Pour autant, il serait illusoire de penser que, parce que nous faisons de la librairie – à des titres divers et à différents niveaux – nous puissions nous ériger en critique en raison de notre qualité professionnelle. En réalité – et ici, je parle autant du neuf que de l’occasion ou de l’ancien – le métier de libraire consiste à apprendre et retenir des choses qui, si nous ne faisions ce métier, ne nous arrêteraient pas un seul instant. Vouloir à tout prix vendre un livre sur l’argument de sa propre autorité professionnelle, c’est assurément ne pas être à l’écoute de celui qui rentre dans la boutique. En librairie, l’argument ex cathedra s’efface devant la nécessité de comprendre et de réagir à ce que veut, recherche ou aime le client. Le libraire n’a aucune autorité pour juger de la qualité d’un texte sinon que pour son édification personnelle ou s’il s’y exerce, devra sans doute veiller à le faire en dehors de sa sphère littéraire professionnelle, comme je le fis.
Si je dis qu’un libraire ne peut être critique, ce n’est certes pas parce que je pense que nous soyons incapables de lire et de comprendre un texte, bien au contraire, mais cette assimilation ne va guère dans le sens d’une éthique littéraire, dans le sens où nous sommes les vendeurs de ces dits ouvrages. Plus assurément, cette connaissance intime de la littérature renvoie à l’intimité du dialogue entre le lecteur et le livre.

Entre les deux il y a le libraire qui est un passeur.
Je ressens donc comme une certaine outrecuidance, un manque certain de modestie de dire que, parce que l’on a lu un livre, et qu’on est libraire, on a l’autorité nécessaire pour décerner un mérite sous la casaque de critique. Non que nous soyons particulièrement handicapés ou ignares et que nous soyons incapables de parler et de juger le contenu d’un ouvrage (quoique, certains…), seulement il reste un obstacle de taille : nous devenons à la fois prescripteur et vendeur dans deux métiers différents. Certains ont franchi allègrement cette question d’éthique sans apparemment se poser beaucoup de questions. La chose serait certes bénigne, on a évoqué pire dans ce blog… Mais voilà : se réclamer du métier de libraire pose la question de la crédibilité du critique et de son indépendance de même que l’inversion de cette proposition ne laisse pas sans un arrière goût de médiocre mégalomanie. Rappelons ici que le maître mot de notre métier est l’apprentissage : « On se lasse de tout, excepté d’apprendre » (Virgile).
Pour ma part, cette question trouve sa résolution dans la pratique quotidienne de la discussion, de l’apprentissage et de la patience dans le lieu clos d’un dialogue. Il n’y pas d’étoiles et de notules. Il y a moi et celui qui rentre me voir, pas la gloire, pas l’illusion, rien de cela.
Certains semblent déjà lassés d’apprendre alors qu’ils jugent déjà.
BRAVO!!!!!!
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ces mots, que je vais relayer. Pas plus tard que cet après-midi, chez un confrère qui vient d'ouvrir une bouquinerie, j'ai eu droit à un assommant et prétentieux exposé.
Il sait déjà tout, alors qu'il démarre. Moi j'apprends tous les jours (vous aussi, et ça me ravit!).
En outre, j'imagine les rayons d'une librairie où il n'y aurait que les livres plaisant au taulier de la chose, ou uniquement ceux qu'il a lus. Le risque ne serait pas mince que ces rayons soient un peu vides... Même en étant rapide, on lit quoi, 100 bouquins par an (je suis personnellement loin de ce chiffre...) ? Dont combien de vraiment bons ? Cela suffirait-il à remplir les rayons sus-cités ?
RépondreSupprimerEt, "mon goût", "ce que je connais", n'est-ce pas un poil restrictif ?
Sans parler, comme le Tenancier l'a très bien fait, de l'aspect éthique de la chose...
Otto Naumme
SPiRitus et, accessoirement, l'arrière banc des dévoués commentateurs de ce blog s'exprimaient déjà à ce sujet ici, [et avant que la conversation ne dérive et que notre Tenancier ne le traite aimablement de droitier frustré (à peu près)] écrivait : «le premier et inépuisable prescripteur de lectures nouvelles est, me semble-t-il le livre lui-même, parfois à son corps textuel défendant.» Je comprends que c'est bien cette position du lecteur qui induit votre posture.
