Perdita

Le Tenancier est un reclus qui ne cherche pas tant la compagnie de ses semblables que la reconnaissance de sa jeune chatte qui ne cesse de lui faire des mines de fille, aguicheuse, tigrée et cruelle. Ainsi, il ne se contente désormais que d’errer dans les couloirs à la poursuite de cette ombre fugace et puis de se consacrer à la lecture de vieux machins, ceci le réconfortant, du reste, de la désillusion procurée par ce mépris félin. Les vieux romans… non qu’il se prenne souvent à lire Tirant Le Blanc, Lazare de Tormès, ou Guzman d’Alfarache, l’haleine riche et l’odeur rance de cette contention fiévreuse au fin fond d’un vieux fauteuil, rêvant de plat à barbe ou de contemplation mériméenne de baigneuses... Mais, à tout prendre, ces romans obsidionaux, mozarabes ou wisigothiques valent mieux que les masures autofictionnelles des marchands de yaourt contemporains. Le Tenancier déchoit-il de ne point frayer, comme feue l’époque où il devait le faire par devoir ? Certes non, ce devoir-là est enterré, et le Tenancier a bien pris soin de tasser la terre ! De même, la lecture de littérature confessionnelle se fait-elle avec une parcimonie qui frôle l’étique : point de folie dans l’exploration des arcanes du métier. Le Tenancier y perd sans doute de la connaissance mais y gagne des coudées franches pour ses vaticinations, ses erreurs et le plaisir, parfois, de se voir rectifié par un interlocuteur un tant soit peu attentif.
Tout de même, de temps en temps, le Tenancier a des remords. Vivre sur un acquis, c’est comme un occupant qui ne vivrait que des rapines tout en tuant les habitants. La faim et la stérilité guettent.
Alors le Tenancier bouquine des ouvrages sur l’histoire du livre, sur les techniques et toutes ces sortes de choses qui savent le distraire de son ennui.
Mais l’ennui ne saurait être traité comme une chose négative. On aime par ici cette sorte de langueur mélancolique qui se perd en volutes au-dessus de soi comme une sorte de dissociation paranoïaque. Ennui, errance, soudainement contrariés par l’impératif sentiment que le Tenancier manquerait vraiment de classe s’il ne rectifiait un tant soit peu la position, comme une sorte de rectitude morale, de culpabilité – et que cela peut être un sentiment délicieux ! Ainsi, le Tenancier transmute ses sentiments apparemment négatifs en productions errantes et quelque peu désordonnées. Il continue d’errer dans les couloirs, défait et point rasé, et, comme échoué au fin fond de l’hyperborée, sur un récif, attend soit un commentaire à son billet, soit la commande d’un client, soit la roulade de cette garce de Perdita qui ne veut point se laisser approcher comme on le voudrait, chatte jusqu’au bout des griffes.
Mais, là, quand cela arrive, quelle récompense…
Et le Tenancier, alors, peut retourner aux chimères contenues dans ces papiers jaunis.

2 commentaires:

  1. C'est un bonheur de vous lire Tenancier, l'été perd tout à coup de son étique (et squelettique :)
    J'aurais aimé écrire :
    "(...) Ce devoir-là est enterré, et (le Tenancier) a bien pris soin de tasser la terre !"

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  2. Oui, il est de tristes coïncidences.
    J'avais laissé passer ou oublié ce billet, mais là, une pensée pour Perdita, perdue à jamais.

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Ah oui, au fait... Le Tenancier ne répondra plus aux commentaires anonymes. Prenez au moins un pseudo.

Donc, pensez à signer vos commentaires, merci !

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