Lignes de pied

Lignes de pied : la ligne qui se trouve au bas de la première page de chaque feuille d'impression qui forme un cahier, et sur laquelle est placée la signature, quelque fois le titre de l'ouvrage, avec la désignation du tome, se nomme ligne de pied.

Vocabulaire des mots techniques employés dans l'art du relieur
in : Lenormand & Maigne : Le Relieur
Encyclopédie Roret - 1932

Deuxième partie plutôt béhavioriste sur le brochage à la chinoise, afin d'en défendre toute intention intégriste ou à visée délatoire (on fait ce qu'on peut)

Petite note préalable : Ce billet parle des ouvrages édités pratiquement sur le coin de la table et concerne moins la production industrielle qui a recours à des techniques et des moyens parfois différents. Cela n’ôte pas grand chose à quelques notions évoquées ici et là.
On l’a entraperçu dans le précédent billet, il est nécessaire de disposer les pages d’un livre dans un ordre précis sur une feuille pour qu’on en retrouve la succession logique une fois la dite feuille repliée un certain nombre de fois. Notons que cette disposition change selon la quantité de plis que l’on veut effectuer. L’opération demande de la précision et, pour la mise en page avec les logiciels professionnels (autrement dit, la PAO, avec des logiciels comme InDesign ou Xpress) cette opération n’y figure pas et fait l’objet d’outils annexes souvent destinés aux imprimeurs. On peut tout de même citer un machin comme Creo Preps pour se charger de vous faire la chose les doigts dans le nez, mais c'est cher. Brèfle, si la manipulation est relativement simple, ces logiciels ne sont pas aussi répandus que certains outils bureautiques courants et l’un des seuls logiciels gratuits de PAO (Publication Assistée par Ordinateur) ne semble pas non plus avoir intégré cette fonction (il s’agit de Scribus). Il est donc délicat si l’on a peu de moyens de contourner le problème de l’imposition surtout si cela met en œuvre plusieurs cahiers.
On peut cependant envisager une autre solution qui consiste à imprimer les pages une à une à l’aide d’une bête imprimante de bureau, par exemple. Mais on peut choisir aussi des outils plus professionnels encore, nous ne sommes pas si sectaires, contrairement à ce que l'on pourrait croire (j'entends dans l'oreillette, d'ailleurs, que Le Tenancier, s'en balance un peu). Ainsi, il s’agirait ici d’imprimer chaque feuillet recto verso dans leur suite logique et de les assembler. Ces pages ne peuvent être brochées comme les ouvrages que nous rencontrons tous les jours. Nous en venons alors à considérer que le brochage « à la chinoise » est la meilleure réponse à un éditeur qui ne voudrait pas s’embarrasser d’imposer les pages de ses livres et qui pourrait même se dispenser d’un outil avancé de PAO au profit d’un traitement de texte basique. Le résultat ne serait certes pas magnifique sur le plan de la mise en page, mais tout dépend bien évidemment de ce que cet éditeur veut publier.
Mais revenons à l’ouvrage de Bertrand Redonnet, évoqué lors de nos précédents billets. L’examen des tranches supérieures et inférieures de l’ouvrage indique clairement que ces feuillets ne forment pas un cahier mais une simple succession de pages insérées dans une couverture et cousues longitudinalement. Cette solution est plutôt élégante et donne un aspect un peu exotique à l’ouvrage. Le principal défaut de ce type de livre consiste dans le fait que le dos (ici épais d’un centimètre et demi) empêche le lecteur de le lire confortablement d’une main (ce qui interdit incidemment la publication de curiosa), défaut bénin lorsqu’il s’agit d’un court récit mais qui devient fatiguant pour qui a des habitudes de lecture différentes. On imagine bien que ce procédé de brochage, même si la couture paraît plus compliquée, apparaît comme plus solide qu’une simple succession de fils cousus dans le pli du livre. Cette redondance de coutures est du reste assez inutile pour des papiers épais et est adapté à un autre type de matériaux. Mais nous anticipons notre prochain billet. Gardons à l’esprit que ce brochage-là, n’est pas forcément représentatif d’un brochage « à la chinoise » mais qu’il en est plutôt l’interprétation, sans doute à des fins économiques (du moins, on le subodore).


L'ouvrage de Bertrand Redonnet. On remarque la couture sur le côté et les quatre points de fixation des feuillets. Le procédé n'est pas très discret mais a son charme.


