Entre quatre murs

La bienveillance peut parfois être une source d’incompréhensions. C’est ainsi que le récent et très intéressant billet de Nicolas Grondin allait entraîner pour moi quelques explications au sujet de mes occupations. En effet, notre sympathique éditeur a mis un lien sur Facebook en vantant ma librairie et mes travaux. A la suite de cette remarque, quelques lecteurs me promettaient de venir me rendre visite. Pas d’erreur ou de quiproquo de la part de Nicolas. Tout Tenancier que je suis, j’occupe effectivement une activité déclarée au Registre du Commerce intitulée Feuilles d’automne, librairie d’occasion. La chose que Nicolas n’avait point perçue, c’est que j’étais, en quelque sorte, un libraire en chambre, ne travaillant que par correspondance, effectuant l’expédition de ses ouvrages en conclusion de la vente et dont le lieu d’activité se trouve à quelques mètres de sa chambre à coucher, à quelques pas du réfrigérateur. Longtemps, cette activité de librairie par correspondance fut l’apanage de quelques individus. L’un de ceux-là est toujours actif et présente un fonds tout aussi intéressant. Il s’agit de Victor Sevilla. On le retrouve maintenant sur le net à l’instar de nombre de ses confrères.



Rendons-nous compte qu’à l’époque, avant la généralisation du commerce de livres modernes ou anciens sur le net, il fallait tout de même un certain culot et un carnet d’adresses de clientèle fourni pour se lancer dans la vente par correspondance en ne faisant guère que des catalogues « papier » et en contactant personnellement ses clients.



Le fonds de ce libraire est consacré au XXe siècle et également à la littérature populaire. (Il faut se rappeler que, de manière générale, la librairie par correspondance concernait surtout des ouvrages anciens et très précieux. Ces antiquaires du livres émettaient de véritables livres d’art en guise de catalogue, les transactions se faisant plutôt entre banquiers et l’acheminement des ouvrages par la même voie que certaines précieuses antiquités.)



Si Victor Sevilla fut en quelque sorte un pionnier dans cette catégorie de librairie (bien sûr, il y a sûrement des prédécesseurs, mais il n’en constitue pas moins un exemple parlant), il fut rejoint par la suite par un certain nombre de jeunes et moins jeunes confrères. La raison en incombe à plusieurs facteurs qui ont déterminé le repli de quelques librairies hors du pas-de-porte traditionnel.



