Alfred Mame

Phil, très honorable lecteur de ce blog, se posait dernièrement quelques questions sur l’éditeur Mame, dans notre conversation sur les keepsakes. En cherchant un peu dans mes archives, je suis tombé sur l’article ci-dessous. Certes, il omet quelques considérations propres au recul et à l’historien spécialisé. Mais, en l’état, c’est un intéressant témoignage sur l’un des grands éditeurs et imprimeurs français à l’époque où cette activité se séparait du métier de la librairie, devenait une activité industrielle à part entière et ou la notion d’éditeur se raffermissait jusqu’à faire de celui-ci l’un des démiurges de la vie littéraire. Certes ce n'est pas le cas d'Alfred Mame pour cet aspect, du moins. Il reste que cette maison fut l'une des plus importantes du XIXe et d'une partie du XXe siècle. Cet article inaugure, accessoirement une nouvelle rubrique consacrée à l'histoire du livre.
Mame (Alfred-Henri-Armand), imprimeur français, né à Tours, le 17 août 1811, dirige dans cette ville une maison considérable d’imprimerie et de librairie fondée par son père au commencement de ce siècle, et bornée pendant longtemps à la clientèle locale et à l’impression de quelques livres de droit et de liturgie, la plupart même pour le compte des éditeurs de Paris. En 1833, l’établissement passa aux mains de MM. Alfred et Ernest Mame. Celui-ci, neveu et gendre du fondateur, est depuis 1851 maire de Tours. Les deux beaux-frères l’exploitèrent en commun jusqu’en 1845, et lui donnèrent ensemble une extension considérable. Mais c’est surtout depuis que M. Alfred Mame est resté seul à la tête des affaires qu’il a déployé l’esprit d’initiative et l’aptitude industrielle grâce auxquelles sa librairie a pris les plus grandes proportions.
La maison Mame représente aujourd’hui une vaste usine, où s’exécutent à la fois les fonctions, ordinairement divisées, de l’éditeur, de l’imprimeur, du libraire et du relieur, avec tous les travaux accessoires que les professions appellent ; ou la matière première des livres entre sous la forme de manuscrits, de papiers en rames, de ce caractères, de cartons et de peaux, pour en sortir en volumes préparés pour toutes les nécessités de la consommation. L’imprimerie, exclusivement affectée aux besoins de la librairie, est pourvue de vingt mécaniques à imprimer, à glacer, à couper ou à monter le papier, toutes mues par la vapeur, et produisant jusqu’à 15 000 volumes par jours. Les ateliers consacrés à la reliure, plus vastes encore, sont garnis de machines et d’instruments nouveaux destinés à apporter, dans les opérations de toute nature qui s’y rattachent, avec la célérité et l’économie, une régularité et une précision parfaite. Sans parler des milliers de cartonnages frappés, tout d’une pièce, avec plus d’éclat que de goût, on y confectionne depuis la plus modeste couverture en basane jusqu’aux plus riches reliures en chagrin et en velours, avec ciselures sur les tranches. Chaque jour ouvrable, il sort de la maison 3 ou 4000 kilogrammes de livres brochés ou reliés, formant un total de 1 000 000 à 1 200 000 kilogrammes par an. Des galeries, qui peuvent contenir 2 000 000 de volumes, sont comme les réservoirs qui alimentent régulièrement cet écoulement considérable. L’établissement occupe directement 700 ouvriers ou employés dans son enceinte, et 4 à 500 au dehors. Il règne partout, au milieu de ces centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, un ordre, une propreté, un silence, que la grandeur des ateliers fait surtout ressortir. M. Alfred Mame, comme beaucoup de chefs des grands ateliers en France, a encouragé parmi ses ouvriers toutes les sociétés de secours et de prévoyance ;
Le fonds de la maison Mame se compose particulièrement de livres de liturgie et de dévotion, et de petits ouvrages d’éducation religieuse, publiés sous les auspices de l’archevêque de Tours, et sévèrement expurgés par une commission d’ecclésiastiques ; elle y a ajouté quelques éditions d’auteurs classiques et des publications élémentaires d’histoire et de science, soumises également au contrôle de l’autorité religieuse. Dans cette spécialité, la maison Mame est parvenue à atteindre, avec une haute puissance de production, les dernières limites du bon marché. On a cité ses petits Paroissiens qui, reliés tout en peau et dorés sur tranche, arrivaient entre les mains de l’acheteur, le bénéfice des intermédiaires prélevés, au prix de 35 centimes ; mais, pour se faire une idée exacte de cette fabrication et de cette vente à bas prix, il ne faut pas seulement songer aux économies résultant de la production sur une si grande échelle, de la concentration en un même établissement d’industries distinctes, et de toutes les conditions habilement combinées pour obtenir avantageusement les matières premières, le combustible ou la main d’œuvre, il faut surtout comprendre que l’on a réduit, et souvent même supprimé, les charges et les risques ordinaires du libraire ; ici, peu ou point de droits d’auteur et de propriété littéraire, aucune grande collection de sciences, d’art ou de littérature ; point d’œuvres importantes suscitées, acceptées ou soutenues ; aucune solidarité entre l’industrie et la pensée ; mais une multitude de livres, tombés, depuis des siècles, dans le domaine public, ou d’opuscules nouveaux, sans valeur sérieuse, et dont le placement par milliers, quelle qu’en soit la médiocrité, est assuré d’avance, dans tout le monde catholique, par le patronage dont on accepte sans réserve les conditions et la censure.
La maison Mame, qui fabrique des opuscules à cinq centimes, a voulu se présenter à l’Exposition universelle de 1855, avec un monument de typographie artistique. Grâce au concours de dessinateurs et de graveurs qui ne travaillaient pas ordinairement pour elle, elle a exécuté un de nos plus beaux livres, la Touraine. Ce splendide in-folio, avec ses illustrations et ses vignettes de MM. Français, K. Girardet et Catenacci, avec le luxe du papier et la richesse de la reliure, n’a laissé à désirer qu’une plus grande valeur littéraire. M. Mame, qui avait déjà obtenu, en 1849, une médaille d’or et la décoration ; à l’Exposition universelle de Londres (1851), un médaille de prix (price-medal), obtint à ce derniers concours, une grande médaille d’honneur.

G. Vapereau : Dictionnaire universel des contemporains - 1858

2 commentaires:

  1. Merci Tenacier pour l'historique détaillé de cette maison "considérable". On croirait lire la biogrpahie des Michelin, version imprimerie. Le ministre Donnedieu de Vabres n'avait qu'à se faire imprimeur pour gagner les élections à Tours.
    En effet, je croise ce "Mame" avec l'évêque de Tours sur de nombreuses couvertures, souvent des livres de prix attribués aux bons élèves des écoles. Je m'étonne que la famille "Mame" n'ait pas eu la tentation d'écrire, tout simplement. Car à la même époque, son épopée industrielle me rappelle celle de Chaix (Napoléon !) qui commença par imprimer des horaires de train pour finir dans les guides de tourisme et surtout par posséder une grande imprimerie.
    En tout cas, ce Mame a tout l'étoffe d'un personnage de Balzac...qui n'a pas dû se le laisser dire.
    Ceci dit, on aimerait connaître l'histoire de Mame-grand-père, le tout premier. Mais ça...c'est pour les limbes des archives..

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  2. Mame grand-père appartient à une autre époque de l'imprimerie et de l'édition. Même si l'on en retrouve pas ici les archives, d'autres suffiront à raconter, sans doute, le travail et les conditions d'existence à cette époque...

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