Mmmmmhhhh ?
Avec du ruban adhésif, c'est ça ?
Bravo.
Compliments, c'est réparé.
Vous l'avez bardé d'adhésif au dos, vous avez rapproché les lèvres béantes des pages et bien lissé avec votre doigt la bande transparente qui doit les lier pour l'éternité. Mieux encore, pour qu'il soit désormais protégé, vous l'avez recouvert d'une couverture plastique ou, moindre mal, de papier cristal que vous avez aussi fixé avec le même adhésif au revers.
Fier de votre œuvre, vous replacez votre prestigieux travail dans votre bibliothèque et vous n'y pensez plus.
Vous avez raison de ne plus y penser.
J'envie votre état natif, sans remords.
Car vous venez de tuer un livre.
Le ruban adhésif, autrement appelé "Scotch" - mais je préfère être impartial et mettre cette cochonnerie sous son titre générique et non sous l'une de ses marques - est le fléau du libraire. Tenez : le soussigné préfère faire cinq heures de train bondé avec un gosse qui hurle à côté de lui plutôt que de supporter la vue d'un livre réparé de cette manière, c’est dire !
"Un pari de milliardaire", de Mark Twain, une édition de 1925 bonne pour la poubelle...
Ah, ces pages de garde collantes, parce que vous avez utilisé ces mêmes adhésifs pour maintenir du papier cristal ! Mais pourquoi faire, Grands Dieux, le cristal tient tout seul ! (Je vous ferai une démonstration, un de ces jours). C'est comme mettre une ceinture avec des bretelles... et se faire descendre par Henry Fonda (1). Bien sûr, la matière collante a traversé la couverture et vous vous retrouvez avec des bandes brunes sur celle-ci. Y a-t-il un réconfort à tout cela ?
En toutes choses, il faut voir le côté positif : vous avez des chances de garder cet ouvrage jusqu’à la fin de votre vie, car aucun confrère n’en voudra. Ainsi, perpétuel compagnon de vos regrets, il vous suivra jusqu’à votre sénescence, voire au-delà. Comme il n’est nul luxe inutile – et le livre fait précisément partie de ces choses superfétatoires dont on ne saurait se passer (sauf ceux qui se gobergent de leur ignardise, bien sûr) – je vous conseille de faire de vos expérimentations hasardeuses en matière de restauration un joli bûcher in-octavo pour vous accompagner aux cieux. Ainsi, ces mêmes remords se disperseront avec vos cendres.
Mais ne restons pas sur ces funèbres considérations.
S’il n’y a guère de remède aux brunissures infligées par ces bandes adhésives, il faut se dire que cela n’a guère d’importance pour un livre de poche. A moins, bien sûr, d’y tenir pour des raisons sentimentales. Se pose également la question de la pérennité de certains ouvrages apparemment courants à leur sortie et qu’un quelconque purgatoire a raréfié. Ceux-là sont des victimes potentielles. Le problème se pose de moins en moins au fur et à mesure que l’on remonte cette hiérarchie mouvante du livre de valeur. Il est parfois des exceptions...
Les alternatives aux adhésifs sont réduites. Si vous jugez que votre ouvrage est digne de subir une restauration, adressez-vous à un relieur. Il saura vous proposer une restauration certes un peu voyante, parfois, par rapport au résultat immédiat et flatteur des rubans adhésifs. Il s'agira ici d'apposer une bande de papier de soie enduite de colle à poisson. Mais ces restaurations ont l’avantage d’être réversibles, la plupart du temps. Très souvent, même, l’habileté de l’artisan vous permettra de prolonger la vie de vos livres et même de ne plus vous rappeler où il fut restauré. Enfin, si la colle à poisson et le papier de soie ne vous satisfont pas alors que vous avez arraché malencontreusement une couverture, posez-vous la question d’une reliure ou d’un bradel. Mais tout ceci est déjà un autre sujet.
Alors la prochaine fois, avec vos réparations, réfléchissez-y à deux fois : ne provoquez pas le serial killer qui sommeille chez votre libraire.
Il était une fois dans l'ouest...
RépondreSupprimerJ'abhorre moi-même le ruban adhésif, à tel point que je perds les rouleaux achetés dès le retour à la maison et me retrouve avec des paquets cadeaux parfois quelque peu négligés...
Par contre, j'éprouve une certaine (pour ne pas dire grande) jouissance à retirer sur un très vieux poche réparé (par autrui, bien sûr) cette substance marron et friable - ça m'évoque 'parchemin'ou 'papyrus' par je ne sais quel mystère... Je crois surtout que cela signifie que le livre a été aimé par son précédent maître (ou esclave, c'est selon)...
Claire, vous avez raison : le livre a été aimé par son propriétaire. Mais vous conviendrez avec moi que c'est de "l'amour vache" ! A ce titre, bien observé, pour la relation maître/esclave...
RépondreSupprimerC'est tellement meilleur quand ça fait mal...
RépondreSupprimerHum... Bon, je sors...
Otto Naumme
Otto, vous me copierez intégralement la correspondance Houellebecq/BHL, ça vous fera les pieds !
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