Plus de répartition des pages sur une feuille, bien qu'en réalité on ait pu le faire mais sans se soucier d'un arrangement en fonction d'un pliage éventuel.
Voici, comme on vous l'avait montré précédemment (parce que je ne vais pas dépiauter le livre pour vos beaux yeux, ou alors vous rêvez), la succession des pages. Page 1...


... et son verso, page 2, la page 3 n'est donc plus solidaire des précédentes.


Et zou, le verso, la page 4.


Vue par la tranche de l'agencement de ces feuillets, ce qui indique clairement qu'ils ne constituent pas des cahiers mais bien une succession, comme on vous le montre plus haut...

Il va de soi qu'il est difficile de destiner ces ouvrages à la reliure. Toutefois des ais recouverts toile ou d'autre matières peuvent être envisagés. On en cause la prochaine fois.

p.s. : Vous fatiguez pas, je sais bien que "délatoire" n'est pas au dictionnaire

Lavrons

Lavrons : Plis des feuilles qui ne se trouvent pas rognées.

Vocabulaire des mots techniques employés dans l'art du relieur
in : Lenormand & Maigne : Le Relieur
Encyclopédie Roret - 1932

Une historiette de Béatrice XLXVIII

« — Bonjour, je voudrais vendre ce livre, j'ai regardé sur internet il est à 45 euros alors je vous le laisse à 40. »

Justification

Justification : On désigne par ce mot la longueur des lignes, et de la grandeur des pages prises et arrêtées selon le format.

Vocabulaire des mots techniques employés dans l'art du relieur
in : Lenormand & Maigne : Le Relieur
Encyclopédie Roret - 1932

A propos des brochures à la chinoise, toussa...
— Première partie qui sera peut être suivie d'une deuxième si votre Tenancier est bien luné.


L’autre jour, à propos d’une petite notule sur un texte de Bertrand Redonnet, j’avais évoqué la mise en page de l’ouvrage en évoquant le fait que ce type de brochure « à la chinoise » épargnait d’imposer la page, envoyant accessoirement le lecteur qui n’y connaît que pouic (c’est à dire presque autant que le Tenancier, mais il fait des efforts, lui...) de chercher l'endroit dans notre blogue où cela avait déjà été évoqué. Comme il sait que son public est composé d’une majeure partie de feignasses quand ce ne sont pas des adeptes de la vermotisation ou de l’assaut verbal un peu euh.. outré (n’est-ce pas, Bertrand ?), votre Tenancier a pensé qu’il pourrait peut être éclairer la lanterne de certains à peu de frais. Éclairer la lanterne de loin, c’est comme soulager la vessie de la même distance, c’est spectaculaire et les deux concepts copulent d’ailleurs depuis un bail. Alors, qui sommes-nous pour négliger la douce publicité d’un Barnum pédagogique et sans doute un peu aquatique, mmhhh ? Sortons nos parapluies et faisons dans la nuance, cela vous changera.

Pour expliquer un peu comment fonctionne une brochure à la chinoise, il faut revenir à la conception habituelle de celles que l’on rencontre communément dans notre coin. La plupart de nos brochures sont imposées. Cela signifie qu’on a imprimé plusieurs pages sur une même feuille et qu’on a disposé celles-ci de telle manière qu’une fois la feuille repliée, les pages se suivent dans leur ordre logique. Pour illustrer la chose, rien de plus simple, il nous suffit de nous emparer d’une feuille A4 et de lui faire subir quelques manipulations.

(Cliquez sur les photos si vous êtes miro)

Inscrivons les chiffres reproduits sur les deux clichés ci-contre sur une feuille recto verso.
(Recto)
(Verso)
Les flèches en dessous indiquent le sens du texte, rabattons la feuille de manière à ce qu’apparaissent ces deux numéros. Sachez que, par cette manipulation, vous avez transformé un in-plano en in-folio, ce n’est déjà pas si mal. (Bon, d'accord, c'est pas dans le bon sens pour un in-folio et gnagnagna...)
Repliez encore le bousin pour ne plus voir que le chiffre 1, la pliure se trouvant au côté gauche.
Voilà, vous avez conçu un cahier in-4° dont toutes les pages se suivent. pour le vérifier, il suffit de couper la partie supérieure de votre cahier avec un coupe-papier et de vérifier la succession des pages.
Voici la succession des pages
(Suite)
(Suite)
(Suite)
(Suite)

