Irène Autin

J'ai connu Irène Autin il y a huit ans en rejoignant une boîte basée à Paris qui faisait de la vente de livres sur Internet. Nous y avions le même emploi, à la différence que je me déplaçais dans toute la France et même à l'étranger alors qu'elle se promenait dans la région parisienne. Notre fréquentation était donc quelque peu épisodique, ponctuée par mes retours, moments où je retrouvais mon bureau contigu au sien.
Je dois dire qu'elle et moi avions redouté de nous rencontrer. Lorsque je suis arrivé dans ce boulot, elle avait pris quelques congés. J'avais le sentiment obscur que j'allais à son retour me retrouver dans une sorte de compétition comme j'en avais déjà rencontré par le passé, à essayer de se coincer sur quelques sottises ou points de détail. Je sus par la suite qu'elle redoutait la même chose. En fin de compte, ma surprise fut extrêmement heureuse lorsqu'elle arriva dans la même pièce que moi. J'espère qu'il en fut de même pour elle sur mon compte.
Je fis la connaissance d'une personne cultivée, alerte et faisant preuve d'une rare empathie, qualité qui, dans l'emploi qu'elle occupait, avait contribué à lui procurer pas mal de succès. En effet, notre travail consistait à 50% à se faire engueuler. Il fallait reconnaître d'ailleurs que c'était avec raison, bien que ce ne fut pas du fait de nos actions propres. Je crois qu'Irène par sa qualité d'écoute avait acquis un grand potentiel de sympathie et arrivait ainsi à fréquemment inverser les dispositions fâcheuses de ses interlocuteurs.
Je suis parti de ce boulot relativement rapidement. Non que je m'y ennuyais particulièrement, mais les raisons de perdurer à cet emploi avaient été obérées par de mauvaises prémices et également de fausses promesses. Avouons tout de même que ce passage nous permis de révolutionner notre manière de voir la vente par Internet, vision acquise sans que notre employeur de l'époque put en tirer un quelconque mérite. Irène en partit beaucoup plus tard, sans doute avec ce même sentiment d'inachèvement et en tout cas, d'après ce que je puis juger d'elle, par un grave sous emplois de ses capacités.
Car Irène Autin est une libraire. Nous avons en cela une carrière quelque peu parallèle et assez particulière puisque nous sommes venus au métier en travaillant chez ceux qui allaient devenir nos confrères. Le fait est rare, nombre de ceux-là ne peuvent avoir un salarié à leur côté. La règle du libraire d'occasion ou de bibliophilie est plutôt d'être seul dans sa boutique. Ainsi, nous avons eu la chance de nous former au métier chez d'autres personnes et non de bâtir notre métier de toutes pièces...
Ce départ d'Irène n'était d'ailleurs pas un drame mais plutôt une chance : en peu de temps elle reprit une librairie et continue actuellement son activité avec un certain bonheur.


Cette librairie se situe au 114 de la rue Blomet, dans le 15e arrondissement de Paris. Elle s'appelle La Lettre Écarlate. En face, vous y trouverez également un relieur. Ce n'est pas une grande librairie. Il s'agit d'une petite boutique telle que l'on est coutumier d'en rencontrer lors de pérégrinations parisiennes, de ces boutiques faites pour les flâneurs et les nonchalants. Le bobo en 4X4 ne pourra pas l'apercevoir à travers ses vitres fumées : cela va trop vite. Et, du reste, cet engeance lit-elle ? Je veux dire : lit-elle des vrais livres ?


Irène possède de vrais livres dans sa librairie : littérature, beaux arts, et également pas mal d'ouvrages dont on sait qu'elle aimerait faire sa spécialité : les enfantina. On ne lui donnera pas tort : les ouvrages pour enfants ont toujours présenté un potentiel créatif que ne pouvait guère égaler la production courante, tant par la typographie, la mise en page et même les textes, servis par des auteurs prestigieux, parfois.


Mais ses autres rayons valent la peine d'un détour, pourvu que l'on ne vienne pas avec une idée préconçue. Le plaisir d'une librairie comme celle-ci réside dans la rencontre inopinée et non dans la liste de commissions à faire. C'est du reste ce que toute personne sensée devrait faire dans une librairie d'occasion ou de bibliophilie : se laisser porter par la rencontre avec son contenu et avec le libraire.


Ici, vous y trouverez peut être Irène Autin derrière son bureau, continuant le labeur quotidien qui consiste à cataloguer ses ouvrages pour Internet. N'ayez pas peur de la déranger et payez-vous le bonheur d'un conseil de sa part. Et puis, achetez-lui un livre, non parce que c'est une vile boutiquière - ceux-là ne tiennent pas longtemps - mais parce vous aurez su vous laisser convaincre que ce livre-là pouvait tout à fait vous convenir.
Peut-être y resterez-vous un quart d'heure, un heure... Sans doute y reviendrez-vous. C'est ce que l'on vous souhaite.


Irène Autin incarne pour moi une certaine rectitude professionnelle dans le sens où elle se montre capable de douter. La possibilité de remettre en question nos connaissances, la curiosité qui en est le corollaire sont inscrits génétiquement dans notre profession. La part de doute que nous pouvons montrer parfois ne peut être prise pour une faiblesse que pour les incultes et les crétins. Notez que c'est avec assurance que je vous le dis ! Cette disposition d'esprit lui permet de conserver intacte son sens du dialogue et son intuition professionnelle.
Profitez-en !

3 commentaires:

  1. Libraire rue Blomet..plus une misère depuis Hugo.
    Vos notes sentent bon la belle reliure, cher jtm. Reste à nous transmettre un parquet qui crisse sous une éclairage non-halogène. Mon est phil et je viens le perdre sur votre blog.

    RépondreSupprimer
  2. un éclairage..et mon nom est..
    on réajuste son veston avant de franchir la porte du blog de jtm.

    RépondreSupprimer

Les propos et opinions demeurent la propriété des personnes ayant rédigé les commentaires ainsi que les billets. Le Tenancier de ce blog ne saurait les réutiliser sans la permission de ces dites personnes. Les commentaires sont modérés a posteriori, cela signifie que le Tenancier se réserve la possibilité de supprimer des propos qui seraient hors des sujets de ce blog, ou ayant un contenu contraire à l'éthique ou à la "netiquette". Enfin, le Tenancier, après toutes ces raisons, ne peut que se montrer solidaire des propos qu'il a publiés. C'est bien fait pour lui.
Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.