Quoique.
On a beau vouloir s’abstraire, parfois, les faits vous rattrapent toujours. Ainsi, le 7 mars 2011 paraissait un petit article assez amusant qui s’intitulait :
Lorsqu’un fan crée gracieusement une communauté autour d’une marque et propose à celle-ci de reprendre le flambeau, la moindre des choses est de le remercier. Mais pour Gallimard, la politesse ne va même pas jusqu’à répondre à celui qui a fédéré 1500 amateurs de l’éditeur sur Twitter, et qui proposait à Gallimard de reprendre l’usage à son compte.Suivait l’article qui en développait le propos, jusqu’à une tentative infructueuse de Guillaume Champeau, le journaliste, pour contacter La Prestigieuse Maison…
Quant à nous, nous déclarons tout net qu’une telle réaction n’est point pour nous surprendre. S’il est somme toute superfétatoire de vouloir se mêler de la politique de communication de la Prestigieuse Maison, restait néanmoins une question assez intéressante pour votre Tenancier, non pas soulevée par l’auteur de l’article, mais un de ses commentateurs :
[…} Mais comment peut-on se déclarer fan de Gallimard ? C’est d’une crétinerie sans nom. A la limite, on peut se dire fan de tel auteur ou de tel autre (je dis bien à la limite que tous les livres d’un auteur soient dignes d’admiration – sinon, c’est juste du fanatisme). Mais comment peut-on se dire fan d’un éditeur ? Chez Gallimard, ils éditent de bons auteurs (à mon sens), de mauvais auteurs (à mon sens), des auteurs moyens (à mon sens) et d’autres dont je n’ai jamais entendu parler. Mais c’est la même chose chez Plon, Chez Actes Sud, Chez Robert Laffont […]Monsieur Stacato, je vous donne entièrement raison pour la teneur de votre raisonnement, mais je vous donne tort par les faits et par un paramètre que vous avez oublié de prendre en compte, sûrement parce que vous n’avez pas les qualités requises.(Stacato, le 7/03 à 13h48)
En effet pour apprécier cet étrange affectation il faut soit être snob (enfin, c’est une façon de parler) et être un bourgeois (et même là…)
Il m’a parfois été donné de visiter des bibliothèques presque entièrement composées d’ouvrages de la Collection Blanche de chez Gallimard. Les libraires de neuf connaissent également les quelques déceptions de voir un écrivain comme Jean d’Ormesson changer d’éditeur de la part de certains clients. Enfin, on connaît quelques bibliophiles qui ne tolèrent que des beaux papiers de la Prestigieuse Maison (même s’il s’avère que, désormais, ce n’est guère qu’un bête tirage offset sur un papier pas trop moche…)
Les textes ne manquent pas à qui voudrait approfondir le sujet de la genèse de la NRF et de l’histoire de la maison Gallimard. Ainsi, le texte de Jacques Rivière, « Le roman d’aventure », (Éditions des Syrtes) peut même figurer comme une sorte de manifeste un peu tardif. Levons accessoirement l’ambiguïté sur le terme de « roman d’aventure » qui est, sous la plume de l’auteur un « roman qui s’avance à coup de nouveauté ». Sans être révolutionnaire, la Grande Maison allait tout de même occuper sa place – importante – dans l’histoire des lettres contemporaines. Le catalogue est éloquent à cet égard. Pour autant, comment peut-on être fan ? On touche là un aspect qui n’a plus grand rapport avec la littérature mais à la représentation de la collection Blanche dans l’imaginaire petit-bourgeois. Voir son nom figurer sur l’un de ces volumes procure une sorte d’accomplissement social, un système qui mélange la méritocratie et la phantasmatique de la littérature, on pourrait même parler de lithérathure… « Être fan » participe également de cette fascination. Au bout du compte, être à la tête d’une série de volume de cette fameuse collection Blanche, c’est détenir un ensemble de signes exposés d’une façon plus ou moins ostentatoire dans le salon ou la bibliothèque. Signes particuliers – une collection – dans un ensemble extrêmement engagé sur le plan de la représentation sociale (la bibliothèque est l’un de éléments les plus parlants de la représentation bourgeoise, du moins jusqu’à récemment), nous avons ici affaire à la valeur fantasmée d’une collection et non aux qualités intrinsèques de chaque volume. Tout est en somme dans la valeur ajoutée.