L’imposition est donc le procédé qui consiste à placer ces pages. Désormais, les imprimeurs les manipulent sous forme de fichier PDF grâce à des logiciels dédiés à cette tâche. Elle peut se faire automatiquement dès lors qu’on a rentré quelques paramètres, comme leur nombre par feuille, le décalage éventuel de ces pages dû à leur quantité assemblée dans ce cahier, etc. L’avantage de rassembler plusieurs pages sur une gigantesque feuille est évident : il permet d’imprimer plus de textes plus rapidement que le recours à l’impression de petits formats à brocher immédiatement. On va voir que pour les petites quantités et les impressions artisanales, cette imposition n’est pas nécessaire. Nous y reviendrons. Pour l’instant, il faut maintenir ces feuillets ensemble. Ces cahiers sont donc cousus ou agrafés  dans leur pli. Pour vérifier, pas besoin de vous faire une photo, il vous suffit de regarder dans votre bibliothèque.


La suite plus tard... si le Tenancier est de bonne humeur.

De l'impossibilité de faire mentir son reflet - VI


Le choix de Pop9, dont le nom m’avait été opportunément soufflé par ArD, comme ultime destinataire, s’imposait. Intervenant ponctuel sur le blog, il n’avait guère participé au Mystère de l’Abeille et n’avait pas pris parti jusqu’ici aux récents rebondissements. Mais, lors du lancement du « jeu des petits colis », il s’était inscrit comme participant et, donc, destinataire volontaire. Tous les autres (ArD, George, Le Tenancier, Otto), ayant reçu le leur, il me paraissait judicieux d’adresser ma dernière offrande à celui qui ne pouvait leur être concrètement attaché que par ce lien du « jeu des petits colis ». Je soignais donc particulièrement cet envoi. Le livre d’André Hardellet, Le Seuil du Jardin, est un grand livre et cette seule qualité justifiait que j’en fisse cadeau. Un passage, toutefois, devait être retenu, participant du fil rouge et miroitant de cette narcissique affaire ; la Tour Saint-Jacques, servant de marque-page, servait d’indicateur. La carte se trouvait entre la fin du chapitre XII et le début du chapitre XIII, moment crucial où le peintre Masson expérimente la machine de Swaine (« Regardez le reflet des disques dans le miroir, le plus loin possible… ») et revit un souvenir d’enfance, éprouvant un dédoublement psychique et corporel :