L’une de ces raisons est celle qui atteint aussi la librairie de neuf et en général le commerce traditionnel. L’augmentation de baux commerciaux en centre ville et dans les quartiers commerçants a fait fuir les activités de rapport modeste. L’autre raison vous concerne plus spécialement, chers lecteurs de ce blog. Il est incontestable qu’Internet a pris une importance considérable pour tout ce qui régit la recherche de livres épuisés. Comment pouvait-il en être autrement, du reste ? Ainsi, il y a une dizaine d’années, je quittais mon emploi de vendeur dans une librairie qui pratiquait la recherche d’ouvrages épuisés. Cette librairie a arrêté son activité – pour cause de retraite – à temps ! En effet, pourquoi confier à un tiers la recherche d’un livre que l’on peut trouver par soi-même sur un site comme Galaxidion ou Livre-rare-book ? Ainsi, une nouvelle clientèle pour les libraires d’ouvrages épuisés était née. Il s’agissait des internautes. La majorité des libraires de ma corporation vous le diront : le client en chair et en os se fait désormais rare. Cette nouvelle clientèle a entraîné également de nouvelles pratiques professionnelles. Au lieu d’aménager et de ranger ses rayons, le libraire fait des listes de ses ouvrages pour les mettre à disposition sur des sites comme ceux nommés plus haut. Peu à peu, la maîtrise des logiciels des bases de données ou du moins la pratique du catalogage électronique est devenu une des compétences des libraires. Régression ? En vérité, nombre de professionnels qui n’avaient jamais rédigé de catalogue auparavant ont dû s’adapter. En ce sens, le net fut un apport inestimable de compétences, et également un moyen de réviser nombre d’a priori sur quelques ouvrages de nos fonds respectifs. Cette émergence du commerce électronique fut aussi à l’origine d’une nouvelle espèce de libraire. En effet, s’il fallait énormément de courage, d’abnégation et sans doute une très bonne liste de correspondants pour qu’un libraire comme Victor Sevilla puisse exercer son activité, ces autres professionnels purent démarrer avec une mise de fonds plus légère en concentrant leur activité uniquement sur Internet au détriment de l’établissement de catalogues sur papier ou de la présence forcée dans un magasin. De plus, le fait de ne pas ouvrir de boutique dispensait nombre de ces « jeunes libraires » de payer les charges d’un bail, d’un loyer, de nombre de charges afférentes et même d’être prisonniers d’un horaire. Ainsi – car malgré mon kilométrage, je suis encore un « jeune libraire » – je suis disponible à tout moment pour acheter des livres, me déplacer et même rédiger ce présent billet. En revanche, les horaires de boutiques ne sont plus d’actualité. Votre présent Tenancier est volontiers un noctambule, produisant mieux à partir de cinq heures du soir…
On cherchera en vain des rayons. Les livres sont emmagasinés dans des caisses numérotées. Les seuls rayons que l’on trouvera chez moi appartiennent à ma bibliothèque personnelle et à ma bibliothèque professionnelle.
Le revers de la médaille réside dans l’absence de contact avec les clients d’une librairie. J’ai dans mes amis et relations encore pas mal de personnes que j’ai connues dans mon cadre professionnel, par le passé. On ne reste pas impunément à la même place pendant plus de treize ans sans avoir tissé quelques liens, bien sûr. Ce type de relation se tarit irrémédiablement lorsque vous êtes entre les murs de votre local ou bien de la pièce comme celle que j’occupe la majeure partie de mes jours et une bonne partie de mes nuits.
C’est sans doute l’un des grands regrets de mon activité actuelle. C’est également pour cela que ce blog existe. Et c’est également pour cela que j’apprécie cette sorte de dialogue informel tout au long de vos commentaires, avec vos propres voix et parfois aussi quelques visages.
En tout cas, je le regrette, je n’ai pas de boutique pour vous accueillir.
Mais l’on est en train de méditer quelque chose…

20 commentaires:

  1. Votre boutique virtuelle est déjà bien accueillante : mais si, par un coup de baguette magique prochain, elle venait à prendre également forme réelle, alors, il suffirait d'en indiquer l'adresse pour que vos lecteurs, eux aussi, se "matérialisent" en passants amis et, peut-être, acheteurs !

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  2. Serait-ce pour faire voltiger les feuilles mortes, que Nicolas Grondin a venté votre librairie ?
    Pardon, cher Tenancier : il m'est arrivé jadis de m'adonner à l'ingrate activité de correcteur.
    Celle que j'exerce aujourd'hui me permet de mettre ma boutique à votre disposition, si besoin est — pour l'usage que vous indiquez ici, s'entend…

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  3. Merci, mon cher Georges. Allez, autant le dire tout de suite. Il ne s'agit pas d'ouvrir une boutique, du moins pas pour le moment. Mais pourquoi ne pas se retrouver de temps en temps autour d'une table, hein ? Nous venons de manquer Otto qui est passé brièvement à Paris. Nous ne désespérons pas d'un passage de Christophe Borhen ou d'ArD dans notre coins, un de ces jours. Ainsi, je renouerais pour ma part avec une pratique courante lorsque je faisais de la radio.

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  4. À part tendre la perche (mais c'est plutôt au cinéma), je ne vois pas trop à quelle pratique vous faites allusion…
    Dommage d'avoir raté Otto, c'eût été avec plaisir; et quant à votre proposition, je me tiens prêt. Mais pour la mienne, vous vous êtes mépris : je n'envisageais de mettre à disposition ce lieu privé à usage public que pour favoriser une éventuelle rencontre incarnée.

