Jours de Catalogue - I

Le lecteur attentif s’en souviendra, je l’avais lâchement abandonné au terme de l’impression d’un catalogue d’éditions originales. L’opération durait plusieurs jours et occupait une grande partie du temps de travail qui, d’ordinaire, était dévolue à la vente, au catalogage, à la réception des ouvrages neufs ou d’occasion (cette librairie s’occupait des deux) et toutes ces sortes de choses.
Les brochures une fois constituées, triées, expédiées, il ne restait plus que l’attente de la réception du catalogue par nos clients – temps de latence qui ressemblait fort à une veillée d’armes au cours de laquelle nous nous employions à préparer la logistique : carton ondulé, feuilles de kraft, ficelle pour les paquets, ultime recouvrement des ouvrages du catalogue avec du papier cristal pour ceux qui auraient échappé à notre vigilance, ou dont la couverture précédente, à nos yeux, avait soudainement par trop jauni.
La durée de notre attente était relativement brève, malgré le fait que nous faisions l’expédition des enveloppes du catalogue au tarif « lent » qui existait encore, à cette époque où la Poste était un service public non soumis aux lois du marché mais plutôt une sorte de modus vivendi entre le délai sourcilleux et le festina lente, le tout régi, vraisemblablement, par un Olympe poussiéreux habité par les dieux Afnor et Cerfa. (Olympe, vraiment ? Plutôt le Walhalla, vu les noms).
Mais cette attente quelque peu affairée était le prélude à un déferlement à côté duquel la Horde d’Or n’était qu’un aimable rassemblement d’adeptes du camping municipal.
En effet, les barbares allaient frapper à notre porte.
Ainsi, le matin du jour J, nous guettions le téléphone et lancions des augures sur celui qui appellerait le premier ou sur le livre qui partirait en premier.
Le catalogue commençait toujours lentement - un ou deux coups de fil, priant de mettre de côté telle originale de Gide, de Maurois, de Mauriac ou, fantaisie inouïe, un beau papier de Martin Du Gard, pas Roger, Maurice, le cousin, l’autre. Ensuite venait le « trou » traditionnel, césure qui indiquait que le service postal du matin était passé, certes, mais qu’il n’avait pas touché ceux qui étaient partis travailler. Car, loin de l’image du rentier, le bibliophile a un emploi dûment rémunéré, ce qui lui assure entre autres la provende de son vice… Les livres réservés rejoignaient une table où devaient s’aligner les piles. Chaque réservation comportait un bout de papier avec le nom du client et la date de réservation. La Haute Autorité de la librairie était sourcilleuse là-dessus : les réservations n’excédaient pas 48 h ! Cette disposition était appliquée avec rigueur et je dirais même avec véhémence. On ne délivrait d’indulgence que pour des raisons impérieuses. On ne plaisantait pas avec les réservations, ah mais !
Arrivait l’heure du déjeuner où les premières salves sérieuses étaient lancées. A pleines bordées, on recevait des mitrailles de commandes : un, dix, quinze livres sortaient du rayon – large de 3,50 m sur 2,50 m de hauteur – pour rejoindre la table des réservations. Arrivaient fugacement quelques drames, pas les plus importants, un Gide déjà retenu, par exemple. Rien n’était encore perdu, on escomptait sur le désintérêt du client ou sur son retard, ce qui reporterait la réservation sur l’autre client. Tout y était encore mousse et pampre, les manifestations de déception ne dépassaient pas les bornes, car l’on était porté par l’espoir.
La fin de l’après-midi voyait les premiers clients arriver ; il sera utile par la suite que l’on revienne sur la typologie du bibliophile. Mais à tout le moins, déjà, on pourrait déceler le Déterminé qui après un bref examen du livre emportait son butin dans une certaine économie de geste et de parole, le Dubitatif qui, après quelques affèteries et manières, ne prendrait qu’une partie de la réservation. Miracle : l’un de ces derniers a laissé le Gide convoité par un autre. Nous téléphonons et sommes immédiatement parés de toutes les vertus. Le soir tombe sur la librairie Delatte, sise au 15, rue Gustave Courbet à Paris, dans le XVIe arrondissement, et sur son catalogue. Demain, les journées dures commenceront.
Et les emmerdeurs, les atrabilaires et les goujats, me diriez-vous ?
Y’en avait aussi.
Et ceci, comme la suite, sera de la même histoire.

(à suivre...)

2 commentaires:

  1. Les catalogues, comme les pièces de monnaie, ont deux faces.
    On peut tenter de voir l'autre face, ici :
    http://www.fornax.fr/blogs.php

    ;-)
    cls

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  2. Cher cls, c'est volontiers que je transmets l'info.
    Allez donc voir le catalogue de Fornax, chers lecteurs. Sachez, du reste, que des titres de cet éditeur se retrouvaient également sur le catalogue dont je vous parle !

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