« Le temps, ainsi que Swaine l’avait dit, subissait une mystérieuse réfraction qui faisait coïncider au même point deux époques distinctes, celle de l’enfant et celle de l’adulte. Le peintre éprouvait en lui une confuse dualité : un moi abandonné, quelque part sur les rives du sommeil et l’être qui regardait maintenant les choses de ses yeux émerveillés. »
Faut-il relever combien le texte d’Hardellet s’inscrit dans les préoccupations surréalistes ? Breton admirait le roman. La Tour Saint-Jacques, bien sûr, se dressait ici comme haut lieu du surréalisme et de la mythologie personnelle de son fondateur. Mais, le texte d’Hardellet valait aussi comme une mise en abyme de mon entreprise postale : chaque envoi composant un reflet mien dans le miroir, et dévoilant une part d’intime, une part d’enfance. Pop9, le seul peut-être, ne s’y trompa pas, écrivant : « une ultime découverte nous rend tout chose : cette photo de Champollion, elle comporte un petit trou en haut, au milieu. On parierait qu’elle fut un temps punaisée sur un des murs de l’antre du ME avant de nous être transmise. » Rimbaud, Prévert, la Tour Saint-Jacques m’avaient en effet suivi longtemps. A tant les regarder, les images ne s’imprègnent-elles pas de l’esprit du regardeur ?
J’en viens, à présent, à la carte Plonk & Replonk, qui me retint initialement pour sa légende : « Suisse mystérieuse », l’adjectif venant à point dans notre affaire. La phrase collée (« il s’appliquait sur les cuisses de grandes claques »), signalant un amusement passé, avait quelque chose d’ironique : on ne riait plus, ni le Tenancier, ni moi. Je dois avouer que les interventions un peu sèches et bougonnes du premier, qui ne cachait plus son agacement, m’avaient un peu refroidi : il avait depuis longtemps identifié un Mystérieux Expéditeur qui n’avait rien de Mystérieux – tous ou presque, d’ailleurs, l’avaient rejoint –, trouvait les envois trop rapprochés. La farce qu’il avait contribué à faire naître, et qu’il m’avait – involontairement – incité à poursuivre, n’avait, pour lui, que trop durer. Je sais qu’il traversait alors une période pas drôle et ne lui en veux pas. Je l’aime trop pour cela. Le petit « roman » composé de découpages empruntés à Non ! de Victor Margueritte et de Cavalier 6 [petit clin d’œil à Grégory qui, dans la carte précédente, est le n° 6, bien cavalièrement assis sur sa chaise], suivi de L’oublié de Pierre Benoît, devait servir de coup de théâtre, jouer la grande scène de révélation finale. Il s’agissait d’un « roman » en deux parties, la première rappelant le Mystère de l’Abeille :
« dans le pays d’Otto Le véritable château / Elle frappa sur un timbre Bizarre ! Bizarre ! / autour de leur chef « Une personnalité ! / – Ah, oui… Et un fichu caractère. – Dites un piqué ! » / entrée des Zaporogues / la Marseillaise / Wilhelm / Compagnons de la / mystérieuse équipée / Et tout le monde de rire à cette excellente / plaisanterie de prendre dans la bibliothèque, à gau- / che, sur le troisième rayon, ce petit volume / – Ils sont de mèche, vous voyez ! / Le rideau se leva »
Les références sont transparentes : Otto, première et longtemps seule victime d’ArD, experte ès-timbres, qui gratifia sa proie de « petits volumes » issus du « troisième rayon » de la petite édition, avec la complicité de notre chef à tous, le Tenancier ; les Zaporogues : la Marseillaise, ArD (le « petit colis » de Pop9 fut posté de Marseille par ArD), Wilhelm, George, et tous les commentateurs fidèles du Mystère de l’Abeille qui s’amusèrent de cette « excellente plaisanterie ». La dernière réplique : « Ils sont de mèche, vous voyez ! » renvoyant à sa résolution et à la révélation de la complicité du Tenancier. Le pronom personnel sujet peut toutefois aussi bien renvoyer aux deux protagonistes augmentés de leur victime et des limiers zaporogues : le Mystère de l’Abeille fut une création collective. Le Mystère(bis) ne le fut pas moins. Sauf que l’expéditeur, cette fois-ci, ne l’avait pas voulu. Si Mystère il y eut, ce fut, malgré moi, et par le seul désir des destinataires et commentateurs. Ainsi, doit-on comprendre la deuxième partie du petit « roman-collage » :
« Ivan Ivanovitch (le prénom de notre Tenancier n’est-il pas suffisamment répété dans ce patronyme russe ?) / – C’est étrange, murmura-t-il / Quelle bonne surprise ! Il était de retour (rappel de la réaction dudit Tenancier à la réception de son « petit colis », soupçonnant le retour du Mystère) / NON ! (peut-on être plus clair ?) / – Alors c’est moi (Qui parle ? Le Tenancier, revendiquant après-coup sa responsabilité dans la création du nouveau Mystère ? Ou l’expéditeur, se souvenant d’une phrase récurrente du Mystère de l’Abeille : « Ce n’est pas moi ! » écrite, plusieurs fois, me semble-t-il par ArD et le Tenancier, en commentaire, et lançant un aveu sous forme d’antiphrase : Alors ce n’est pas moi ?) / quel piège que ce mot !... (« moi », mot-piège, nécessairement, puisque « je est un autre) / « Taisez-vous, Lovelace !... » (je m’amusais ici à faire apparaître un nom qui désigne tout à la fois le séducteur libertin de Clarisse Harlowe, un poète anglais du XVIIe siècle, et une star du porno – le mélange des genres étant de circonstance) / Je dois ouvrir ici une parenthèse / tu as entre les mains le secret (le Je désigne naturellement l’expéditeur, le tu, le destinataire, Pop9, qui, en se souvenant qu’ il avait communiqué son adresse après son adhésion au « jeu des petits colis », pouvait comprendre pourquoi il entrait subitement dans la danse) / Tout cela c’est du rafistolage (le Mystère n’existe pas : toute cette affaire est un bricolage de fortune) / FIN / – Fous le camp, maintenant. Je t’ai assez vue. (Là encore, c’est aussi bien le Tenancier que moi qui prenons la parole pour congédier cette « plaisanterie » dont plus personne ne rit).
Évidemment, comme l’identité du coupable ne faisait plus aucun doute, on ne chercha pas à creuser plus profond, et ce dernier « petit colis » – contrairement à ce que j’espérais – ne révéla rien de nouveau. Une explication s’imposait donc. Pour bien faire, il aurait fallu reprendre tous les billets, mes échanges avec ArD, et gloser certains commentaires qui sont de petites merveilles de drôlerie et d’intelligence, mais la longueur de ce texte s’en serait trouvée triplée… Il ressort de cette comédie, poussée un peu trop loin, comme un sentiment d’inachevé et d’échec, et cet aveu définitif : j’ai joué livres sur table et ne suis pas un Mystérieux Expéditeur.

