Continuons notre suite d'impressions sur les rencontres entre ceux qui hantent les librairies et ceux qui les tiennent. Ce texte de SPiRitus est curieux, il nous montre un personnage soudainement exigeant et presque sévère. Loin de me rebuter il aurait tendance à élever encore plus haut l'estime que je lui porte. Les néophytes de ce blog se reporteront avec plaisir et goût vers le lien à son nom au bas de ce billet.
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Disons-le tout de suite : je ne suis pas un « bon client » pour les libraires, du genre de ceux qui aiment les livres et la littérature en général, prêts à se laisser guider vers de nouvelles contrées romanesques, poétiques, scientifico-humanistes, documentaires, etc., par le gentil maître des lieux ou l’un de ses tout aussi affables acolytes. Je ne suis pas lecturophile et j’ai toujours considéré comme particulièrement suspectes les bonnes âmes dont les lippes, sonores, bavent cette insipide phrase – vulgaire comme un mauvais slogan – dès que le sujet de la lecture s’immisce dans la conversation : « J’aime lire, j’aime les livres », affirmation aussi bête, dans son absolu prétentieux, que sa négation : « je n’aime pas lire, je n’aime pas les livres ». J’aime lire des livres, je veux dire certains livres, et c’est bien assez. Aussi, je ne pousse jamais la porte d’une librairie sans savoir ce qui m’y mène. Soit que je recherche un titre en particulier, soit que j’espère tomber sur celui qui manque à ma bibliothèque bien qu’ignorant, au moment de pénétrer dans les lieux, son existence. Bref, je suis un obsessionnel. C’est, probablement, une sorte de douce névrose dont il faut chercher les premières manifestations dans l’enfance. Pendant longtemps, je n’ai connu d’autre librairie que la FNAC de Toulouse où mes parents nous achetaient, à mon frère et moi, les livres et les bandes dessinées qui accompagnent et ponctuent, sans grande originalité, l’évolution des enfants jusqu’à leur adolescence : de la bibliothèque rose puis verte, des Tintin, des Asterix, des Spirou, etc. Plus tard, c’est à la FNAC que je trouverai, dans le sous-rayon escamoté dédié à la poésie, mon premier recueil de Saint-Pol-Roux : De la colombe au corbeau par le paon, suivi de quelques autres, édités par René Rougerie.
De cette prime et répétitive expérience, j’ai conservé le goût de l’anonymat et, donc, des grandes structures, auxquelles il est fréquent qu’on dénie le titre de librairies, tant elles sont dépeuplées de libraires et piétinées par des vendeurs qui n’y connaissent pas grand-chose
. C’est un identique souci d’indifférence qui m’a poussé à traîner ma silhouette de jeune et désargenté bibliophile-par-nécessité
, dans les déballages et autres marchés aux livres qui ponctuaient ma semaine toulousaine : lundi – Saint-Cyprien, mercredi – Capitole, jeudi – Arnaud Bernard, Samedi – Saint-Etienne, Dimanche – Saint-Sernin. Faut dire que ma première excursion dans une librairie ancienne avait été quelque peu décevante, accueilli que je fus par le regard en balai vertical du tenancier et son bonjour marmonné, suivi d’un – à peine avais-je promené mes doigts sur trois dos de livres – « vous cherchez quelque chose ? », un peu sec. Je réplique, rougissant comme pris la main dans un sac qui ne serait pas le mien : « Vous avez du Saint-Pol-Roux ? ». Il lève les yeux au ciel, tel un qui cherche dans son grenier, et se dirige vers un rayonnage dont il retire deux ou trois volumes qu’il me tend en disant : « j’ai cela ! ». Je baisse les yeux vers les bouquins, tel un qui s’apprête à prier et à remercier son dieu, et les relève aussitôt, gêné : « Heu… c’est du Saint-John Perse… je vous ai dit Saint-Pol-Roux… ». Lui, sans se démonter et en haussant les épaules : « Ah, Saint-Pol-Roux ? connais pas ! »
.
Ce dialogue, certes, se répéta dans les marchés ou aux puces, mais avec tellement plus de naturel. Tout y est tellement plus simple, plus à portée du commun : tenez, ma première EO de Saint-Pol-Roux, Les Féeries intérieures (Mercure de France, 1907), je l’ai trouvée là, sur la place du Capitole un mercredi matin, dans un état tout à fait honnête, pour 50 Frs ; mon premier exemplaire de La Dame à la Faulx de 1899, avec mention de 2e édition, pour 30 Frs, place Saint-Etienne, le samedi ; les Ballades françaises, les premières, de 1897, avec la préface de Pierre Louÿs et un envoi de Paul Fort à Ernest La Jeunesse, pour 16 € ; et tant d’autres petites choses rares, posées simplement sur une planche que soutiennent deux tréteaux, ou entassées, pour rentabiliser l’espace de la camionnette, dans des caisses à vin, qui font l’essentiel de ma bibliothèque. Puis, c’est tout naturellement qu’on devient un habitué, avec lequel on discute, à qui on met des titres de côté, parce qu’on connaît son idiosyncrasie bibliophilique, à qui on fait des prix. Et ce sont les rencontres, les amitiés qui se nouent avec les admirables nomades du livre qui, inlassablement, se lèvent tôt le matin pour faire 50, 100, 200 kms, et déballer trois ou quatre jours par semaine sur des places peu abritées, avec l’espoir que le vent, la pluie ne s’en mêlent pas.
