Les amateurs de vieux livres
— Les bibliophiles

Est-ce vous ? est-ce moi ? je ne sais ; mais toujours faut-il dire Heureux les bibliophiles ! dans un autre sens que la parole évangélique : Heureux les pauvres d’esprit ! Les bibliophiles trouvent du bonheur partout où l’on trouve des livres.
Le bibliophile n’a que faire des livres à soi, puisqu’il les aime pour eux-mêmes, avec dévouement, avec sympathie, avec calcul ; tout beau et bon livre a des droits infaillibles à son usage, à son admiration ; il les connaît par leurs qualités et par leurs défauts ; il ne se contente pas de les juger à l’extérieur, de faire sonner le papier sous ses doigts, de détailler les perfections de la reliure en connaisseur, d’examiner le titre, la date, en prenant un avis dans Brunet (sic), enfin d’ensevelir dans un coin ce diamant inutile ; non, il creuse jusqu’au fond d’un ouvrage, il en exprime le suc, il le loge dans sa mémoire plus volontiers que sur les rayons de sa bibliothèque.
Certes, il estime, il respecte ces bijoux typographiques, qui, quoique surpassés par les prodiges de l’imprimerie moderne, ne restent pas moins en honneur comme premiers essais de l’art de Faust ; il n’est pas de glace pour les gravures avant la lettre, pour les exemplaires en vélin, pour les éditions rares, pour les arabesques des anciennes reliures, pour les simples et nobles vêtements des nouvelles ; il ne foule pas aux pieds ces brimborions de prose et de vers aussi mauvais que mal imprimés, mais recommandés dans tous les catalogues : le bibliophile est indulgent aux faiblesses de ses semblables.
Mais s’extasier devant une faute d’impression qui distingue une édition d’une autre, crier merveille à la conservation de quelques passages supprimés dans la plupart des exemplaires, se désoler pour un piqûre de vers, une tache d’eau, un vice dans la pâte du papier, ce n’est pas affaire à un véritable bibliophile, qui ne fonde guère la gloire de sa bibliothèque sur l’ignorance d’un prote, sur l’imprévoyance d’un censeur royal ou sur l’heur d’un hasard extraordinaire.
Tout le monde peut être bibliomane, mais n’est pas bibliophile qui veut. En général, les bibliomanes le sont devenus par ennui, et sur le tard, lorsque l’âge a moissonné les passions qui ont leur racine dans le cœur et semé des goûts dans l’esprit le moins cultivé ; mais le bibliophile naît et grandit avec son amour des livres, amour fougueux et sage, éclairé et constant, insatiable et patient, amour varié et aussi nombreux que la bibliographie

Texte du Bibliophile Jacob
(A suivre)


Voir aussi :
Les amateurs de vieux livres
Les amateurs de vieux livres : les bouquinistes (1ere partie)
Les amateurs de vieux livres : les bouquinistes (2e partie)
Les amateurs de vieux livres : les bouquinistes (3e partie)
Les amateurs de vieux livres : les étalagistes
Les amateurs de vieux livres : les épiciers
Les amateurs de vieux livres : les bibliomanes

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