Les bibliothèques, comme la nature, ont horreur du vide.
Le Tenancier – qui est un sage – l’avait prédit :
ça débordera toujours !
J’avais bien quelque espoir, pourtant, lorsqu’il y a deux semaines, j’ai décidé de ranger ma bibliothèque, de lui donner tort. Lorsque je dis « ma bibliothèque », je veux parler de celle qui ceint les neuf petits mètres carrés de mon bureau et qui constitue le cœur de ma « collection ». Car, ma bibliothèque, il faut bien l’avouer, a depuis longtemps débordé mon espace personnel pour investir d’autres pièces de la maison. Ainsi, trouve-t-on dans le salon, des livres d’art, monographies et catalogues – plusieurs volumes, notamment, de « la septième face du dé », la collection surréalistographique de Filipacchi –, les imposants fac-similés de revues parus chez Jean-Michel Place (Documents, Nord-Sud, La Révolution surréaliste, Le Surréalisme au service de la Révolution, etc.) ; la chambre conjugale recèle quelques curiosa ; la chambre d’amis servant de dépôt aux manuels scolaires, à la littérature jeunesse, aux dictionnaires, aux classiques, accueille également les revues actuelles auxquelles je suis abonné ou que j’achète régulièrement, des livres de la petite voire de la micro-édition, la poésie en poche, et les 10/18.
Et mon bureau, alors ? Le bureau s’encombre pour mon plus grand plaisir de titres qu’il est possible de classer en trois ensembles : la littérature symboliste – largement ouverte puisque y figurent aussi bien Catulle Mendès que Jules Romains, Charles Vildrac, Jules Supervielle, etc. –, la littérature surréaliste, les petites revues. Avant d’entreprendre mon rangement estival, ma bibliothèque respectait déjà cette répartition que j’ai, dans la mesure du possible, conservée. Le premier mode de classement adopté répond donc à une bipartition historico-littéraire (symbolisme/surréalisme) et à une séparation selon le type de publication (livres/revues). Or, jusqu’ici j’avais choisi d’enrayonner mes livres d’après le seul ordre alphabétique, ce qui, à l’usage et à l’usure, avait fini par ne plus me satisfaire. D’autant que l’équation : 1500 bouquins et 800 revues (comptabilité parfaitement approximative) pour 20,50 mètres de rayons m’oblige à pratiquer presque systématiquement le double rayonnage, au moins pour les livres, rendant l’accès de la moitié d’entre eux bien difficile.
Il s’agissait donc de trouver un nouveau classement qui permît de faciliter la recherche et la consultation de tous les bouquins, malgré l’obligatoire double-rayonnage. Après avoir longuement observé les piles de bouquins jonchant le sol, comme de petites tours de Babel qu’un faux mouvement du deus ex biblioteca aurait suffi à effondrer, je décidai d’appliquer la méthode suivante, qui n’a rien de très originale : je conservai d’abord la bipartition générale symbolisme/surréalisme ; dans la bibliothèque surréaliste, je dédiai un rayon aux livres consacrés à André Breton, un autre à quelques collections (« Le désordre » de chez Losfeld ; la petite « collection S », des éditions Maintenant). Je pris soin ensuite de séparer les études, et autres ouvrages de documentation, des œuvres surréalistes proprement dites. Ce système fut également appliqué à la bibliothèque symboliste, plus fournie. Les œuvres d’abord, de Paul Adam à Willy ; puis, la documentation minutieusement classée comme suit : 1. les anthologies ; 2. les monographies et biographies ; 3. les études sur le symbolisme ; 4. les volumes de souvenirs ; 5. les recueils d’articles de critiques contemporains ; 6. les bibliographies et ouvrages consacrés aux petites revues ; 7. les histoires de la poésie entre 1870 et 1940 ; 8. les enquêtes recueillies en volumes ; 9. les correspondances. Je réservai, en outre, un petit rayon à la collection « La Phalange » dirigée, chez Messein, par Jean Royère, collection que je m’amuse à compléter depuis quelques années. Naturellement, je consacrai un double rayonnage débordant à Remy de Gourmont, et deux rayons simples, isolés, – à tout seigneur tout honneur – à Saint-Pol-Roux. Je rangeai enfin les Pléiade, toujours utiles au chercheur, sur un niveau d’étagère.
Je parvins, de la sorte, à libérer un peu d’espace. Mais je ne m’étais pas encore attaqué au rangement des petites revues qui, depuis des mois, s’empilaient sur mes tables de travail ou à même le sol.
