A travers ce portrait, c’est presque un modèle de carrière d’écrivain qui se déroule devant nous ci-dessous. Ainsi, contrairement à cette catégorie de romancier anglo-saxons passant sans cesse un brevet de virilité en étalant les divers métiers qu’il accomplit (bûcheron, torero, etc.), l’homme de lettre du XIXe siècle se forme dans le sérail du livre. Comme on aimerait encore que ce soit parfois le cas pour nos contemporains ! On rencontrerait des journalistes et des hommes de lettres qui savent ce qu’est un livre, enfin. Découvrons ici un moment ou livres et lettres ne s’ignoraient point tant.
Tony Révillon
Portrait de Champfleury
Il est né en 1821, à Laon. Son père, tour à tour secrétaire de la mairie, imprimeur et propriétaire du journal du chef-lieu, se nommait Fleury. Lui, ajouta Champ au nom paternel. Champ fleuri : il vous prend des envies de faire la culbute dans la luzerne.
Détestable écolier, le fils du secrétaire de la mairie de Laon ne dépassa pas la quatrième. Il ne rêvait que tapage, mauvais tours, pantomimes et cor de chasse.
En quittant le collège, il entra comme employé à la mairie de Laon. Le jour, il brochait des expéditions avec une écriture de chat ; le soir, il jouait du violoncelle dans les sociétés d’amateurs, ou il accompagnait, à l’orchestre du théâtre, les comédiens en tournée.
Paris devait l’attirer. Très-amateur de lecture, il entre, en qualité de commis, chez un libraire de la rue des Vieux-Augustins. Il croyait qu’il allait passer ses journées, planté sur un pied, à attendre les chalands, en lisant Balzac. On lui mit un ballot sur le dos et on lui dit :
- Marche !...
Quand il revint, on lui montra un second ballot, puis un troisième, et ainsi de suite… Le libraire avait deux autres commis dont les épaules subissaient le même sort. Un matin, les trois jeunes gens décidèrent qu’ils ne pouvaient y tenir plus longtemps, et ils quittèrent, bras dessus, bras dessous, la boutique. L’un des compagnons de Champfleury se nommait Fortoul ; c’était le frère du futur ministre de l’instruction publique : il est aujourd’hui banquier en province ; l’autre, Chintreuil, devait devenir le paysagiste que vous savez.
Champfleury mena, pendant six mois, une vie de misère portée avec l’insouciance de la jeunesse ; puis il retourna à Laon, débuter dans la littérature en corrigeant les épreuves de l’imprimerie de son père. Mais l’ennui le prit vite en province, et le quartier Latin le compta de nouveau parmi les locataires de ses hôtels meublés. Après quelques années d’une existence à la diable, il se fit un nom dans la petite presse, puis dans un roman. Henri Murger, pierre Dupont, Chintreuil, Courbet, toute la pléiade sortit à la fois de l’obscurité.
De ce milieu de province, de quartier Latin, d’imprimerie, d’hôtels meublés, de petits théâtres et de bals publics, se dégage une figure étrange : celle d’un clerc du seizième siècle égaré dans le dix-neuvième, mais prenant, à chercher sa route, des plaisirs infinis. Champfleury a tout du clerc. Il en a les curiosités, l’esprit, le savoir, la gaminerie, la rouerie, la naïveté. Ce grand escholier de quarante-huit ans rencontre un gamin, il lui prend sa casquette, il la jette et il rit. Une poële à la queue d’un chat fait ses délices. Pour enlever une chaise à la porte d’un café et la porter de l’autre côté du boulevard, il n’a pas son pareil…
Il rentre chez lui, s’installe au milieu de ses faïences et de ses chats… Panurge disparaît. Vous avez devant vous un écrivain sérieux, qui produit selon les lois de son cerveau, qui ne cède jamais à des considérations de renommée facile ou d’argent, qui préfère vivre de peu que lâcher ce qu’il fait. Cet écrivain n’est pas sans défauts. Il est incorrect ; il manque d’élégance et de goût ; il lui arrive de professer, et alors il est comique ; ou bien de se dire : - je vais être très-comique ; et alors il est lugubre. Exemples : la Gazette de Champfleury et Monsieur Tringle. Mais le plus souvent il est excellent. Ses personnages, surtout ceux dont les caractères se développent dans le milieu de la province, sont vrais et naturels comme ceux des maîtres. L’observation comique, se traduisant dans chaque détail, donne au récit un charme original. Enfin, par-dessus tout, il est lui ; son talent a une personnalité.
Tony RÉVILLON (1832 - ), romancier et journaliste éminent, né à Saint-Laurent-la-Poche, près Mâcon. – Articles de journaux ; la Vie des eaux, roman remarquable par la vive peinture des caractères. Il fait une chronique quotidienne émaillée d’une verve rare, dans la Petite Presse. Ce fut Lamartine qui le patrona au début de sa carrière littéraire, comme le spirituel chroniqueur l’a raconté, et qui l’aida ainsi à conquérir le rang honorable où il est placé dans la littérature parisienne. – Sa biographie a été écrite par V.F. Maisonneuve en 1869.
Extrait de : La littérature française, Depuis la formation de la Langue jusqu’à nos jours – Lectures choisies par le Colonel Staff – Cinquième édition – Tome III : Auteurs vivants en 1870 – Paris, Didier et Cie & Ch. Delagrave et Cie - 1877
Intéressant, cher Tenancier.
RépondreSupprimerUne question, cependant, liée à mon usuelle envie de vous taquiner. Vous citez :
Tony Révillon (1832- ).
Doit-on en conclure que ce brave homme a fêté cette année ses 177 ans (la lecture pour tous, de 7 à 177 ans !) ?
Otto Naumme
Mon cher Otto, je recopie l'article tel quel.Ainsi, je respecte l'orthographe de certains mots tels que je les ai trouvées. Si vous aviez été attentif, vous auriez vu que cette description est extraite d'un recueil d'auteurs vivant en 1870. On peut même supposer que Révillon ait survécu même jusqu'en 1877, date de publication du livre. En fait, il est mort en 1898.
RépondreSupprimerJ'ai bien envie de vous faire recopier l'article au moins cinq fois.
Mais, très cher Tenancier, j'avais bien vu que l'article était un extrait d'un ouvrage de 1870 ; et j'en avais bien sûr déduit qu'à cette date le sieur Révillon n'était pas encore trépassé.
RépondreSupprimerMais bon, si on peut même plus être taquin (et de mauvaise foi, sinon c'et pas drôle), où allons-nous ?
Et puis, vous voyez, vous la connaissiez, la date de décès de ce bon Tony...
Otto Naumme
Ce Révillon fait moins rêver que le maquillage des femmes (à quand son interdiction ?) qui s'adonnent à Revlon.
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