Il existe certes des collections qui valent la peine d’être rassemblées, car elles sont liées à la personnalité de son directeur, à l’objectif éditorial, aux rumeurs et aux humeurs de l’époque. Notre blog s’en fait l’écho, parfois ; le plus emblématique, dans ces parages, se trouvant dans notre feuilleton consacré aux 10/18. Il faut tout de même se rendre à l’évidence : aucune autre collection de littérature ne recèle autant de signifiants extralittéraires que la Collection Blanche.
L’imaginaire y convoque cette sorte de sérénité confortable de l’institution littéraire, se portant soit dans « le choix des élus » (nous avons été en rapport avec une personne qui se vantait d’y avoir « un manuscrit en lecture », élément non négligeable de ses affabulations) ou dans l’alignement mis en scène des dos crème au monogramme de la NRF dans un rayonnage, Drieu La Rochelle côtoyant Camus, accolé à Céline, se frottant à Sollers adossé à Guy Debord… De cette dernière vision, précise et vécue, on ne peut s’empêcher d’y apposer une autre vision, celle du jeune homme qui possédait tous les Que sais-je ? dans le film Tchao Pantin. Au fond, à ce moment tout prenait sens et se rejoignait.
Et Gallimard dans tout cela ? Eh bien, la Grande et Prestigieuse Maison, fête son anniversaire, ne possède pas de compte Twitter et continue de naviguer majestueuse et superbe dans les salons de la vie littéraire.
Le commerce tourne toujours et la production littéraire dans presque son intégralité passera à la trappe. Et l’on continuera à acheter les livres pour leurs couvertures.
Rien de neuf, donc.
Mais non, on continuera à acheter des livres pour essayer de les lire, dos carré, pour pouvoir faire le dos rond malgré son arthrose de la colonne vertébrale, et on se mettra à la couleur !
RépondreSupprimerCher Tenancier, nous avons également un ami commun qui possède l'intégrale d'une collection de romans dits "populaires", pas tant pour la qualité de tous les écrits qui y figurent (on y trouve de sombres m...) mais pour l'idée de l'ensemble, pour l'idée sous-jacente à cette collection (sans compter le fait que cet ami y a lui-même publié ses premiers écrits).
RépondreSupprimerCollectionner tout un éditeur semble impossible, tant les plus importants d'entre-eux publient d'ouvrages chaque année au fil de leurs multiples collections.
En revanche, se focaliser sur une collection peut se comprendre, le fait pour un roman d'y figurer pouvant être considéré par le lecteur comme un gage de qualité, comme une sorte de goût commun partagé avec le directeur de collection.
Après, oui, bien sûr, on peut être "fan" d'un auteur, disposer de tous ses écrits, même ceux considérables comme mineurs par rapport à ses plus grandes oeuvres. De toutes les manières, il faut bien les avoir lues pour le savoir, si elles sont mineures ou non, ces oeuvres ! Alors, autant les conserver par devers soi ensuite, non ?
Otto Naumme
Rectifions tout de suite, Otto. Cet ami est peu commun.
RépondreSupprimerJe serais bien le dernier à faire preuve de vindicte envers ceux qui s'adonnent à la collection. Du temps ou je m'adonnais à cela, j'avais été traité de "sadique anal". J'en déduis que s'adonner à la collection empêche quelques pervers polymorphes de se balader dans les rues. C'est donc une mesure prophylactique que j'agrée d'autant qu'elle n'en rajoute pas sur les fantasmes sécuritaires de pas mal de nos contemporains.