SPiRitus
(Carte Plonk & Replonk

Comme on avait prévenu
l'histoire des envois mystérieux
s'arrête avec ce dernier billet. On espère
ne pas avoir ennuyé le lecteur de
passage avec ces drôles
d'histoires. Ici
 s'achèvent
les
mystères
...

Le Diable est dans le détail...

 


Il y a quelques temps, je m’étais en quelque sorte engagé à parler du disque qu’avait sorti Bertrand Redonnet dont vous trouverez les références sur son blog. Hélas, il s’est vite avéré que, si je ne détestais point son opus, je me trouvais incapable d’en dire quoi que ce soit. Cela arrive. On ne peut être féru en tout. Je ne le suis pas pour la chanson française et, du reste je serais bien incapable de chroniquer quoi que ce soit en matière musicale, étant capable tout au plus de manifester le contentement de mes trompes d’Eustache par quelques onomatopées ou à la rigueur de monosyllabes (quand il s’agit de jazz, par exemple). J’avais donc fait un drôle de choix. Il me fallait quand même dire quelque chose, mais la crainte de ne pas rendre justice à notre petit camarade me faisait reculer sans cesse cette opération douloureuse pour mes facultés. C’est ainsi que la première chronique musicale de Feuilles d’automne se trouva reportée aux calandres de Theologlou (qui est une marque d’automobiles grecques, comme chacun sait, uh uh uh...)
La chance de me rattraper se présente enfin sous la forme d’une nouvelle publication du même Redonnet. Entendons-nous, lorsque j’évoque une « nouvelle publication », il s’agit plus exactement de la parution d’un texte sous forme de livre. Car ce récit fut déjà soumis au public de son blog sous le titre de Guste Bertin
Le titre en est désormais Le Diable et le berger, nouvelle se déroulant dans une contrée sourde et violente et qui contrevient allègrement aux mièvreries campagnardes appointées par les grandes maisons d’édition. Le pastoral y est rude. Guste, s’il est un personnage intéressant pour les idées qu’il véhicule, se révèle comme un salopard de la plus belle eau, donc digne de notre intérêt.
Que faut-il ajouter sans trop en dire ? Arrêtons-là. Recommandons.
 Cependant, faisons part de notre mécontentement. Je veux bien qu’un petit éditeur cherche des solutions pour produire des ouvrages au moindre coût et sous la forme la plus élégante possible. Le choix d’un brochage à la chinoise se discute pour ce qui concerne la manipulation lors de la lecture mais il permet de se dispenser du recours à l’imposition (Procédé que nous avons déjà évoqué ici, cherchez un peu que diable !). Nous sommes ici pour l’artisanat et même la modestie des mœurs pourvu qu’elles soient honnêtes, et que cela ne s’applique pas à nous. Non, ce qui met en pétard votre Tenancier chéri c’est que l’imprimeur n’ait pas pensé à payer des lunettes neuves à celui qui collait la vignette sur la couverture. Parce que je l’ai un peu saumâtre de me payer un bouquin plaisant saboté par un collage à la con. Alors, soyez sympa, le Petit Véhicule (c’est l’éditeur), faites un peu suer votre imprimeur pour qu’il vous rende un boulot correct, à l'avenir.
Merci.
 


Bertrand Redonnet
Le Diable et le berger
Éditions du Petit Véhicule, 2014
15 €
Et n'hésitez pas à réclamer un exemplaire avec un vignette collée droit, nom de dieu...

Jasper, Jaspure

Jasper, Jaspure : Jasper, c'est peindre la tranche ou la couverture d'un livre en couleur de jaspe. La jaspure est le nom de ce genre de peinture.

