèque de l'Ecole des Chartes à l'époque) qui pourrait vous intéresser :
« Le travail de Richard et Mary Rouse sur le commerce des livres à Paris de 1250 à 1350 (p. 41-114) est d'un intérêt tout à fait remarquable et nouveau. Ils partent du problème lexicographique du librarius/stationarius, et se tournent vers les documents d'archives publiés pour les interpréter à la lumière de ce que, depuis Désirez, nous avons appris par l'examen des manuscrits. Ils reculent ainsi dans le temps l'apparition de la pecia à Paris : vers 1250-1260 dans les faits, en 1275 dans la législation de l'université, qui commence seulement à en prendre le contrôle. Ils montrent les résistances des libraires devant ce contrôle, l'université cherchant à limiter leurs gains à 1,7 % de la valeur. Ils suivent ce conflit à travers les rôles de la taille et les serments des libraires à l'université : le libraire qui refuse de prêter serment n'est plus suppôt de l'université et n'est plus dispensé de la taille. Ce faisant ils font apparaître, parmi les meneurs, une dynastie originaire de Sens et puissamment établie, et aussi les différences de clientèle et de statut avec les grands libraires achalandés d'une riche clientèle, qui ne sont pas stationnaires et n'envisagent pas de se contenter, dans leur production de livres de luxe, des bénéfices dérisoires taxés par l'université. Les listes de la taille étudiées montrent qu'il n'y avait sans doute pas à Paris plus de vingt-huit libraires et de trois ou quatre stationnaires, dont l'un spécialisé dans la production dominicaine, elle-même favorisée par ce lien avec un stationnaire et la capacité de multiplication rapide et de diffusion que cela signifie. Les stationnaires se répartissaient visiblement les spécialités, avec une sorte de monopole de fait. Suit une liste des libraires et stationnaires parisiens, avec les renseignements que l'on possède à leur sujet, liste qui sera précieuse à tous égards. »
Dans tous les cas, les apopeciae (exemplaires dérivés) étaient destinées à être regroupées par la suite. Ce système a en effet permis une extension importante de la diffusion des textes religieux et scientifiques puisque qu'on multiplie (potentiellement) le nombre de copies d'un exemplar en un temps donné par le nombre de peciae qui le compose.
Quant aux « pages détachées » qu'on veut proposer aujourd'hui en version numérique, il me semble qu'elles correspondent davantage à une pratique de citation (citation de citation puisqu'il faut savoir de quelle partie on a besoin, quelle partie acheter). Et en ce sens, oui, à une fragmentation scientifique, pratique et paresseuse de la culture.
Attentivement,

F.P.

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On ne peut que renvoyer le curieux et l'attentif aux blogs qu'anime Fabrice P., en le remerciant chaleureusement de son intervention :
ici, ici et là.

5 commentaires:

  1. ... et le Tenancier s'abstiendra de philosopher sur la faillibilité des connaissances dans le métier. Il vous a déjà servi ce refrain.

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  2. Moi qui venais ici pour parfaire ma culture livresque, je ne sais plus à qui me fier, mon Tenancier ! Tout fout le camp et je suis bien décontenancée. Figurez-vous que j'avais lu "faisabilité" au lieu de "faillibilité", c'est vous dire si je suis attentive !
    Moi, j'aime beaucoup Guitry, il avait une finesse proche de la vôtre. Il disait : "Il n'est pas question de se mentir - mais il ne faut pas non plus t'imaginer que tu me dis la vérité parce que tu me dis ce que tu penses. Ton absolue sincérité n'est pas une garantie. On n'est pas infaillible parce qu'on est sincère."
    Alors personne n'est faisable, c'est tout ce que j'ai à dire.

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  3. Le Tenancier,
    vôtre
    "Feuilles d'automne"
    est une fois encore
    circulatoire lors merveilleux.

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  4. Et j'ajouterai, à la décharge du Tenancier (il faut bien de temps à autres se montrer charitable à son égard, son humeur pourrait se gâter autrement...), que seuls ceux qui agissent sont susceptibles de faillir.
    Raison qui aurait pu me pousser, si tant est que nous eussions pu lire des fâcheux critiquer notre Tenancier à ce sujet, à paraphraser maître Folasse et à intimer à certains "de fermer leur claque-merde !". Mais comme nul ne s'est risqué en la matière, on se contentera de la citation. Un tantinet en décalage avec la somme d'érudition montrée par ce cher Fabrice, j'en suis bien conscient.
    Cher Fabrice que je remercie au passage, il nous apprend des choses passionnantes et le site auquel il fait référence en tout premier lieu.
    Je regrette simplement de ne pas en savoir plus sur ce que cachait réellement "l'Université" de cette époque, probablement pas tout à fait la même qu'aujourd'hui. Détentrice et gardienne acharnée tout autant que religieuse du savoir de l'époque, je présume. J'irai farfouiller dans les ressources sur le sujet, dès que je trouverai un peu de temps...

    Otto Naumme

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  5. Si l'on revient au type de production généré par le système dérivé de l'exemplar on peut supposer que divers types de problèmes devaient se poser aux copistes, comme ceux qui concernent la composition des ouvrages. On peut supposer que la "réglure", qui serait - je mets désormais un conditionnel prudent ! - le tracé des lignes de l'ouvrage sur lesquelles s'appuierait le copiste (on en voit de traces sur certains manuscrits) devait être également fait à la chaîne... C'est ainsi toute la chaîne de production de l'ouvrage qui devait être "taylorisé", signe également que l'organisation du travail au moyen-âge possédait quelques règles collectives, redevables au système corporatiste, certainement...
    Pour la conclusion, Fabrice, il est évident que ce que propose cet éditeur est bien une fragmentation du savoir. Mais cette pratique est entérinée depuis belle lurette par les universitaires eux-même qui diffusent des fragments avec force polycopies. Souvenons-nous du slogan - peut être toujours en usage : "Le photocopillage tue le livre". En somme ce serait pour l'éditeur un moyen de reprendre les choses en main, dynamitant ainsi les officines de reprographie qui ont sévi pendant des années et qui étaient de toute façon menacées à leur tour par les versions électroniques qui circulent. A tout le moins, sans que la chose soit foncièrement morale, on se dit que c'est un acteur du livre qui en tire quelque chose et non pas un gougnafier armé d'une Rank Xerox...

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

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