Frichtre !

« L'éternuement de McLuhan n'a ébranlé aucune galaxie.
La composition « typographique » a régné sans partage pendant un demi-millénaire, la photocomposition n'aura pas même vécu un demi-siècle : quelles que soient les évolutions techniques à venir, la chaleur du plomb n'a pas fini d'irradier la langue écrite. Aujourd'hui, l'informatique bouleverse le monde des arts graphiques et multiplie les possibilités de la typographie. Naguère considérable, l'investissement nécessaire à la création d'un poste de composition est devenu dérisoire. C'est très réjouissant. Les machines sont un progrès, on l'a observé il n'y a pas si longtemps dans le domaine des transports, où le Code de la route n'est devenu une nécessité vitale qu'après la pose de moteurs sur les véhicules : quand tout le monde circule vite, il vaut mieux prendre des précautions. Quand tout le monde écrit, pas nécessairement ; mais quand tout le monde compose ? quand n'importe qui imprime ?


Depuis que la « typographie » est morte, les codes typographiques sont devenus indispensables. La publication assistée par ordinateur fait courir de graves dangers à la langue écrite, des dangers « à la mesure de la puissance des machines », comme disent quelques communicateurs. Les protes et les correcteurs étaient souvent tatillons, du moins connaissaient-ils leur langue ; aujourd'hui nous avons des paoïstes improvisés. Il suffit de feuilleter les publications, les brochures, les rapports annuels des entreprises pour constater que certains desk-topeurs ont constamment le pied au plancher, même dans les virages les plus serrés. Sans risque, sauf pour le français, fracassé, et le bon usage, à l'agonie. La chose imprimée bénéficiait jusqu'alors d'une autorité naturelle. Il serait bon pour la santé de la langue écrite que cet a priori favorable disparût ou, mieux, disparaisse au plus vite. L'industrie et le commerce ne font pas de quartier ; inutile d'évoquer la publicité, elle se charge de promouvoir ses petites audaces.»

J.-P. Lacroux, Orthotypographie, avant-propos, p. 51-52

Texte aimablement communiqué par ArD. On trouvera plus de renseignements sur l'auteur et sur l’œuvre ici.

1 commentaire:

  1. Lacroux était non seulement un étalon essentiel et un humoriste de premier ordre, mais même, irais-je jusqu'à dire, un poète, à sa façon.
    Cette illustration est splendide, j'ignore où vous l'avez dégottée, mais je pense qu'il aurait sursauté au vu de cette orthographe : "conséquenses"...

    J'ai vite compris que l'entreprise de Lacroux suivait le même modèle que le Vocabulaire technique et critique de la philosophie de Lalande, qui du coup m'est apparu comme une anticipation uchronique des possibilités qu'offre le Net...
    Mais bon, c'est mort, tout ça.

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