Pour cet ensemble-là, j’aurais pu privilégier un classement alphabétique ou chronologique rationnellement légitime. Mais, plus que les livres, les revues font apparaître une difficulté matérielle dont il faut tenir compte : la multiplicité des formats. Certaines ne dépassant pas la dizaine de centimètres de hauteur quand d’autres surpassent la trentaine. Difficile donc de faire entrer certains titres dans un classement alphabétique ou chronologique. Je choisis alors un classement par format, fort peu satisfaisant – car il me contraint, cherchant un titre, à me souvenir de son format – mais plus pratique. Bien évidemment, le classement par format se double, sur chacun des rayons, d’un classement alphabétique. Impossible, dans ces conditions, de doubler les rayons, et le lit des petites revues déborda sur le peu d’espace que six heures de travail avaient permis de libérer sur les étagères de livres. Comme quoi, ça débordera toujours !
SPiRitus
Gourmont, anthologies et monographies symbolistes
Saint-Pol-Roux
La Revue des idées s'invite dans la bibliothèque symboliste
Du côté des petites revues
Petites revues et grandes petites revues
Cela fait longtemps qu'on ne vous l'avait fait remarquer : SPiRitus est l'animateur de deux blogs forts intéressants :
—
Les féeries intérieures
—
Les petites revues
... qui éclaireront sans doute les néophytes sur la bibliothèque de notre ami..
Et où c'est qu'on dort ?
RépondreSupprimerAh mais.
Parce que l'anacladistique c'est pas ça qui est ça .
RépondreSupprimerMerci cher Tenancier de rappeler ces blogs fort intéressants. On pourrait croire que je les avais oubliés moi-même. Il n'en est rien. Je les laisse simplement reposer étant en ce moment trop occupé pour les nourrir comme ils le méritent. Mais je redeviendrai un père aimant bientôt. En attendant, je crois qu'on y pourra trouver un peu de lecture.
RépondreSupprimerSuis impressionné. C'est beau, en plus
RépondreSupprimerCher SpiRitus, eussiez-vous contacté FB qu'il vous aurait judicieusement aidé à classer tout ça sur une liseuse et qu'un tiroir vous aurait suffi (!)
Si par liseuse, cher Bertrand, vous entendez quelque assidue lectrice sur le corps de laquelle on tatouerait tous les livres de ma bibliothèque, je dirais à FB : "topez-là, mon vieux, je suis votre homme et souscris volontiers à votre pubis.net !"
RépondreSupprimerC'est presque du Bradbury, mon cher SPiRitus !
RépondreSupprimerJe ne l'entendais pas comme ça, mais,là, je le vois bien comme ça (!)
RépondreSupprimerN'empêche qu'on ne peut qu'envier votre bibli...
Faudra que je fasse un jour un inventaire - il sera plus maigre que le vôtre - de la mienne.
Elle occupe une pièce entière, c'est vrai, mais la moitié est en polonais...
Ça commence à bien faire.
RépondreSupprimerFB
Je trouve aussi !
RépondreSupprimerTrès très bien, même.
Cher SPiRitus, mon dictionnaire des structures du vocabulaire savant ne m'avance guère sur le sens que vous donnez à « anacladistique », hum ! Cela pourrait signifier que vous avez une bibliothèque qui remonte du bas vers le haut, ou une bibliothèque organisée en ordre inversé. On dirait l'organisation d'une liseuse (!)
RépondreSupprimerArD
Chère ArD, j'ai tenté un mot-valise, combinant anaclastique, adjectif qualifiant, en optique, le point où convergent des rayons réfléchis par une surface, où ils se croisent, brisant donc le joli ordonnancement parallèle ; et cladistique, qu'il n'est plus besoin ici de définir. L'anacladistique serait donc le moment où la volonté de rangement, de classement des livres en rayonnages proprets se brise : les rayonnages finissant par toujours, malgré leur parallélisme apparent, se croiser...
RépondreSupprimerEt voilà, nous savons maintenant que ce cher SPiRitus est le descendant du capitaine Kirk, il vient d'aller là où aucun humain n'est allé avant lui, aux frontières du possible et de l'infini, là où les rayons de bibliothèque se croisent.
RépondreSupprimerC'est émouvant.
Otto Naumme
Oui, mais quand les rayons se croisent, c'est mal...
RépondreSupprimer