Vocabulaire des mots techniques employés dans l'art du relieur
in : Lenormand & Maigne : Le Relieur
Encyclopédie Roret - 1932

De l'impossibilité de faire mentir son reflet - V


Puis ce fut le tour de Mouton à Lunettes. Je lui destinai Le Cercle des Pataphysiciens. Mouton à Lunettes et ArD étant proches, il fallait que l’envoi que j’adressai à la première rappelât l’envoi que j’avais adressé à la seconde. Je choisis donc un livre paru chez le même éditeur : Mille et une Nuits. J’y collai une planche de Got, éroticomique, avec une allusion à Mirbeau faisant le lien avec le petit colis du Tenancier. J’y joignis une carte postale ancienne à l’allusion un tantinet grivoise, au dos de laquelle j’écrivis un nouvel alexandrin : « Narcisse embrassant sa sœur : mais c’est un fantôme ! » Là encore, il s’agissait de redire la dualité et de s’amuser avec les faux-semblants. Ce qu’on croit ou veut croire, n’est pas nécessairement la réalité. Alors que dans le précédent envoi, je feignais d’indiquer une piste féminine, celle d’ArD par exemple, dans celui-ci, j’en désignais une autre, munie d’une « belle jambe ». Ce marque-page, dont Mouton à Lunettes ne put nous dire où il se trouvait dans le livre, marquait le chapitre consacré à Brisset. Au dos, cette inscription : « Le lit veut le rêve, l’y vêt heureux hère : le livre ère… » J’avais espéré que la référence à l’auteur de La Grammaire Logique aiderait les commentateurs à retrouver dans cette phrase sibylline les mots « Yves » et « libraire », mais Brisset vint trop tard dans les commentaires. Robert Pesquet, quant à lui, égara la réflexion. Lorsque je découpai son nom et son adresse dans La Vie Mystérieuse, hebdomadaire qui paraissait avant la première guerre mondiale, ce n’était alors qu’un libraire, dont l’histoire n’a retenu qu’un sinistre homonyme. Je ne gloserai pas davantage sur l’ouvrage lui-même, nombre de pataphysiciens historiques figurant dans ma bibliothèque. J’ajouterai simplement qu’il y avait, pour moi, dans ce jeu des « petits colis » comme une réminiscence des « livres pairs » du Docteur Faustroll.
Grégory méritait lui aussi son envoi. Pas plus que les précédents destinataires, il ne s’abusa sur l’identité de l’expéditeur. Tout m’accusait. Moi le premier. Mais peu importe, tant qu’on se tromperait sur mes intentions, je devais poursuivre mon plan. Détaillons un peu son petit colis. Le livre : Lettre historique & politique adressée à un magistrat sur le commerce de la librairie de Diderot, chez Allia. En quelque sorte annoncé par l’inscription de « la belle jambe », son thème le rattache à l’envoi reçu par Adria. Dans mon esprit, il désigne un libraire comme inventeur du Mystère(bis). Le marque-page phallique continue la référence érotique qu’on a déjà rencontrée, il pointe une proposition : « ce que nous désirons tous les deux ». Réapparition de la dualité. L’idée est peut-être de développer le soupçon d’une complicité, ce que suggère la carte postale Plonk & Replonk quelque peu arrangée : légendée par une nouvelle coupure issue de La Vie Mystérieuse (« Traité de Magnétisme, Hypnotisme et Suggestion »), on y lit aussi : « Société des hypnotiseurs » qui semble désigner le groupe, « J’ai de nouveau un secret » et « Mystérieuse ». La carte fait écho à la « société secrète de ceux qui tirent les ficelles » du Mystère de l’Abeille. Les protagonistes, d’ailleurs, sont à peu près tous là, numérotés et identifiés au dos. Je réserve une place particulière à Grégory en prévision de l’envoi suivant. Je m’identifie comme le seul membre du groupe tenant l’objet du délit : un livre. Une fois n’est pas coutume, l’inscription manuscrite semble ne pas être en vers. En réalité, il s’agit bien là encore de dodécasyllabes : « Pour qu’au terme de la quête, l’image en creux / réfléchie dans les beaux grimoires, se révèle, / les élus, empourprés de mystère, en conclave / assemblés, arderont le reflet du plus saint. » Je passerai sur le verbe « arderont » mis là pour attirer l’attention sur ArD, sur le « plus saint » dans lequel on a voulu voir Saint-Pol-Roux. En vérité, deux livres se cachent dans ce quatrain sans rime. Par sa connotation religieuse (« les élus empourprés de mystère » = les cardinaux ; « en conclave » ; le « plus saint » = le pape ; « arderont le reflet du plus saint » désignant les votes brûlés après chaque tour d’élection du pape), il annonce d’abord Le Concile d’Amour de Panizza que je destine à ArD et qui, le recevant, sera dispensée d’en parler. Il recèle surtout, un autre volume de la coll. « Libertés » de chez Pauvert. Pour le trouver, il suffisait de prendre les dernières syllabes de chaque vers et de les associer : Creux / vèle / Clave / saint, soit Crevel, Clavecin. Là encore, selon le principe qu’un livre peut en cacher un autre, fallait-il voir derrière La lettre sur le commerce de la librairie, le Clavecin de Diderot de René Crevel. Celui-ci, je me le destinais, mais je n’aurais pas le temps de me l’envoyer.
Le Tenancier, en effet, rapidement, s’était lassé. Cela ne l’amusait plus. Il fallait en finir. Un dernier « petit colis » se devait de tout révéler. Aurait dû tout révéler.