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  5. Otto est en tournée, les réservations sont-elles ouvertes ?

    --
    George, vous avez amplement raison de chercher à approfondir l'affaire : Quand on sait que l'animal est un carnassier, avant de se jeter dans la gueule de la perche, mieux vaut prendre ses précautions.

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    Tenancier, éplucher le revers de la médaille, vous faites ça bien, mais rappelez-vous —dans les heures sombres— que les médailles ont aussi un avers dont l'ingratitude est parfois grassement douce. Passer de sa chambre à son réfrigérateur en passant par le bureau, finalement c'est la rançon de l'autodiscipline, on ne dirait pas comme ça, hein !

    ArD

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  6. Cher George, je pense que le Tenancier parlait de cette pratique qui consistait, avant l'émission de radio qu'il animait, d'aller s'échauffer à l'une des brasseries du coin, de manière à arriver en "pleine forme" devant le micro...

    Par ailleurs, j'aurais été également ravi de faire une rencontre avec vous et les autres aimables participants de ce blog, mais mon passage fut aussi bref que dense (et je ne vois même pas de jeu de mots lamentable à rajouter, je fatigue...). L'occasion se représentera certainement, et nous aurons ainsi le plaisir de découvrir votre échoppe en même temps que de faire connaissance (j'ai toujours eu un faible pour les librairies, allez savoir pourquoi...).

    Pour le reste, chère ArD, ma brève tournée est hélas déjà terminée, mais je l'offrirai bien volontiers à l'occasion d'une prochaine rencontre... Et j'enverrai invitations et cartons VIP (vous en serez une des premières bénéficiaires, bien évidemment !).

    Et vous avez tout à fait raison de parler d'otto-discipline en ce qui concerne le travail à la maison, le chemin est semé d'embûches, entre frigo, TV, canapé et autres douceurs qui vous font de l'oeil et vous encouragent à négliger la partie rémunératrice de votre journée. C'est qu'on est si bien à ne rien faire...

    Otto Naumme

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  7. Bon, c'est moi qui vais me dévouer pour le mauvais jeu de mot : En bon amateur d'automobiles, Otto était venu assister à Paris à un concert d'un groupe de garage.
    Si si, ça ne s'invente pas.

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  8. Oui, j'avoue, il s'agissait d'un groupe de garage-rock, enfin, plutôt LE groupe ultime de garage-rock, les Sonics (ceux que ça intéresse iront écouter là : http://www.myspace.com/THESONICSBOOM. Attention, ce n'est pas un son "policé" du tout du tout. Et ça fleure bon ses sixties...).
    On pourrait du reste dire que les Sonics sont les huiles du garage-rock.
    (je suis pas sûr de me sentir mieux après celui-là...).

    Otto Naumme

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  9. Merci, cher Otto, pour vos éclaircissements. Si j'ai bien compris, il s'échauffait dans l'échoppe de bières (la mienne vous accueillera avec plaisir, mais ici c'est plutôt le blanc qui coule à flots). Tiens, cela m'intrigue, cette histoire de radio… Aligre, Radio Libertaire, FPP ?
    Pour en revenir au sujet du billet, il y a eu, bien avant Sevilla (et son éternel chewing-gum), la librairie de la Santé, au 4 de la sinistre rue du même nom. Elle a disparu depuis bien longtemps, mais elle aussi se consacrait essentiellement à la littérature populaire (et publiait des catalogues). Chose que fait toujours Les chasseurs de livres, à Montreuil, de concert avec Flamberge, vers Poissonnière (rue Bleue, je crois, ou de Montholon).
    Il est vrai que bien des confrères ont de moins en moins pignon sur rue, mais d'autres n'en continuent pas moins d'éditer des catalogues-papier : Léon Aichelbaum, Henri Vignes, Dominique du Dilettante (que Daeninckx a ignominieusement couvert de sanies dans son Poulpe)…
    Quant à moi, je ne me repose jamais autant que sur mon lieu de "travail".

