A propos des préoriginales

Il est une notion qui semble un peu floue pour le néophyte en matière de bibliophilie. Elle concerne les textes non exclusivement littéraires qui paraissent dans les périodiques. Ces textes, lorsqu’il s’agit de première publication en revue, ne constituent pas des éditions originales, cette appellation est réservée aux publications en volumes. Dans ce cas on utilise le terme de préoriginale. Longtemps, la bibliophilie, comme son nom l'indique, ne s’est attachée qu’aux livres et à leur recension. Ce n’est que relativement récemment que l’on s’est aperçu que ce type de publication pouvait receler un intérêt qui allait au-delà de l’intérêt bibliophilique, d’ailleurs, et empiétait largement sur l’histoire du livre et de la littérature. Au jour de ce raisonnement, il était naturel que cela arrive dans le domaine de la bibliophilie puisque celle-ci, bien comprise, s’intéresse également à tout ce qui constitue l’histoire d’un livre ou d’une édition et non à l’objet lui-même. On se réservera plus tard et ailleurs pour ces notions de bibliophilie. Contentons-nous arbitrairement de cela pour le moment, pour plus de commodité.
Mais en quoi une préoriginale pourrait avoir un intérêt ?
Il ne faut pas oublier que nombre de grands auteurs du XIXe siècle, jusqu’au-delà de l’entre-deux guerre, virent leurs textes publiés en revue avant même de paraître chez leurs éditeurs habituels. Cette pratique née avec le feuilleton sera un biais commode par lequel l’auteur pourra réviser son texte, constituant une première mouture sur laquelle se grefferont des variantes, joie intime de l’exégète et de l’universitaire – ce qui se rejoint souvent… Ainsi, par des moyens plus accessibles que les différents états d’un manuscrit, on peut contempler une étape de la création d’un texte. Les repentirs peuvent avoir du reste une signification extralittéraire, de temps à autre : tel nom de personnage change au passage en volume sous la menace de plainte d’un homonyme, tel chapitre disparaît ou apparaît au fur et à mesure des fluctuations politiques, etc. D’autres variantes sont signifiantes pour le bibliophile si cela le met en rapport avec les desiderata d’un éditeur ou une quelconque contrainte éditoriale. Et puis le fétichisme de certains amateurs envers leur idole allant jusqu’à la pochette d’allumettes, on se demande bien pourquoi les périodiques feraient exception à cette manie.
La préoriginale d’un texte se rapporte parfois à un autre phénomène éditorial propre à la période qui couvre le milieu du XIXe siècle : la contrefaçon. Pratiqué en Belgique bien souvent, le procédé consistait à recopier en volume le contenu de ces préoriginales, bien souvent dans un format inférieur et une qualité moindre que l’originale qui allait paraître parfois une semaine ou un mois après cette contrefaçon, de l’autre côté de la frontière, libre de droits d’auteurs, transportés en ballots jusqu’à Paris et vendu à des prix misérables. Ainsi, parfois, le même texte paraissait en trois versions différentes : la préoriginale, la contrefaçon et l’originale. Ainsi, on retiendra de tout cela que la première édition d’un texte n’est pas forcément l’édition originale. Signalons encore que la pratique de la contrefaçon fut en grande partie à l’origine de la création de la Société des Gens de Lettre auxquels plusieurs auteurs « contrefaits » participèrent activement : Balzac, Sue, etc. Un autre auteur abondamment pillé, Théophile Gautier, sut s’en amuser lors d’une de ses escales à Bruxelles, au cours de l’un de ses multiples périples.
Une pratique relativement récente est apparue autour de ces textes. Elle consiste à traquer des textes inédits en volumes d’auteurs anciens plus ou moins connus et à les publier en plaquettes luxueuses ou non. Ce genre de sport se fait souvent avec l’aide de certains libraires érudits ou des collectionneurs. Parfois même ces volumes sont le fait de ces dits libraires, collectionneurs ou/et érudits. Il y a parfois de bonnes surprises comme en témoigne les plaquettes sur l’Absinthe que nous vous présentons ici, de temps à autre. Mais alors, sont-ce des préoriginales ? Certes non puisque ce n’est pas une première édition en périodique.
Une contrefaçon ? Cela ne lèse pas trop l’auteur qui est bien souvent défunt.
Une originale. La chose est gênante puisque celle-ci n’a pas reçu l’aval de l’auteur.
Suggérons alors l’idée d’une originale posthume.
On le voit l’appréhension d’un texte pour un libraire ne va pas de soi et requiert parfois de longues explorations. Il faut savoir ainsi que ces textes publiés en périodiques étaient souvent repris ça et là ; il se peut même que ceux-ci contiennent des variantes par rapport à la première publication. Il arrive même que le circuit de distribution de ces parutions soit parfois bouleversé et que ce que nous tenions pour la véritable préoriginale n’était en définitive qu’une réédition d’un autre périodique qui ne publie ordinairement que des rééditions, justement.
Vous allez certainement nous considérer comme des masochistes… mais qu’est-ce qu’on aime ce genre de chose !

4 commentaires:

  1. Cher Tenancier,
    vous oubliez me semble-t-il les éditions originales en revue que constituent les tirages à part. Une petite subtilité supplémentaire du perverse libraire/collectionneur que je suis !
    Bien à vous.
    Christophe

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  2. Eh oui, tout à mon affaire, je l'avais oublié. Je prépare donc un post-scriptum.
    Merci Christophe !

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  3. En tout cas c'est passionnant de vous lire et on imagine le bonheur à remonter les pistes, croiser les sources.
    Tenir les trois versions différentes d'un même texte : la préoriginale, la contrefaçon et l’originale !

    C'est un plaisir aussi d'apprendre ce qui fut (en grande partie) à l'origine de la création de la SDGL et que certains auteurs surent s'amuser d'être pillés.

    Je ne sais pas ce qui fera le bonheur des bibliophiles du XXIIe siècle :)...

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  4. Une post originale en quelque sorte...

    ArD

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