Ce que je critique ici n'est pas tellement la notion de collection, mais l'usurpation intellectuelle que peut être une marque. Tel phare de la pensée collectionne les Rolex, tel petit bourgeois expose les couvertures de la Collection Blanche dans sa bibliothèque, à l'instar de son ancêtre qui y mettait des reliures.
En ce qui concerne l'exploration d'un auteur, certes, il est souvent intéressant de suivre le cheminement d'un écrivain qui vous est cher. En cela, et avec vous, je prends mes distances avec le commentateur cité plus haut. Mais des épisodes de ma carrière de libraire m'ont plusieurs fois convaincu que le suivi des auteurs par certaines personnes tenait au mieux de la mauvaise habitude, quelque peu désincarnée sur le plan intellectuel. Le problème ici n'est pas une question littéraire, ni une question de collection, mais bel et bien que certaines personnes se conduisent comme quelques mômes en cours de récré : la marque est devenu un signifiant devenu complètement autonome par rapport à son contenu. Pour avoir une Rolex, plus besoin de connaître l'heure (c'est l'équivalent "mâle de l'accessoire pour midinette ou de femme entretenue), pour avoir cette bibliothèque... nul besoin d'être un intellectuel, ni un collectionneur (à telle preuve, c'est que, le rayonnage étant rempli de ces livres, il n'augmentera ni ne diminuera).
Sadique anal ? Bigre ! Qu'y a-t-il donc de sadique là-dedans (si j'ose dire) ?
RépondreSupprimerDe toutes les manières, je ne vous reprochais rien du tout, cher Tenancier, je me contentais d'apporter ma modeste contribution à votre pensée.
Et j'agrée avec vous le snobisme ringard de certains collectionneurs, un peu les mêmes que ceux qui achètent du "vieux livre" au kilomètre pour "faire ma bibliothèque".
Oui, il est clair que c'est la différence entre ces paltoquets et, par exemple, notre ami commun (et si peu commun, j'agrée avec vous !) qui aime réellement cette collection, mauvais titres y compris. Ce qui peut être, à tort ou à raison, comparé là aussi à une déviance quelque peu malsaine. Mais que, je pense que vous en serez d'accord avec moi, je trouve bien plus sympathique.
Otto Naumme
Si j'ai bien suivi, il se prénomme Roland, cet ami, non ?
RépondreSupprimerLe stade "sadique-anal" est une catégorie psychanalytique de régression infantile définie par Freud, cher Otto.
Sur le fond, et pour résumer, il y a deux sortes de collectionneurs : les vrais, passionnés (à tort ou à raison, chacun ses goûts) par l'objet de leur manie, et les faux, qui n'ont d'autre souci que d'exhiber une culture que souvent ils ne détiennent même pas. Pour ces derniers, l'amas d'objets sert essentiellement de marqueur social.
À bien y réfléchir, je crois hélas faire partie des deux espèces.
Cher George, vous ne vous trompez pas, effectivement...
RépondreSupprimerPour le reste, je connaissais surtout le sadique Arnaud, mais je n'ai jamais été grand fan de Freud (il doit avoir une classification pour les gens qui rejettent la psychanalyse, je présume).
Quant à la collectionnite, cela m'a passé. Mais j'ai eu moi aussi ma période. Avec quelle proportion de snobisme dedans ? Je ne saurai dire. Elle devait y être. Mais tout cela m'a passé.
Otto Naumme
Otto, vous êtes snob, mais sans ostentation.
RépondreSupprimerCela vous sauve.
Merci de cette appréciation, cher Tenancier.
RépondreSupprimerJ'essayerai de m'en souvenir.
Otto Naumme
Ce stade n'est pas toujours une régression cher George. Il peut constituer un arrêt dans le développement. Ainsi, on m'a écrit il y a peu que j'en étais restée au stade anal. Dites, Tenancier, c'est notre jour d'anniversaire commun qui nous vaut cette étiquette commune ?
RépondreSupprimerOn les collectionne !
ArD
A condition, ArD d'avoir vécu avec un pervers narcissique.
RépondreSupprimerAh... Mais je n'ai pas ça dans la collection.
RépondreSupprimerArD