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  10. Ah oui, merci Otto de vos éclaircissements sur votre déplacement à Paris, ça vaut le détour effectivement ! La halte chez le Tenancier n'était qu'une mise en bouche si je comprends bien, lui qui fait des blagues sur les otto et le garage, ce ne serait pas lui qui timbrerait certains courriers de jolies collections pilatéliques qui, comme par hasard, répondent à votre (bon) goût sur le sujet otto-mobile ?(!)

    Quant à George, quel flair... décidément. (Radio Libertaire bien sûr !). Si je comprends bien, vous assureriez la logistique blanche pour la montée des sudistes à Paris... ne reste plus qu'à s'entendre sur la motivation hors garage dans ce cas.

    ArD

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  11. Cher George, la seconde, des radios que vous citez, la seconde... Et le blanc, lorsqu'il est bon, je n'ai rien contre !

    Je ne vous ai lue, chère ArD, qu'après avoir répondu à George, d'où la redite sur RL... En ce qui concerne le Tenancier, je sais qu'il a la langue trop pâteuse pour pouvoir coller une collection philatélic-ottomobile...

    Quant à trouver une motivation (hors musique garage s'entend ; ou s'assourdit, diraient les mauvaises langues), pourquoi chercher plus loin que le plaisir de se rencontrer, de déboucher une bonne bouteille et de rire entre gens de bonne compagnie. Et je me ferai un plaisir d'amener avec moi tous les éléments du Mystère, que chacun puisse les contempler de visu (on n'est plus très loin des saintes reliques, là...)

    Otto Naumme

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  12. Tope là ! Ne reste plus qu'un bon choix dans la date… hum.

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  13. On peut aussi se déplacer jusque dans la région d'Otto, non ? Ce serait le premier salon littéraire du blog...
    Le Salon de l'Otto, en somme.

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  14. On pourrait alors convier le Mystère en personne, qu'en dites-vous Otto ? Pour l'examen des langues pâteuses, va falloir trouver un protocole examinatoire...

    ArD

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  15. Cher Tenancier, celle-ci est brillante... Je n'arrive même pas à vous en vouloir de marcher sur mes brisées.
    Quant à la suggestion de tenir salon ouvert par chez moi, pas de souci, elle me conviendrait parfaitement.
    Mais George a raison : ici ou sur Paris, reste à trouver une date qui convienne. On n'a plus qu'à bosser sur le sujet...

    Otto Naumme

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  16. Chère ArD, que je n'ai lue qu'après ma dernière réponse, bien évidemment, nous pourrions alors convier le Mystère, et surtout son Expéditeur. Reste que je n'ai toujours pas son adresse...
    Qu'à cela ne tienne, nous trouverons bien un moyen de lui faire parvenir l'invitation...

    Otto Naumme

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  17. Mon petit doigt me dit qu'on finira par y arriver…
    Pour le Mystère, il faudrait naturellement lui proposer de venir masqué.

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  18. Ah, pardon, ma première phrase se référait au pénultième commentaire, histoire d'insister sur la contrepéterie.

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  19. George, en fait, il faut que je l'avoue, je suis totalement imperméable aux contrepèteries. Pas que j'aime pas, simplement je n'arrive jamais à les détecter (sauf "il fait beau et chaud", mais c'est pas du jeu...).
    Enfin, bon, là, le choix dans la date, j'ai quand même percuté. Mais parce que vous me l'avez dit...

    Otto Naumme

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  20. Question de naturel, mon cher : par exemple, je n'entends quant à moi rien au garage rock (quoique là il s'agisse plutôt de goût)…
    Désolé d'avoir dû insister pour vous faire mettre le doigt dessus…

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