Aujourd’hui, je ne vis plus à Toulouse, mais dans une ville moyenne où librairies et marchés aux livres sont bien rares, bien trop rares, et mes libraires-à-sandwich-et-roulée-au-bec me manquent. Je me console, comme je peux, avec internet, royaume de l’anonymat où le bibliophile pervers et obsessionnel trouve plus facilement encore à se satisfaire, trop facilement peut-être. Mais on m’entendra moins médire de la toile que de certains libraires du coin, qui dénonçant leurs goûts propres, se sont spécialisés dans le Béarn et les Pyrénées, plus rentables ; car internet, au moins, fut lieu de rencontres et d’amitiés avec d’autres tenanciers en chambre ou en roulotte. Tous, Frédéric S., Laurent A., Sébastien D., Yves L., Bruno L. et les autres, je vous salue bien bas. Respect et mercis, messieurs.
SPiRitus
Exigeant, certes. Sévère, pas tant, si ?...
RépondreSupprimerMais cette sévérité est la garante de votre exigence, et nous aimons cela, mon cher.
RépondreSupprimerEuh, cher Tenancier, sans vouloir faire mon enquiquineur, le lien promis dans l'intro de ce fort intéressant article, on le trouve où, exactement ?
RépondreSupprimerOtto Naumme
Vous voyez, mon cher Otto, en tout fin du billet un intitulé marqué "sujets : SPiRitus, Plaisirs du Livre" ? Ces liens vous reporteront vers les articles marqués.
RépondreSupprimerJe n'ai point de chances avec vous, mon cher Otto, alors je vous mâche le travail. Cliquez donc là :
http://feuillesd-automne.blogspot.com/search/label/.SPiRitus
et profitez-en.
Oui, cher Tenancier, mais c'est ma trop grande habitude du jargon qui m'a abusé. Pour moi, ce que vous citez n'est pas un lien mais un tag.
RépondreSupprimerJe concède fort volontiers que ce terme de "tag" n'est pas forcément connu de tous vos visiteurs, j'aurai donc du y penser par moi-même. Pas grave.
En tous cas, j'ai énormément apprécié le texte de SPiRitus, ce que j'aurai du dire dans ma précédente intervention. Je n'ai rien de bien intelligent (ni même de bien crétin) à ajouter, j'en suis navré, je me contente donc de manifester mon plaisir à cette lecture.
Au fait, il faudra que je vous parle d'un certain "Mystérieux Expéditeur", qui vient de se manifester...
Otto Naumme
Nous sommes toute ouïe, mon cher !
RépondreSupprimerHeureux du plaisir donné, cher Otto, et heureux de bientôt retrouver le feuilleton du "Mystérieux Expéditeur"...
RépondreSupprimerCher SPiRitus, permettez-moi de louer une nouvelle fois votre élégance formelle s'agissant de l'art et de la technique du maniement de la plume. En outre, vous cultivez avec brio le sens de l'image bien troussée qui, ma foi, nous installe directement devant le film, et même dans le film, ainsi de vos "libraires-à-sandwich-et-roulée-au-bec".
RépondreSupprimerBref, ce fut un réel plaisir de vous lire.
Bien cher Otto, vous avez bien fait d'évoquer un nouvel envoi du "Mystérieux Expéditeur" ; en effet, cela aura permis à notre Tenancier de rebondir adroitement, faisant l'impasse, du coup, sur votre juste remarque concernant la fondamentale différence entre "lien" et "tag", alors que ce même Tenancier, quelques lignes plus haut, vous (et nous) disait "Je n'ai point de chances avec vous...", cette "confidence" tout simplement parce que vous ne saviez pas où cliquer, tout comme moi du reste...
Bref, sachez, Otto, que toutes les fois que vous vous ferez "chambrer", comme disent les footballeurs, je serai solidaire de votre auguste personne.
Puisqu'on parle de solidarité, Christophe, un texte de votre part serait bienvenu, qui parlerait de vos rapports avec les libraires. Parce que c'est bien gentil tout ça, mais vous vous tournez les pouces, mon vieux...
RépondreSupprimerVous avez remarqué, cher Christophe, comme le Tenancier essaye plus ou moins habilement d'éluder toute remarque que l'on peut lui adresser, comme il tente de noyer le poisson.
RépondreSupprimerVous évoquez les tags ? Il vous répond "solidarité". Vous optez pour le "chambrage" (qui, au foot, est pourtant une activité de plein air, allez comprendre), il rétorque "rapports avec les libraires" (en chambre, je suppose...).
Bref, votre soutien m'est d'un grand réconfort dans l'adversité que représente la rhétorique quasi-stalinienne du Tenancier. Mais ne vous laissez pas corrompre par cette dialectique, je vous fais confiance pour savoir vous en défier...
Otto Naumme
(qui reparlera Mystérieux Expéditeur dans de brefs délais - il doit d'abord se livrer à quelque rangement...)
(soupir)
RépondreSupprimerre(soupir)
RépondreSupprimerCher Christophe, j'en suis fort touché... et en soupire et resoupire d'aise.
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