(A suivre...)

SPiRitus
(Carte Plonk & Replonk

Noël Noël !

Ce qui est bien avec nos amis nazis, c'est que la connerie éternelle est un bon guide de lecture. C'est presque Noël à tous les coups !


    « Comme base du déroulement symbolique de la mise au bûcher on utilisera la sélection fournie ci-dessous et le représentant des étudiants restera aussi proche que possible de sa formulation en composant son allocution. Étant donné que pour des raisons pratiques il ne sera pas toujours possible de brûler tous les livres, il conviendra de se limiter aux ouvrages donnés dans la sélection pour choisir ceux qui seront nommément jetés dans les flammes. Cela n'empêchera pas qu'un grand nombre d'ouvrages finisse sur le bûcher. Chaque organisateur a toute liberté de faire là-dessus comme bon lui semble. »
 
      « 1er récitant : Contre la guerre des classes et le matérialisme, pour la communauté nationale et un idéal de vie ! »
    « Je jette dans les flammes les écrits de Marx et de Kautsky. »
 
    « 2e récitant : Contre la décadence et la corruption morale, pour l'éducation et la tradition au sein de la famille et de l'état ! »
    « Je jette aux flammes les écrits de Heinrich Mann, Ernst Glaeser et Erich Kästner. »
 
    « 3e récitant : Contre les coups bas idéologiques et la trahison politique, pour le don de soi au peuple et à l'état !»
    « je donne aux flammes les écrits de Friedrich Wilhelm Foerster. »
 
    « 4e récitant : Contre la valorisation excessive de la vie pulsionnelle qui dégrade l'âme, pour la noblesse de l'âme humaine !»
    « Je jette aux flammes les écrits de Sigmund Freud. »
 
    « 5e récitant : Contre la falsification de notre histoire et la dévalorisation de ses grandes figures, pour le respect de notre passé, »
    « je jette aux flammes les écrits d'Emil Ludwig et de Werner Hegemann. »
 
    « 6e récitant : Contre le journalisme étranger au peuple et marqué par la judéo-démocratie, pour une participation consciente et responsables à l'œuvre de construction nationale ! »
    « je jette aux flammes les écrits de Theodor Wolff et Georg Bernhard. »
 
    « 7e récitant : Contre la trahison littéraire visant les combattants de la première guerre mondiale, pour l'éducation du peuple dans un esprit qui lui permette de prendre les armes pour sa défense »
    « Je jette aux flammes les écrits d'Erich Maria Remarque. »
 
    « 8e récitant : Contre la dénaturation barbare de la langue allemande, pour la protection du bien le plus précieux de notre peuple ! »
    «  Je jette aux flammes les écrits d'Alfred Kerr. »
 
    « 9e récitant : Contre l'impudence et l'affectation, pour le respect et la vénération de l'immortel esprit du peuple allemand ! »
    « Dévorez aussi, Ô flammes, les écrits de Tucholsky et de Ossietzky ! »
   
Source Wikipédia
Photographie de John Heartfield


Naturellement, votre Tenancier attend avec délice les listes de désherbage de bibliothèques des futures municipalités bas du Front. Ça promet. Ça va presque nous faire les étrennes, cette histoire.

Grattoir

Grattoir : C'est une espèce de ciseau armé de dents qui sert à gratter le dos pour faire entrer la colle dans les cahiers.