RépondreSupprimerDites, Tenancier, je crois que ça nous simplifierait le dialogue si vous créiez deux catégories distinctes : le libraire et le marchand de livres, quitte à les ranger dans deux P.C.S. (les nouvelles C.S.P.) différentes, comme bon vous semblera. car selon que l'on parle d'éthique littéraire ou de déontologie du libraire, à mon avis on élargit le champ de tirs.
ArD
Vous me prenez donc pour un artilleur, ArD ?
RépondreSupprimerSoit, je vous rappelle toutefois que je n'y suis point étranger puisque j'avais provoqué en son temps George Weaver à un duel à coups de '75 !
Mieux que ça, Tenancier : pour un pointeur ! (Registre militaire s'entend et pas celui du jeu de «boules».)
RépondreSupprimerArD
Oh !
RépondreSupprimerNous avons failli écarquiller les yeux ! Mais il est vrai qu'avec ces articles, le Tenancier a de quoi montrer ses boules (de pétanque).
RépondreSupprimerQu'est sensé signifier ce nouveau P.C.S. ?
Otto Naumme
Au fait, Otto, au lieu de faire salon ici, vous ne deviez pas nous donner des nouvelles du Mystérieux Expéditeur, mmmmhhhh ?
RépondreSupprimerUne petite arabesque qui consiste à déplacer, tout en le maintenant, un P : Profession et catégories socioprofessionnelles.
RépondreSupprimerArD
Chère ArD, on voit que d'éminentes personnes ont du être mises à contribution pour nous gratifier d'une évolution si cruciale... Merci en tout cas pour l'éclaircissement...
RépondreSupprimerCher Tenancier, cela va être fait, mais j'ai avant cela quelques urgentes occupations destinées à faire bouillir la marmite à terminer. En résumé, je suis passablement en retard sur mon travail. Et bien que cela me navre de privilégier ces aspects bassement matériels aux si passionnantes intrigues de notre Mystérieux Expéditeur, il faut avouer que ce sont les premiers qui me font vivre...
Mais d'ici la fin de semaine, vous aurez reçu cette contribution, promis juré...
Otto Naumme
Je me demande si le bouquiniste visé dans le premier commentaire ne serait pas sis vers le métro Jourdain…
RépondreSupprimerMerci pour ce billet, Tenancier, à la lecture duquel il m'apparaît que contrairement au critique, le bon libraire est celui qui sait satisfaire autrui quoi qu'il lui en coûte, c'est-à-dire : qui sait conseiller judicieusement à son client des ouvrages que lui-même ne prise pas, mais pas n'importe quoi. Un bon libraire qui n'a aucune prédilection pour la pêche ou l'aviation (ou que sais-je) saura conseiller les ouvrages qu'il faut au novice qui commence à se passionner pour ces matières. Et aussi conseiller ceux qui en tiennent pour Mary Higgins Clark ou Harlan Coben, car même chez les mauvais il y a du pire. Pas facile, à vrai dire…
... et ce même libraire souffrira en silence de l'inanité de certains livres. En revanche il peut fort bien s'abstenir de les avoir dans son bouclard. C'est un choix assumé. Pas par tout le monde.
RépondreSupprimerEt le lecteur dans tout ça , il fait quoi ? Il relit en boucle le même livre pour être bien certain de ne pas se tromper..?
RépondreSupprimerCher Anonyme, pouvez-vous nous expliquer le raisonnement qui vous amène à cette conclusion, j'avoue ne pas bien le comprendre...
RépondreSupprimerOtto Naumme
La relecture a du bon, cela permet de revisiter ce que nous fûmes (et accessoirement ce qu'on a pu fumer à ce moment).
RépondreSupprimer...
Je réponds pour la dernière fois à un Anonyme. S'il veut à l'avenir que j'entame la conversation, qu'il prenne la peine de prendre au moins un pseudo, comme :
"Çivabouchnou",
"Jacques Chirac",
"Jules Ladoumègue",
ou "Un Tyrosémiophiliste du Doubs"
Qu'on se le dise !
D'ailleurs le Tenancier va le préciser dans son avertissement.