Vocabulaire des mots techniques employés dans l'art du relieur
in : Lenormand & Maigne : Le Relieur
Encyclopédie Roret - 1932

De l'impossibilité de faire mentir son reflet - IV


Otto reçut son « petit colis » plusieurs jours après le Tenancier et Adria. André Breton – que le premier destinataire avait superbement évoqué dans son billet – et Arcane 17 : le lien avec l’envoi 0 reçu par ArD était particulièrement serré. Il était trop tentant de réunir – ne serait-ce que dans mon esprit et dans celui d’ArD – la victime et l’instigatrice du Mystère de l’Abeille. C’était là aussi livrer une part de ma bibliothèque intime. « Oh désuet soupir que Narcisse enveloppe ! » N’était-ce pas me désigner dans le reflet que tenait Otto désormais dans ses mains ? Le livre de Breton figurait dans une de mes sélections de 10/18 publiées par le Tenancier. Et la carte éditée par les Âmes d’Atala ne pouvait guère brouiller les pistes. Otto m’identifia si vite qu’il douta (un peu) de ma culpabilité.

Ces trois envois-là n’eurent donc pas l’ambition de créer le Mystère. Mais, puisqu’il s’agissait de le relancer, puisque, me semblait-il, on le souhaitait, je fis en sorte, sans me détourner véritablement de mon projet initial, de compliquer les suivants.
George fut le premier destinataire de cette nouvelle série d’envois. Pourquoi le cacher ? J’étais assez content de moi. Le « petit colis » se voulait riche et complexe. Pour les fausses pistes, je me contentai de poster l’enveloppe d’Ariège et de coller un visage de femme découpé dans quelque gravure de mode fin XIXe sur celui du « bateleur », ficelle bien trop grossière pour que ce fin limier de George s’y laisse prendre. Je n’étais pas dupe de ma ruse : c’était là surtout l’occasion de rejouer sur la dualité, manière de signifier : « sous l’apparence du Mystère(bis), il y a le jeu des petits colis ». Y joindre un volume de l’Atelier in-8, l’éditeur de Séraphine la kimboiseuse, qui fut à l’origine du Mystère de l’Abeille, participait de cette dialectique du masque révélateur. L’action de la nouvelle, d’abord, se passant à Biarritz, dans les Pyrénées-Atlantiques, ne pouvait que me désigner géographiquement. La carte de Prévert voisina longtemps avec celle de Rimbaud sur mes murs : Prévert fut le premier poète que je lus véritablement, celui qui me fit entrer en poésie. J’y ajoutai, pour faire gamberger l’ami George, un peu de texte, une coupure du journal La Vie Mystérieuse (« D’une hypnotisée »), et une image extraite de l’Album de Documents Artistiques d’après nature, de parution plus ou moins régulière qui, sous prétexte d’art, donnait à voir des photos de nus parfois assez suggestives. Ces deux publications m’avaient servi il y a quelques années pour une série de collages. Bien évidemment, l’hypnotisme, l’hystérie, un certain érotisme ne sont pas sans rapport avec le surréalisme et mes goûts littéraires. Je gratifiai George non pas d’un mais de deux alexandrins : « IAN VS au Scrabble pose un ressemblant ‘goyave’ / – derrière une glace sans tain – combien rigide ! » L’analyse de George fut délicieuse : ses déductions qui le firent aboutir à Ian Geay sont formidables et dignes de cette paranoïa-critique que je n’ai cessé de vanter tout au long du Mystère de l’Abeille. Pourtant, je ne pensais plus alors au vaillant directeur des Âmes d’Atala lorsque je composai l’énigmatique distique. En séparant les deux premiers mots, j’avais surtout voulu masquer un trop évident IANVS latin, ou JANUS français, le dieu aux deux visages, nouvelle référence à cette dialectique dont je parlais plus haut. « Goyave » n’était autre que l’anagramme de « Voyage ». La « glace sans tain » jouait encore sur l’ambiguïté : celui qui s’y mire étant aussi celui qui est vu, en plus de rappeler le poème d’ouverture des Champs magnétiques. Le « Combien rigide ! », enfin, devait s’entendre en trois mots : « Combien rit Gide ! ». Mais que vient donc faire Dédé dans cette histoire, me direz-vous ? Qu’on se souvienne que l’auteure de la Venus Atlantica reçue par George se nomme Emmanuelle Urien et qu’on considère, dans cette affaire où un faux Mystère cache un vrai jeu, où un mot (goyave) doit se lire autrement (voyage), qu’un livre peut en cacher un autre, Venus Atlantica par exemple, Le Voyage d’Urien d’André Gide.


(A suivre...)

SPiRitus
(Carte Plonk & Replonk




Ce que reçut ArD